La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

The City Inside - Samit Basu


Delhi. Inde. Futur proche.

« La plus grande démocratie du monde » a dérivé comme on pressentait qu'elle allait le faire. Entre bouleversements climatiques et géopolitiques, volonté frénétique de s'émanciper d'un Occident de plus en plus perçu comme contre-modèle, et fractures (notamment religieuses) spécifiques à la société indienne, la Delhi de "The City Inside" est une ville dans laquelle il fait mal vivre.

Et si l'on en croit Samit Basu, l'auteur du roman « however bleak The City Inside might seem, the truth is that the real world a decade from now will probably be much harsher: this book is set not in a dystopia, but in a best-case scenario. ». Ca donne envie.


Détaillons un peu le monde que Basu nous promet. Je vais ici procéder comme il le fait régulièrement dans son texte : par accumulation.

Températures caniculaires. Pénuries d'eau et livraisons gardées par des hommes armées. Pandémies diverses et pollution qui obligent à sortir masqué sous peine de problème sanitaire. Inégalités abyssales entre les différentes classes/castes de la société indienne. Sexisme endémique. Migrations incontrôlées. Trafic d'êtres humains. Suprématisme hindou en majesté. Xénophobie violente. Pogroms massifs advenus durant les récentes « Years Never to be Discussed », dont le pays ne s'est jamais remis mais qu'il a appris à taire pour survivre. Inégalités ethniques de droit ou de fait. Milices privées. Milices citoyennes. Milices de voisinage. Milices whateverphobes. Etat autoritaire. Répression très violente des mouvements contestataires. Surveillance constante. Corruption endémique. Emigration de tous ceux qui désespèrent du pays. Oligarques qui, eux, restent sur place. Emprise chinoise croissante. Cyberapp censée assurer le meilleur niveau de bonheur possible... Je pourrais continuer (et accumuler comme le fait Basu dans son projet réussi de montrer la fourmilière Delhi).


Dans ce monde idyllique, magnifiquement décrit par Basu donc, vivent Joey et Rudra. Englués volontaires au milieu de ce monde qui fourmille de vie et de vies, qui est à la fois surpeuplé et jamais un instant immobile, qui oscille sans cesse entre inquiétude et espoir, qui paraît à chaque instant au bord d'une explosion prévisible que le système répressif parvient toujours à contenir.


Joey est une jeune femme de la classe moyenne aisée. Elle est Reality Manager, c'est à dire qu'elle crée, scripte, édite, monte la vie online d'Indi, une star du Flow, le système de téléréalité live 24/24 qui passionne les foules en dépit de son absence totale de vérité : d'où le titre de Reality Manager. Le job de Joey est de s'assurer que la Flowstar Indi (un influenceur puissance 10) apporte toujours plaisir et évasion à ses très nombreux followers et résiste ainsi à la concurrence sur le très compétitif marché de l'attention qu'il domine pour le moment.

Dans sa fonction, Joey est la meilleure. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi une jeune femme insecure toujours proche de son niveau d'alerte stress. Située entre deux extrêmes sociaux, éduquée et informée, Joey est consciente des innombrables dysfonctionnements de la société indienne mais ne sait pas/ne veut pas/n'ose pas s'engager contre. Il y a trop à perdre à le faire, et pas qu'un job ou du confort.

Joey 1 (ambiance) : « She’s making good time on the highway. Her Flowco’s paid for silver-level road privileges for the whole team, which has proved invaluable in getting Indi’s Flows out in time for the office crowd’s morning commute. But even with tolls prepaid, preapproved scans, and cashless-subscription bribes she still has to leave early on shoot days because there are construction delays on every route. »

Joey 2 (ambiance) : « The temperature’s hit fifty again, and while she’s dressed appropriately, like a space explorer on a desert planet, and carries a backpack full of cold water, and has covered every exposed inch of skin (very few, given her large mask and larger sunglasses) with a variety of anti-sun creams, she can feel herself drying, cracking, wilting as soon as she leaves her building, waves of pure heat washing over her, almost blowing her away with their intensity. »


Rudra, lui, est le fils « démissionnaire » d'une riche famille. Il a quitté la propriété familiale depuis des années et vit dans un quartier pauvre, au milieu des migrants, sans rien faire de plus que jouer online et fumer. Gentil et intelligent, Rudra est surtout timide, complexé, convaincu de son infériorité et de son incompétence globale, sa personnalité le fruit d'une brimade paternelle de trop.

