Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Unity - Elly Bangs


2159. Ici (kind of). Hélas.

La Terre a été complètement ravagée par de colossaux bouleversements climatiques, notamment des super-tempêtes qui rappellent les Armada Storms de L'aube de la Nuit, sans oublier quelques frappes nucléaires et pandémies meurtrières. Etats effondrés, villes abandonnées puis écroulées et néodéserts chiches en biomasse sont le nouveau visage qu'offre une planète sur laquelle la vie humaine n'est plus guère possible. De frappes nucléaires en Pluie de sang, d'astéroïde menaçant en guerres tribales, de sectes millénaristes en seigneurs de la guerre génocidaires, l’humanité a été décimée et le peu qui reste à l'air libre n'est pas beau à voir. Restent les fonds marins, guère plus beaux mais au moins organisés, que se disputent deux entités proto-étatiques, Epak et Norpak. La vie « civilisée », à défaut d'être libre ou démocratique, n'existe plus que dans les cités sous-marines telles que cette Bloom – fief du gang des Méduses –  dans laquelle commence le récit.

Et même ces cités, de combien de temps disposent-elles ? Car l'humanité, jamais à court d'une idée pour s'autodétruire, dispose maintenant de Gelée grise autoréplicante qui pourrait annihiler toute vie sur Terre.


A Bloom, sous quarante mètres d'océan, vivent Danaë, Naoto, et Alexei, tous au service et sous le joug des Méduses, comme quiconque dans la capitale d'Epak. Danaë est une jeune femme au passé (très) complexe porteuse d'un implant cérébral inédit, Naoto est son amant et fervent amoureux, et Alexei le mercenaire tourmenté et suicidaire qu'elle engage pour l'exfiltrer de Bloom. Car Danaë ne peut plus supporter la vie qui fut la sienne durant les cinq dernières années, car, aussi, elle a un rendez-vous impératif à l'équinoxe en Arizona.

Rendez-vous ou pas, il était temps de partir car, même si elle l'ignore quand l'histoire commence, Danaë la fuyarde est aussi la cible d'un mystérieux traqueur qui, pour l'atteindre, n'hésite pas à provoquer le chaos à l'intérieur de Bloom et la mort de dizaine de milliers de personnes.

Commence alors une course poursuite frénétique dans et surtout hors de l'eau (à travers néodéserts et communautés humaines aussi étiques qu'hostiles), Danaë et ses deux compagnons étant poursuivis tant par les Méduses que par le groupe de traqueurs qui cherche spécifiquement la jeune femme.


Dans un mélange réussi de cyberpunk et d'ambiance à la Mad Max Fury Road, Elly Bangs offre un premier roman tout à fait captivant.

Sous adrénaline tout du long, le récit de l'autrice prend néanmoins le temps de donner à ses personnages un background complexe et une vraie personnalité. C'est d'autant plus indispensable ici que Danaë (augmentée par son implant) n'est pas du tout une personne comme les autres, qu'elle est, littéralement, Légion.


Dans une langue limpide (et une traduction de Gilles Goullet qui ne l'est pas moins) le roman décrit alors autant le monde qui fut et sa transition vers celui qui est (à travers d'explicites ellipses) que la vie et la transformation de Danaë en ce qu'elle est devenue, ou encore la façon dont la jeune femme assistera à un phénomène aussi singulier (wink, wink) qu'inattendu jusqu'à une nouvelle transformation qui étendra de nouveau ses expériences.


Et le roman est autant un roller coaster boosté à la nitro qu'une jolie théorie de réflexions sur :

  • la chute des empires par la perte de monde partagé (cette part métaphysique sans laquelle une société n'est qu'une association de consommateurs) qu’occasionnent les réseaux sociaux comme atroce et inévitable effet secondaire de leur simple existence,
  • la folie meurtrière et autocentrée d'un incel terrifiant,
  • les difficultés inhérentes à toute tentative de communication pleine entre humains (je ne te refais pas, lecteur, le coup des Yeux des pauvres de Baudelaire tu le connais déjà),
  • la différence qui existe entre l'unité (qui consiste à fusionner des différences pour obtenir une vision plus panoptique du monde) et l'identité (qui agrège des mêmes et n'apporte donc rien de neuf si ce n'est de la force brute, comme on dit en informatique).

On remarquera que, finement, le roman boucle ici, car si l'unité est ce que de doux rêveurs ont cru qu'apporterait l'Internet de masse c'est en réalité à une juxtaposition de « communautés » d'esprits identiques, polarisés et violents qu'il a donné naissance. Sans diversité d'expériences plus d'humanité, c'est le drame intime et extime de Danaë et c'est aussi sans doute le notre en construction.


Le roman est, enfin, balancé, comme l'était il y a peu La Cité des nuages et des oiseaux. Je crois décidément qu'enfin certains auteurs se souviennent que la littérature est toute dans la description fine et belle de l'infinité de nuances qui caractérise des êtres humains irrémédiablement complexes et sont donc les contraires exacts de ces drones, au programme si straightforward que la moindre de leurs actions est prévisible, qui peuplent hélas encore trop des textes contemporains aussi pontifiants que pénibles à lire.

"Unity" est donc un roman de très belle eau, excitant, intelligent et finement écrit. A lire.


Unity, Elly Bangs

L'avis d'Apophis

Commentaires

Zina a dit…
Mais quelle chronique ! Je l'ai lu et pourtant tu me donnerais envie de le relire à nouveau !
Et j'adore ton "kind of" ^^
Gromovar a dit…
Grand merci :)