Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

John Langan - The Wide Carnivorous Sky and Other Monstrous Geographies


John Langan est l'une des voix importantes de la « nouvelle » scène fantastique américaine. Je reviens régulièrement à ses livres car, en dépit de fin qui laissent parfois un goût de trop abrupt, il a un vrai style, une manière originale et personnelle de raconter les histoires qui les rend captivantes.

"The Wide Carnivorous Sky and Other Monstrous Geographies" ne fait pas exception à la règle. Captivant toujours (sauf peut-être dans les deux courts textes private jokes qui mettent en scène des amis à lui), il innove dans sa narration et parvient à renouveler des tropes connus de la littérature fantastique, tout en continuant à tracer son sillon, fait de personnages souvent universitaires, d'histoire locale, de temps long, et de récits dans lesquels les interactions entre les personnages médiatisent leur rapport au monde et à ses mystères.


Revue de détail :


Commençons par les deux textes courts. Trop courts pour être autre chose que prévisibles, ils sont le genre de textes destinés par nature à se retrouver dans des anthologies, sans plus.

Kids illustre la sort funeste qui frappe un enseignant confronté à une classe d'enfants « particuliers » ; elle met en scène le critique Jack M. Haringa.

June, 1987. Hitchhiking. Mr. Norris. est une histoire d'auto-stoppeur malchanceux ; elle met en scène le grand ami de Langan, Laird Barron.


Dès après Kids on trouve How the Day Runs Down. Ce texte innovant raconte une invasion zombie dans une petite ville américaine, une de ces petites communautés où tout le monde se connaît et s'entraide. Mais ici ça ne suffira pas. Du vaste monde où tout a commencé on ne saura presque rien, le focus est sur la petite ville. Il est placé là par le narrateur, le régisseur (de théâtre), qui raconte l'histoire, montre les lieux et fait témoigner certains habitants, le tout depuis une scène de théâtre à l'avant d'une salle dans laquelle on comprend que de malheureuses victimes de l'invasion ont pris place.

Reprenant dans ce texte la forme de la pièce Our Town de Thornton Wilder, Langan raconte la catastrophe comme une succession de scènes dans lesquelles chaque acteur involontaire doit jouer son rôle. On y trouve, entre autres, le témoignage bouleversant d'une mère de famille qui a perdu toute sa famille et raconte, comme tous les autres, des faits qui ont se sont produits off-stage.

Un texte très réussi imho.


Suit Technicolor, une réécriture/réinterprétation du Masque de la Mort Rouge d'Edgar Poe. Présenté comme une leçon universitaire, le texte mêle un inquiétant texte fictif et une analyse détaillée de la nouvelle de Poe (notamment de la manière dont le dit texte l'aurait inspirée). Mais Technicolor n'est pas qu'une analyse érudite et en partie fictionnelle, on y trouve aussi des éléments fantastiques qui interviennent directement dans la leçon elle-même, dans le huis-clos qu'elle constitue comme l'abbaye l'était dans le texte étudié.

Passionnant.


Tu liras ensuite, lecteur, The Wide Carnivorous Sky. Elle met en scène un vampire très éloigné de l'aristocrate décadent imaginé par Stoker et des chasseurs de vampire tout aussi peu conventionnels. Sache, lecteur, que l'histoire commence à Falloujah, que la mort tombe du ciel, et qu'elle fauche indifféremment insurgés irakiens et soldats US surentraînés. Sache encore que te sera racontée la lente reconstruction de soldats fauchés et mutilés, qui luttant sans pathos aucun contre handicap physique, PTSD et vie personnelle en ruine, font de la traque du vampire le moteur de leur retour à une forme imparfaite – forcément imparfaite – de sérénité. Si ça réussit. S'ils ne meurent pas durant la traque d'une créature bien plus étrangère que ne le sera jamais le comte Dracula ou Lestat de Lioncourt.

Un bon texte encore que je dédie en ce jour à Ann Rice, mère des plus fascinants vampires du monde, qui s'est éteinte aujourd'hui. RIP.


City of the Dog est une nouvelle approche du mythe de la goule. Bien écrite, rythmée, elle est néanmoins trop prévisible pour accrocher vraiment l'intérêt d'un aficionado.


The Shallows est une belle nouvelle lovecraftienne qui imagine un monde dans lequel les Grands Anciens seraient enfin revenus. Localisme ici encore. Nous sommes après les faits, et nous les découvrons à travers l'activité de jardinage d'un survivant. Seul si ce n'est la compagnie d'un « crabe » clairement étranger qui le suit partout par curiosité, la nouvelle met en scène un homme qui s'est résigné à vivre dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui dans lequel il vécut. Vivant dans ses souvenirs, les partageant avec le « crabe », cultivant des plantes et côtoyant des animaux dont certains sont clairement dangereux, il a fait le deuil du monde d'avant pour vivre dans celui-ci, et on comprend que s'il peut s'y résoudre c'est d'abord parce que son monde propre s'était arrêté avant même le début des événements.

Un beau texte nostalgique et paisiblement glaçant.


The Revel est encore une innovation narrative. Il raconte les méfaits d'un loup-garou dans une petite communauté en morceaux séparés de texte. L'action, les lieux, les personnages, tous ces éléments se succèdent explicitement et font progresser l'histoire d'une façon originale. Ici encore, le monstre n'est pas humanisé, il n'est pas tragique, il est juste monstrueux.

Réussi.


Enfin, Mother of Stone, le plus long texte. Une universitaire enquête dans une petite ville sur ce qui semble être une légende urbaine impliquant une statue déterrée et une femme enceinte décapitée dans un accident de voiture. Raconté à la deuxième personne, centré sur l'universitaire et son enquête, le texte offre à celle-ci comme au lecteur une reconstitution progressive des faits basée sur la succession de témoignages plus ou moins détaillés. Mêlant histoire de fantôme, exorcisme chrétien et mythologie lovecraftienne, Langan crée un texte original et intrigant de bout en bout. Car de fait, au début, la légende urbaine et ses mèmes fragmentaires et déformés étouffent la réalité d'événements que peu comprirent et dont peu souhaitent reparler. Ce n'est qu'à la patience et à la ténacité d'une universitaire qui se prend peu à peu à rêver de gagner grâce à ce récit une belle notoriété – cette monnaie du système académique américain – que se lève le voile sur des vérités anciennes qui auraient dû rester pour toujours enterrées.

Un texte réussi. On notera qu'aux lecteurs de The Fisherman, il offre même un discret easter egg.


L'ensemble forme un beau recueil fantastique qui charme par son originalité. On y croise quantité de monstres et de situations connues auxquels Langan donne une nouvelle jeunesse et un lustre certain.


The Wide Carnivorous Sky and Other Monstrous Geographies

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