Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Vers les étoiles, Mary Robinette Kowal


3 mars 1952. Une énorme météorite s'écrase dans l'océan Atlantique au large de Washington DC. Onde de choc, déluge de feu, tsunami, éjectas, la catastrophe tue des millions de personnes et transforme des millions d'autres en réfugiés, loin d'une côte Est des USA devenue largement inhabitable. De cet enfer se sauvent in extremis Elma et Nathaniel York, la jeune femme « chevauchant » la tempête aux commandes de son Cessna.

Précisons qu'Elma et Nathaniel York ne sont pas n'importe quels survivants. Elma, docteur en physique, surdouée des maths, et fille de général de l'USAF, est calculatrice humaine (comme les Figures de l'ombre, du roman et du film) dans le programme NACA, l'ancêtre de la NASA ; Nath est l'ingénieur en chef du dit programme. Et là on voit le problème qui meut Mary Robinette Kowal, l'autrice : à Nath la position de pouvoir, à sa femme le rôle backstage. C'est ainsi qu'a vraiment fonctionné la NASA pendant de nombreuses années – et ne parlons même pas d'inclure des Noirs ou autres, au premier plan du moins.


Quand les calculs d'Elma prouvent que la catastrophe, loin de tuer en one shot, provoquera à court terme un réchauffement climatique fatal à l'humanité, il devient évident pour les nations largement réunies qu'il est capital de faire d'énormes efforts financiers et humains afin de développer un programme spatial capable d'installer une colonie humaine sur la Lune puis sur Mars – et personne en 1952 ne critique Elon Musk ou l'infaisabilité du projet ;)

"Vers les étoiles" est le récit de cet effort vers une échappatoire ; c'est aussi une uchronie technique mais surtout sociétale, inaugurée par l'élection de Dewey en 1948.


Elma, dont le roman est l'histoire à la première personne, lutte pied à pied six ans durant (de 1952 à 1958 et au premier homme sur la Lune – Elma tenant le rôle de Michaël Collins en orbite autour de notre satellite) pour que les femmes soient pleinement intégrées au programme spatial, y compris en tant qu'astronautes de pleins droit et exercice. Et Elma se heurte aux contraintes d'une société américaine dans laquelle les femmes – mais aussi les Noirs ou les Asiatiques par exemple – sont soumis à des discriminations parfaitement inéquitables. Le chemin pour obtenir la simple égalité de traitement, entre interdiction pure et simple et critères de recrutement injustes, est long, rude, semé d’embûches. Pour le parcourir, Elma aura besoin d'autant de volonté que de détermination.

D'autant qu'Elma est atteinte d'un puissant syndrome de l'imposteur qui la paralyse dans les moments critiques où elle doit s'avancer dans la lumière et prendre la parole en son nom propre – quelle part de ce syndrome est personnel et familial, quelle part symbolise pour le lecteur la « domestication » collective des femmes ? Le récit ne donne que peu d'indices pour trancher. Toujours est-il qu'il handicape Elma et risque même d'être un levier de pression pour l'éjecter du programme, avec les autres femmes, au nom de leur « fragilité nerveuse » et d'un désir très patriarcal de protection de ces personnes que le monde traite comme des mineures à vie.

D'autant que la constante misogynie sociale et administrative sous-jacente est renforcée ici par son incarnation dans le personnage d'un astronaute, le colonel Stetson Parker, premier homme dans l'espace, qu'Elma a connu pendant la guerre lorsqu'elle était pilote, comme tant d'autres femmes, pour le WASP, et avec qui elle a un lourd passif pour l'avoir envoyé en cour martiale pour harcèlement. Un Parker qui s'oppose systématiquement à elle, jusqu'à ce que la popularité d'Elma comme Lady Astronaute de la télévision force l’administration de la NACA à céder, et Parker avec, à son corps très défendant.


Elma, dans sa lutte pour une égalité des droits – pour les femmes mais aussi pour les Noirs – traverse au fil du roman toutes les étapes concrètes de la discrimination.

Elle est vue longtemps plus comme la femme de son mari que comme une physicienne et mathématicienne à part entière – jusqu'au titre de Docteur qui lui est longtemps refusé dans l'interpellation ou les Madame Nathaniel York qu'on lui adresse.

