Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Brian Evenson - The Glassy Burning Floor of Hell


"The Glassy, Burning Floor of Hell" est le dernier recueil de nouvelles de Brian Evenson.

Horreur, weird, les approches habituelles de l'auteur sont encore présentes dans cet ouvrage qui se distingue néanmoins par la mise en scène régulière d'un monde dans lequel les bouleversements liés à la pollution et au réchauffement rendent la vie presque impossible - une ambiance à la Vaughn Bode. Allons voir de plus près ces 22 textes. Trions le bon et le moins bon, en identifiant quelques thèmes et en n'oubliant pas de dire que l'ensemble est globalement réussi, parfois très, même, pour peu qu'on ait le cœur bien accroché.

Note : je place un +++ à coté des titres des textes les plus bluffants.


Dans "The Glassy, Burning Floor of Hell", plusieurs textes rappellent, même de loin, cette Confrérie des mutilés qui est peut-être le texte le plus connu d'Evenson. On y perd des parties de corps, parfois volontairement, parfois à cause de la ruse d'un tiers malfaisant. On s'en voit ajouter aussi, d'autres fois. C'est le cas dans les premiers et derniers textes, intitulés Leg (un body horror plutôt drôle) et The Glassy, Burning Floor of Hell +++ (avec son inquiétante secte et sa victime innocente) – on notera avec plaisir que les personnages principaux des deux textes se font écho.

Mutilation aussi dans le très 'Twilight Zone' The Devil's Hand +++, et ailleurs encore, métaphoriquement parfois.


Et, à bien y regarder, il est plutôt positif de ne perdre que des parties de corps. Nombreux sont les personnages du recueil qui n'ont pas autant de chance. Les voilà capturés, emprisonnés, utilisés, tués, au gré des besoins d'autres sur lesquels ils n'ont guère voire pas de contrôle.  Voir The Barrow-Men, Grauer in the Snow, Justle +++, et pas mal d'autres encore.


De plus, chez Evenson, les funestes vivants et incarnés ne sont pas les seuls à nuire.

On meurt d'épidémie inédite, dans A Bad Patch (au titre particulièrement ironique).

On est habité par des fantômes, possédé par des entités immatérielles, englouti par des lieux juste à côté du monde. Les enfants morts reviennent, les épouses mortes se vengent, les pères assassinés entraînent leur tueur dans un piège mortel. Ca arrive dans Myling Kommer, Come Up +++ (entre possession et culpabilité), His Haunting +++, Palisade, etc.


Il suffit parfois aussi de la faute d'un seul pour que tous pâtissent. Voilà pourquoi on meurt dans la douleur avant de nourrir de son sang une forêt sacrée devenue folle quand les rites de passage mortuaire immémoriaux ne sont plus respectés, comme ça se produit dans la très sanglante Elo Havel +++.


On risque son intégrité physique dans une ville étrange divisée par un mur scintillant, The Shimmering Wall, qui sépare habitants et lieux les uns des autres, générant danger et opportunités pour ceux qui tentent d'interférer d'une zone dans l'autre. Il y a du Miéville dans ce texte mais aussi des parents qui meurent et des deuils qui se répètent de génération en génération.


On est le témoin impuissant de la fascination d'un psy pour un patient interné qui peint sans cesse son atelier de peintre comme s'il le voyait en temps réel à travers une fenêtre accessible de lui seul. Jusqu'à l'horreur pour le psy, à laquelle nous ne pouvons rien changer. C'est intitulé Haver +++ : HPL, sors de cette histoire et emmène Erich Zann avec toi !


On voit comment, par un double sacrifice, une invasion alien est mise à mal, dans un texte SF à la saveur fantasy, To Breathe the Air +++.


On assiste, surtout et souvent, à la fin de l'humanité. Eteinte, presque éteinte, en cours d’extinction, Evenson ne donne pas cher de l'avenir d'une humanité qui mérite ce qui lui arrive – c'est net dans ses récits et très brillamment exprimé dans la nouvelle intitulé Curator +++ (un summum de nihilisme). Ne sont pas en reste sur ce thème Justle, The Extrication, Nameless Citizen, d'autres encore.


Les textes d'Evenson sont des fins de monde même quand ils ne parlent pas d'apocalypse (et ici beaucoup en parlent). Si le monde disparaît, et l'humanité avec, ne resteront à voir que des ruines et des vestiges vivants, derniers survivants qui ne veulent pas acter le fait et laisser la place. Qu'ils souffrent pour perdurer ou tentent d’accélérer la fin définitive, tous sont soumis à la réalité néantisée dans laquelle Evenson les plonge, d'une manière bien plus tangible et matérielle que ne le fait Ligotti par exemple – et c'est plutôt plaisant imho.

Et quand le monde lui-même ne finit pas, c'est le personnage principal qui, souvent, finit. Les vengeances sont impitoyables, les maladies mortelles, la nature assassine. Aucune compassion ici. On paie cash, ses péchés, ceux de sa lignée, ceux de l’humanité entière.


C'est, la plupart du temps, très bien construit, inquiétant, stressant, parfois déprimant. La maîtrise narrative d'Evenson est grande et, qu'il livre une histoire « classique » ou se lance dans la description navrée d'un monde qui meurt, il parvient, avec juste le nécessaire et pas un mot de plus, à happer le lecteur dans un monde noir d'où il ne peut ressortir que blessé. A toi, lecteur, de lire maintenant pour apprécier à se juste mesure le travail de nihilisme résolu que réalise Brian Evenson dans ce recueil.


The Glassy, Burning Floor of Hell, Brian Evenson

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