Rudra (ambiance) : « One day, he might even get to wear his own smartatt, though he’ll never be as physically fit as the company employee who proxies for him. Rudra is the human equivalent of a shell company : If he dies today, how long will it be before his family notices ? »


Vaguement liés par leur parents, Joey et Rudra se retrouvent lorsque, sur un coup de tête, Joey l'engage comme assistant pour le tirer d'une offre d'emploi dont il ne veut pas. De là, progressivement et largement par hasard, l'un comme l'autre vont être amenés à faire des choix difficiles et à accepter de s'engager pour un avenir meilleur avenir, quel qu'en soit le prix possible.


Delhi donc, et Joey, et Rudra. Et ?

Et pas grand chose. En dépit de qualités descriptives évidentes, en dépit de la mise en place de personnages (même certains secondaires) travaillés et attachants, Basu ne démarre jamais vraiment son roman.

On comprend que ce sont ses craintes ou sa terreur (citée au début de cette chronique) que Basu décrit mais il ne passe jamais le stade descriptif.

Même les analyses des privilèges liés au système des castes ne sont plus reprises ou exploitées après un unique dialogue entre Rudra et son frère : « That’s called privilege. We might not believe in caste, but caste believes in us. »

Quand aux crises censées convaincre Rudra de la réalité des murs et des cités ségréguées – qui donnent son titre au roman –, elles n'apparaissent jamais non plus dans le fil du récit. Réalistes, vraisemblables, mais purement hypothétiques comme tant de choses dans le roman alors qu'il y aurait eu tant à en tirer :

« Delhi has always been a city of seven walls, and the men who live inside each...The walls are invisible. You could only guess you’d crashed into your wall before, when you couldn’t go further, but now the walls can be mapped and measured, the tools exist. Just look at a 3D map of the data that counts—real estate prices. Water supply. Family influence ratings. Anything marking class—therapist location density. It’s like those old geography maps—isotherms. The walls are isothermal. You can see who’s inside and who’s not. A lot of the first-city people can’t even be tracked in this way—only other first-city people know who they are. They’re on some global power map, or on an island somewhere the satellites aren’t allowed to show...We’re in Delhi’s third city. Chopra’s in the second. Delhi’s third city is, let’s say, Asia’s fifth city. It took our father his whole life to get into the third city from the fifth. You have no idea how difficult it is to jump two levels...It’ll be less hilarious when a big crisis hits, and the second city decides to abandon everything outside it. When systems fail so badly that even people like us become ordinary. Have you already forgotten the last time? Sometimes the inner cities have to attack outer ones, for the good of the whole. That’s when the walls become visible, even to idiots like you. »


A la lecture, le début semble un peu vide d'enjeu mais il captive néanmoins par sa frénésie et la richesse de ses descriptions.

Puis, l'ennui menace quand rien d'important ne survient après la très longue exposition.

Arrive enfin le moment où une bascule se fait et où, prêt à pardonner l’interminable introduction, on se reprend à espérer qu'enfin le roman va choisir sa direction.

Espoir douché par une résolution si rapide et si peu résolutive qu'on se demande s'il ne s'agit pas ici d'un tome 1 qui ne dit pas son nom.


Quel dommage ! Quel gâchis ! Basu crée, non sans humour, un monde aussi fascinant et dangereux qu'une plante carnivore mais il oublie d'y placer une histoire qui vaille d'être lue.


The City Inside, Samit Basu


On peut se faire une idée soft de la vie des streamers avec ce dérangeant reportage.

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