La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

William S. Burroughs SF machine - Clémentine Hougue


William S. Burroughs est un auteur américain né en 1914 et mort en 1997. Connu des amateurs d'un mouvement beat auquel il a toujours nié appartenir même s'il fut proche de Kerouac et Ginsberg, il l'est aussi des cinéphiles weird pour l'adaptation (imparfaite mais combien excitante) que Cronenberg fit de son Festin Nu. Drogue, sexe, étrangeté radicale,  les thèmes qu'abordent Burroughs n'en font pas un écrivain grand public ; sa biographie en rebutera certains aussi. Et pourtant quelle vie ! Quelle volonté d'innover et de dire ! Jusqu'en SF ? C'est la thèse de Clémentine Hougue dans "William S. Burroughs SF machine", titre jouant sur le terme de machine qui est au centre de l'analyse de Burroughs, une machine SF.


Connu pour avoir popularisé la technique du cut-up, inventée par le poète Brion Gysin, Burroughs fit de cette technique un usage intensif – notamment dans sa trilogie Nova. Découpage de fragments de texte réassemblés puis collés enduite afin de produire un sens nouveau, le cut-up, loin d'être un gimmick poétique pour Burroughs, devient dans son œuvre autant un moyen de faire progresser le récit que de le subvertir – car si la guerre se joue en coupant les lignes de communication  il faut avant toute chose couper les lignes physiques qui la raconte sur la page.


Mais SF ?

D'abord auteur de nouvelles, puis de romans, Burroughs a notamment écrit la trilogie Nova (La machine molle, Le ticket qui explosa, Nova express) qui relate une guerre interplanétaire, un conflit organisé par une « mafia » qui cherche à s'assurer la domination en intoxiquant les esprits par l'image et les mots. Pas de Star Wars ici. Outre l’étonnant procédé du cut-up, le cycle se caractérise par l’intervention de personnages dont on dira qu'ils ressemblent peu aux héros de l'Age d'or de la SF ; c'est aussi le cas dans le SF/weird Festin nu.


Alors quoi ?

Si on lit toute l’œuvre de Burroughs, nous dit Hougue, on découvre un auteur SF qui développe une vision totale du monde, qui le montre comme une dystopie technologique dans lequel le contrôle s'exerce par le langage. Sapir-Whorf + réseaux de communications.

Peu reconnu par la critique SF dans son pays, il connaît une réception un peu meilleure en France où on associe plus volontiers SF et avant-garde. Pourtant, Le festin nu est à la confluence de la SF et du weird, et la trilogie Nova est clairement SF avec l'intervention d'aliens vénusiens.

On sait par ailleurs que Burroughs lisait de la SF et qu'il connaissait la technique du fix-up (imposée par les formats de publication de l'époque, et à l'origine involontaire des histoires à univers partagé). Burroughs, lui, écrit des « routines », sorte de nouvelles très courtes à la fin souvent spectaculaires. Et assemblant des routines, il forme des textes plus longs qui préfigurent ce que sera le cut-up dans son œuvre. On notera que la notion d'univers partagé donnera aussi les cycles de romans, dont la trilogie Nova est un exemple chez Burroughs (il en écrira d'autres).

C'est donc une sorte de roman sans fin qu'écrit Burroughs, de lieu imaginaire dans lequel on peut toujours revenir pour y ajouter une touche, en dévoiler une nouvelle facette, comme le carnet d'exploration d'un territoire infini.


Au centre des préoccupations de Burroughs, la Machine, entité informationnelle privative de liberté qui menace et contrôle. Une Machine qui est sa propre fin de Forster au cyberpunk.

Dystopie technologique (et au centre, la Machine) contre utopie libertaire, c'est ce qui se joue dans les textes de Burroughs, comme la préfiguration de menaces et de révoltes à venir que l'auteur aurait pressenties bien avant d'autres (on dira néanmoins que les questionnements sur la cybernétique sont très fréquents à l'époque et que Burroughs est un parmi d'autres).


Aux sources de l’œuvre de Burroughs il y a, entre autres, des textes SF dont on remarque les proximités thématiques avec ce qu'écrira l'auteur. Du double maléfique primordial chez Lewis à la violence de l'insurgé chez Kuttner en passant par le fix-up du Twilight d'Anderson ou le Star Virus des pirates de Bayley, Burroghs connaît et apprécie ces textes et ces thèmes. On les retrouve chez lui.

Anti-héros, mutants, toxicos, pirates (spatiaux) peuplent les récits de Burroughs, comme on y retrouve la planète Vénus, réelle, fantasmée, symbolique, lieu d'une sauvagerie que l'humain ne maîtrise pas (comme la forêt l'était au Moyen-Age) et d'une altérité radicale aussi menaçante que facilement identifiable. C'est aussi à la viralité du langage qu'il s'attaque, à son caractère parasitaire et hégémonique, une viralité inquiétante qui ne se limite pas à la langue mais peut aller jusqu'à transformer par contamination phénotypes ou génotypes. Et que dire des médias ? Outils de contrôle, outils de manipulation, façonneurs de réalité, ils sont adversaires de la liberté (Orwell, je t'invoque). Aucune résistance ne peut faire l'économie de leur silenciement. Derrière les médias, la « mafia » qui orchestre le complot et cherche à faire advenir une race supérieure en tentant d'installer un complexe totalitaire.

Enfin, l'infini créativité lexicale dont fait preuve Burroughs le range clairement dans un monde SF. Langage nouveau qui engendre une nouvelle réalité signifiée. Par le langage s'ouvrent des sens nouveaux et des voies nouvelles, et c'est par le cut-up, ce déchiquetage méthodique des unités de sens, que Burroughs va chercher, comme derrière les portes de la perception, les sens cachés qu'ils veut dévoiler.


Terminons ce rapide survol en disant que la postérité SF de Burroughs est immense, de Ballard au cyberpunk en passant par l'aussi énorme qu'indispensable Tous à Zanzibar de Brunner. Forme et fond, Burroughs a pris à la SF et il lui a rendu au centuple.


William S. Burroughs SF machine, Clémentine Hougue

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