Elle et ses compagnes sont appelées « chérie » par les techniciens.

Elle et ses compagnes subissent un harcèlement à plus ou moins bas bruit.

Elle et ses compagnes ne sont intégrés qu'avec réticence au programme – ce qui est un peu mieux que dans notre réalité où le programme Mercury 13 fut interrompu – et on les cantonne longtemps à un rôle de charmante représentation, apprêtées et photographiées comme des poupées de luxe, jolies, amusantes, mais jamais pensées pour être crédibles ou compétentes – de l'épisode du test Dilbert Dunker en bikini à celui de l'incroyable résolution des équations de mécanique orbitale, tout dit la même chose : on attend de ces femmes qu'elles soient de jolies potiches car on ne les croit pas capables d'être plus.


Heureusement pour elle et les autres femmes, Elma a un allié (j'utilise volontairement le terme contemporain tant le personnage est pensé pour) en la personne de son mari Nath, et des « sœurs » pilotes et/ou scientifiques qui luttent avec elle. Elle gagne progressivement, de surcroît, le soutien d'une opinion publique séduite par son rêve d'espace au point de créer des vocations chez nombre de petites Américaines. Confronté à la détermination d'Elma et aux vents de l'opinion, les digues anciennes cèdent peu à peu, non sans résistance mais de façon aussi inéluctable que définitive.


Avec "Vers les étoiles", Mary Robinette Kowal, écrit un roman militant très lisible – ce qui n'est pas toujours le cas. C'est aussi un roman très documenté – mis à part les points uchroniques, tout ce que cite Kowal est vrai. Néanmoins j'ai regretté à sa lecture le déséquilibre entre un récit largement interne et personnel et des étapes d'une conquête spatiale (qu'on qualifiera de très optimiste techniquement) comparativement très en arrière-plan. De fait, passé le premier tiers environ, l'ennui a commencé à me gagner tant l'histoire, finalement ni très scientifico-technique ni très politico-tactique (en dépit d'un Martin Luther King dont on entend régulièrement parler mais sans jamais le voir, comme les autres institutions, parfaitement inexistantes dans le background), est certes celle d'une lutte se faisant – et dont l'issue ne fait aucun doute – mais aussi, et trop à mon goût, une histoire privée pleine de parents décédés, de frères polio, de tantes miraculeusement rescapées, de neveux fêtant leur bar-mitzvah, et d'agréables parties de jambes en l'air. Ajoutons-y le gentil petit couple Elma/Nath et les copines dans une relation d'amour/haine, et j'ai eu le sentiment d'errer quelque part entre une sitcom rétro et Le club des Cinq : « Ca changeait la donne. Et il tenait la promesse qu'il avait faite à des enfants » ; « Félicitations, mesdames. Aux étoiles. » En riant j'ai trinqué, avec mes amies. « Encore mieux : au club des Ladies Astronautes. ».

Le focus est sur Elma et sa bienveillante petite bande, quant au reste, l'important donc, il se règle progressivement backstage, fruit de l'obstination d'Elma  qu'assiste le soutien de médias (là, Kowal tape juste) qui prennent fait et cause pour la Lady Astronaute tant ils aiment les belles histoires. De ce point de vue, la série For All Mankind équilibre bien mieux privé et public.


Ceci posé, on peut aussi élargir le débat au fond même. Kowal fait ici œuvre d'uchronie intersectionnelle, comme le faisait par exemple la série Hollywood. On peut se demander quelle est l'utilité de réécrire une histoire jugée insatisfaisante pour lui substituer une fiction dans laquelle les torts de la réalité sont redressés par un scénariste bien intentionné. La démarche me paraît un peu vaine. Les morts du passé ne se relèvent pas sous prétexte qu'ils le font sur Netflix.

Alors plutôt que d'attendre le roman dans lequel Mégara, après le meurtre d'Hercule, est condamnée à accomplir douze travaux, il me paraît plus utile de lire par exemple le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses, de Catherine Dufour ; là au moins on va de l'avant.


Vers les étoiles, Mary Robinette Kowal

L'avis de Lhisbei, de Feyd Rautha, d'Apophis, de Lune, de Tigger Lilly, de Cédric

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