Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Blackwater 1 - La Crue - Michael McDowell


Michael McDowell est un auteur américain d'horreur connu surtout en France pour le scénario de Beetlejuice, écrit avec Tim Burton, et sa participation au scénario de L'étrange Noël de Mr Jack. Mais McDowell n'est pas que le créateur de ces deux œuvres, il a aussi écrit le scénario de l'adaptation de La Peau sur les os de Bachman/King et de nombreux épisodes de séries SFFF grand public. Sous son nom propre ou divers pseudonymes, il est aussi l'auteur de quantité de romans et de nouvelles dont une majorité n'a pas été traduite en français.

Ecrivain commercial comme il se définissait lui-même, il se fait feuilletoniste avec le cycle Blackwater – publié en 6 épisodes aux USA de janvier à juin 1983.
C'est cette saga familiale southern gothic que Monsieur Toussaint Louverture propose aujourd’hui au public français (public vaut mieux ici que lecteur car toute personne tentée par l'aventure et l'évasion peut trouver son compte à lire Blackwater même si la dite personne n'est pas d’ordinaire une grande lectrice).
Fidèle au projet de l'auteur – décédé en 1999 –, l'éditeur girondin proposera le cycle en 6 tomes, publiés chacun à 2 semaines d'intervalle seulement, dans une traduction de Yoko Lacour et Hélène Charrier. Voici donc qu'est arrivé "La Crue", premier de ces six ouvrages.

Ce qui attire l’œil ici d'abord – et ça ne détermine habituellement pas mon choix – c'est la qualité de l'objet et la beauté de la couverture. De format poche comme le souhaitait l'auteur (dont Stephen King disait qu'il était le meilleur paperback writer des USA), "La Crue" (et il en sera de même pour ses successeurs) est aussi beau à regarder qu'agréable à toucher. Techniquement Monsieur Toussaint Louverture décrit ainsi la chose : « Impression offset suivie d’une dorure noire puis d’une dorure dorée et enfin d’un gaufrage pour donner du relief et mieux capter la lumière ». Si on ne connaît rien à la technique, qu'on sache juste que le résultat est très séduisant.

Puis vient le texte, l'essentiel quand même.
Saga familiale, saga matriarcale pourrait-on dire, Blackwater raconte, dans cette première installation, les événements qui bouleversèrent le quotidien bien ordonné des Caskey, l'une des trois plus riches familles de la petite ville forestière de Perdido, en Alabama.

C'est d'abord une crue qui ravage la ville (ce genre là). C'est ensuite la découverte, dans l'hôtel abandonné depuis quatre jours, d'une mystérieuse jeune femme rousse qui dit être venue chercher un poste d'institutrice. C'est enfin la façon par laquelle Elinor Dammert, cette jeune femme dont on ne sait rien si ce n'est ce qu'elle affirme, s'insinue et se love tant au sein de la famille Caskey qu'à celui de la ville elle-même. Provoquant jalousies, drames, ruptures et manigances.
On est clairement ici dans une saga familiale, où les vivants côtoient le souvenir des morts. Un salmigondis familial typique – une famille qui ne serait pas névrotique serait-elle vraiment une famille ? – avec vieille rancœurs recuites, mauvais mariage, mère tyrannique, vieille fille définitive, enfant en mal d'amour, amoureux transis, sans oublier toute une domesticité (souvent noire) qui gravite autour des familles, observe, commente, colporte, aide parfois l'un parfois l'autre à contourner les règles.
Attention, lecteur à l'âme contemporaine différentialiste, on est en 1919 dans le Sud des USA. Cela signifie que les Noirs y occupent une position clairement inférieure, tant sur un plan objectif que dans l'imaginaire collectif, y compris le leur. Cela signifie aussi que les hommes gouvernent et paradent – même si, de fait, ce sont les femmes qui dirigent en sous-main, en dépit de leur infériorisation d'apparence.

Mais sache, lecteur, que Blackwater n'est pas juste un Dallas de l'Alabama ni un Twin Peaks des scieries du Sud. Au confluent de la Perdido et de la Blackwater, non loin du tourbillon qui naît de la rencontre des deux rivières, le fantastique imprègne ce récit, même s'il refuse d'être spectaculaire, par choix, par dissimulation. Il y a de la monstruosité. Il y a de la magie sylvestre. Il y a de la mort, qui touche indifféremment l'innocent et le coupable.
Il y a du drame ici, du vrai drame, bien pire qu'une garde à vue de Sue Ellen pour conduite en état d'ivresse.

Il y a un rythme aussi. Bien plus dynamique que celui que cadençaient les whiskys vespéraux d'un J.R. sans cesse de retour à Southfork. Il y a des rebondissements. Nombreux. Des retournements de situation ou d’alliance. Des intrigues dans des intrigues. Et surtout, une lutte brutale pour le contrôle de la famille Caskey entre la matriarche en titre (la mère, Mary-Love) et celle qui voudrait lui succéder dans ce rôle (Elinor), deux femmes aussi fortes et manipulatrices l’une que l'autre. Autour de cette lutte primordiale, les autres protagonistes sont au mieux des pions, au pire de simples spectateurs.

Il y a enfin un art de la description et de l'ampleur, on pourrait presque dire de l’emphase descriptive, dont McDowell use et abuse en homme de terrain, en régional de l'étape. Comme HPL avec le Massachusetts ou Stephen King avec le Maine, McDowell peuple son Alabama personnel – qu'il connaît et donc raconte mieux que personne – de forts personnages imaginaires, de légendes en train de s'écrire, d’une mythologie en train de se faire, le tout au cœur d'une ville, lovée dans la forêt dont elle tire sa richesse, qui abrite dorénavant en son sein une créature dont on peut questionner l'humanité.

A la fin du tome 1, une forme d'équilibre est atteinte entre les deux adversaires. Il faudra attendre la prochain opus, "La Digue", très bientôt, pour savoir comment bougera cet équilibre. On sait déjà que les six tomes se déploient sur des décennies, donc que du changement il va y en avoir.

Blackwater t1, La Crue, Michael McDowell

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