Rich Larson - The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches

Quelques mots sur The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches , le tout récent recueil de micro-nouvelles de Rich ‘ Fabrique des lendemains ’ Larson . 30 textes, chacun lisible en une à six minutes, grand maximum  (une ou deux déjà traduites en français dans le recueil susnommé) . Du court, du court, du court, du bon, du bon, du bon. De la SF, du post-apo (voire très post-apo) , du cyber, du body-horror/weird, du genemod. Je ne peux pas raconter, même un peu car, les nouvelles étant courtes et parfois à chute, ça spoilerait trop. Qu’on sache juste que c’est globalement très bon, que lorsque ça l’est moins c’est court, et que, même si le background n’est pas toujours cyber, ça forme, par la noirceur et l’inventivité technologique de l’ensemble, ce qui se rapproche le plus aujourd’hui d’un très bon recueil cyberpunk/SF. Pour donner un peu envie (si ce qui précède ne te suffit pas, ingrat de lecteur) , je liste ci-dessous, en vrac, quelques-uns des tropes que tu croiseras dans les pages

Kent State - Derf Backderf



Mai 1970. Université d'Etat de Kent, Ohio ; Kent State pour le dire vite.
L'université a beaucoup grandi en quelques années. Une génération nouvelle, tant par l'origine sociale que par l'orientation idéologique, accède à l'enseignement supérieur durant les années 60. Ces étudiants, dont une partie est très opposée à Nixon et à la guerre du Vietnam, sont vus avec méfiance par la population, disons très conservatrice, de la ville de Kent, et avec une hostilité non dissimulée par le Président des États-Unis et ses services.

Car, disons-le, les années 60 sont une période de trouble existentiel pour la nation américaine, qui signe sans doute la première mise en lumière de la fracture américaine, entre partisans et opposants aux droits civiques, partisans et opposants à la guerre du Vietnam, partisans et opposants à une lutte à mort contre le « communisme mondial » caractérisée par la double politique de « l'endiguement » et de la course aux armements nucléaires.
Disons aussi qu'une partie de la jeunesse, étudiante notamment, refusait, par conviction ou par peur, d'être mobilisée pour le Vietnam, alors même que le nombre de conscrits ne cessait d'augmenter et que, cerise sur le gâteau,  la conscription par loterie, instaurée en 1969, affaiblissait fortement la forme généreuse d'exemption dont bénéficiaient jusque là les étudiants.

C'est donc une poudrière que cette période qui connut au moins quatre assassinats politiques d'ampleur nationale voire mondiale, des troubles raciaux récurrents, des émeutes urbaines ou étudiantes, des organisations violentes (Black Panther Party ou Weathermen pour ne citer qu'eux, contrairement aux Yippies qui formaient la tendance groucho de l'ébullition) se confrontant à des services gouvernementaux (FBI notamment, pour ne parler que des fédéraux) qui ne l'étaient pas moins.

Retour à Kent et à mai 1970. L'université est mise en ébullition (limitée) par l'annonce faite par Nixon d'une extension du conflit vietnamien au Cambodge. Quelques jours auparavant, des émeutes à Ohio State (pas bien loin) avaient conduit à des affrontements entre Garde Nationale et étudiants, avec un lourd bilan pour les étudiants : 100 blessés et 300 arrestations. Mais en ce 1er mai, Kent State est à peu près calme ; l'agitation étudiante anti-guerre, minoritaire, y est à son niveau habituel. Kent State est une université calme pour l'époque.
C'est pourtant à Kent qu'une agitation nocturne dans le quartier des bars, objectivement très modeste, conduit le maire à enclencher un processus de confrontation violente incontrôlé qui conduira à la mort de quatre étudiants.
Déclaration d'état d'urgence (imaginaire), évacuation manu militari d'étudiants plus avinés que véritablement agressifs et encore moins dangereux, l'agitation dégénère en une « émeute » très circonscrite dans le temps comme dans l'espace.
Et pourtant, cela suffit à appeler sur la campus la Garde Nationale de l'Ohio. Et à engendrer une montée aux extrêmes entre une faible partie des étudiants, mobilisés (manipulés ?) par le syndicat SDS et des autorités locales irresponsables, incompétentes, et pleines du discours agressif de Nixon – qui rappelle l'analyse du nazisme comme système dépourvu de la nécessité d'ordres formels car la parole du chef vaut, de facto, ordre, dans son implicite même.

