La Maison des soleils - Alastair Reynolds

La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres) . La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit , publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte. Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée,

Brève histoire de sept meurtres - Marlon James

BLOG EN MODE DÉGRADÉ

ON REFERA MIEUX QUAND ON POURRA MIEUX.

JUSQUE LÀ, LECTEUR, POUR ENCORE QUELQUES MOMENTS, IL TE FAUDRA ACCEPTER DE ME FAIRE CONFIANCE SUR JUSTE DEUX OU TROIS LIGNES.


3 décembre 1976, Kingston, Jamaïque. Deux jours avant un méga « concert de la paix » auquel doit participer Bob Marley, celui-ci est attaqué dans la maison qu'il occupe par sept hommes armés qui tentent de l'assassiner avant de s'enfuir. Sorti miraculeusement vivant de l'attentat, le roi du reggae tiendra sa place comme prévu. Il y aura même un second concert deux ans plus tard, le One Love Peace Concert, un événement au cours duquel il invitera les deux leaders politiques adversaires de la Jamaïque à joindre leurs mains. Et, en Jamaïque, la politique est une partie importante du problème. Elle est donc logiquement au cœur du roman.

Page 828, en 1991, peu avant la fin et alors que Bob Marley (toujours nommé Le Chanteur car ce n'est pas son histoire mais celle de la Jamaïque) est mort depuis 1981, l'un des protagonistes du récit dit à un autre (qu'il est en train de menacer d'assassiner) « ...à un moment donné on doit développer l'histoire. On ne peut pas seulement lui donner de la cohérence, il faut aussi de l'ampleur. Les choses n'arrivent pas dans le vide, il y a des conséquences, des répercussions, et parallèlement la planète continue à tourner, qu'on participe ou pas. Sinon, c'est juste le récit d'un truc qui s'est passé quelque part, et ça on peut le voir tous les jours au JT. ».

C'est le point du roman (et c'est là d'ailleurs qu'on comprend de quel sept meurtres il s'agit).

Bob Marley s'est fait tirer dessus. On peut dire par qui, à la limite. Mais on ne peut pas comprendre si on n'a pas le contexte. Sans contexte ça n'est qu'une incongruité. On ne peut pas comprendre si on n'a pas plongé dans la misère jamaïcaine, dans la culture jamaïcaine, dans l'ignorance jamaïcaine. Dans la politique jamaïcaine aussi - avec ses deux partis rivaux alignés chacun sur l'un des deux blocs et soutenus par des gangs dans une relation incestueuse entre crime et politique. Dans les gangs jamaïcains donc, leur violence extrême, leur territorialité, leur fonctionnement féodal, leur impunité scandaleuse, leur usage constant des armes et de la cocaïne, du meurtre et du viol, de la terreur et de la répression aveugle. Dans la police jamaïcaine enfin, corrompue, impuissante, meurtrière, qui fonctionne comme un gang.

Et il faut connaitre aussi la Guerre froide, la place de la Jamaïque comme front annexe, entre incursions cubaines et manœuvres de la CIA, Castro et le communisme comme ennemis mortels de l'Oncle Sam sur une ile où le colonialisme a durablement marqué les attitudes réciproques. Il faut connaitre aussi les 70's, avec Mick Jagger qui se radine parce que le reggae c'est cool, les journalistes de rock, les rastafaris et leurs nombreuses zones d'ombre. Il faut savoir encore que l'ile deviendra une plaque tournante du trafic de cocaïne puis de crack de la Colombie vers les USA et que les gangsters locaux surferont sur la vague au prix de sanglantes guerres internes.

Le tout sans oublier la misère du peuple, la vie dans le ghetto, la terre qui colle aux pieds et empêche tout envol, le sexisme omniprésent côtoyant un racisme bon teint qui s'exprime même entre Jamaïcain (sur des questions de teint justement) ou une homophobie schizophrénique au point d'être comique, ni omettre de montrer que tout est intriqué, que tous sont englués dans des relations qui les lient les uns aux autres, que la Jamaïque leur colle, même à celle qui aura réussi durant le roman à s'en extraire le plus.

Tout cela, ce sont les causes et les conséquences qui entourent l'attentat sur plus de trente ans. Sans cela, l'attentat est incompréhensible, sans cela on pourrait penser que l'attentat passé les choses et les gens reviennent à la normale. Erreur. L'événement a un amont, il a un aval. Ils le définissent. L'événement lui-même est si bref qu'il est presque insignifiant en soi, sinon comme précipité signifiant de l'histoire de la Jamaïque.


James raconte tout cela et c'est époustouflant. D'une ampleur colossale, d'un souffle comme on n'en croise pas tous les jours, Brève Histoire de sept meurtres est raconté par les voix de nombreux personnages, chefs de gang, gangster de base, journaliste US, agents de la CIA, politiques, jeune femme en quête de liberté, etc. Chacun narre dans sa propre voix. Chacun a son ton, son vocabulaire, ses préoccupations, sa part (incomplète) de vérité, sa tonitruance. Chacun raconte un bout de l'histoire sans adresser d'explication au lecteur et, magie de la construction et de la narration, chacun complète ou éclaire ce qu'avait dit un autre qui l'avait précédé. Tout est clair en dépit de la multitude des lieux, des dates, des personnages. Impressionnant. Et captivant.

Et quel(s) style (s) ! Il suffira de lire comment est racontée la maladie au long cours de Bob Marley jusqu'à sa mort, par snapshots et par l'un des personnages dans sa propre voix, pour être admiratif si on ne l'était pas déjà.


Constitué d'une succession de flux de conscience, Brève Histoire de sept meurtres est un brillant roman contemporain de Marlon 'Léopard' James, un livre monstre qui avale son lecteur, le ballote dans un flow ininterrompu de 850 pages comme dans un fleuve tempêtueux, puis le recrache lessivé mais ravi et instruit.

Long, dense, il réussit l'exploit de faire engloutir à son lecteur quarante ans d'histoire de la Jamaïque et du monde d'une manière aussi ludique qu'hypnotique, et de parvenir à le passionner pour un temps et un lieu radicalement étrangers et largement hors des radars de votre serviteur. Le tout sans jamais donner la parole à Bob Marley et en le laissant toujours backstage. Brillant dis-je.


A lire. Absolument.

PS : En mode non dégradé, j'aurais fait bien plus long, présenté les acteurs politiques et institutionnels mais à chaque temps ses plaisirs. J'ai été assez enthousiaste quand même, non ?

Brève histoire de sept meurtres, Marlon James

Commentaires

Baroona a dit…
Coïncidence assez improbable, il y a quelques jours à peine j'ai cherché à la bibliothèque s'il y avait des ouvrages de Marlon James et j'ai découvert l'existence de celui-ci. Ton avis tombe donc à pic. Je note consciencieusement de le lire, ça donne grandement envie.
Gromovar a dit…
Fonce ! Tu ne le regretteras pas.