De provocation étudiante en riposte disproportionnée non dépourvue d'arrières pensées politiques – de la part du gouverneur de l'Ohio, Jim Rhodes, en particulier – ce qui aurait dû n'être qu'une protestation pacifique s'achemine vers un drame dont personne ne sera jamais tenu pour responsable si ce n'est l'Etat de l'Ohio dans le cadre d'une procédure civile.

Voilà donc face à face, pendant quatre jours, une poignée d'étudiants mobilisés et une troupe de soldats amateurs, fatiguée, mal entraînée, très mal commandée, mais très bien armée. Une troupe militaire donc, engagée dans une opération de maintien de l'ordre, ce qui est une aberration à tant de niveau qu'on ne peut les dire tous.
Ajoutons-y la lâcheté crasse du président de l'université, Robert White, la complicité objective du maire, LeRoy Satrom (déjà, peut-on avoir confiance en un prénommé LeRoy ?), et redisons encore une fois l'incompétence notoire du commandement de la Garde sur le terrain, du haut en bas de la hiérarchie.
Ajoutons-y aussi le rôle trouble de Terry Norman, un mouchard du FBI, armé, présent sur le campus au milieu des troubles, et dont on ne sut jamais s'il tira au pas ce jour-là.
Ajoutons-y enfin la paranoïa – des snipers notamment – qui habitait une partie des Gardes nationaux, et la gêne qu'engendraient les équipements de protection inadaptés dont ils disposaient (a contrario de la puissance létale des armes et munitions qu'ils utilisaient), et tout était prêt pour un désastre. Il se produisit le 4 mai.

Nouvelle manifestation, tentative d’évacuation par la force de quelques centaines (au grand maximum) de manifestants étudiants parmi lesquels certains participent pour la première fois, mouvements tactiques aussi aléatoires que critiquables, rumeur de coup de feu, volonté de représailles ? (jamais prouvée),  une partie des Gardes nationaux tirent droit devant eux, avec leur fusils à longue portée M1 Garand chargés de munitions anti-blindage.
67 coups de feu en 13 secondes, sur des manifestants, des passants, des badauds. Ils tuent Jeff Miller, Allison Krause, Bill Schroeder, et Sandy Scheuer. Neuf autres sont blessés par balle, dont deux qui resteront estropiés à vie. Sur ces treize, neuf seulement faisaient partie des manifestants. Et passé le choc et l'effroi, ce n'est que l’intervention du professeur Glenn Frank qui permit d'éviter une reprise des hostilités et le risque d'une seconde tragédie.

Avec "Kent State", Derf Backderf – l'homme qui avait fait Mon ami Dahmer – livre 290 pages d'un travail de reconstitution extrêmement documenté qui établit presque une version définitive des événements du 4 mai 1970. Equilibré et jamais militant, Backderf pose les faits, expose les points de vue, rend aux victimes une histoire par-delà le fait public, et cite lors des trente dernières pages de l'album la totalité de ses sources, page par page.
Du très bon boulot, dont devraient s'inspirer tant d'autres dont le militantisme est la seule carte narrative qu'il ont en main ; quand on veut dénoncer, la vérité suffit.

PS : Kent State vient d'obtenir le Eisner Award 2021 catégorie Best Reality-Based Work.
PPS : Et j'ai encore une fois envie de relire Armageddon Rag.

Kent State, Derf Backderf

Commentaires

chéradénine a dit…
Merci pour la chro !
J'avais beaucoup aimé Mon ami Dahmer ou Trash du même auteur, mais celui-ci m'a fait hésiter tant les faits semblent répertoriés minute après minute. Content qu'il ait gagné un prix !

Gromovar a dit…
Yep. Et c'est tout récent.