Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Maus (format original) - Art Spiegelman


Maus, format original chez Flammarion. Un coffret, deux albums petits formats, un livret bonus de 16 pages (avec un graphique important qu'on verra dessous).

Je ne vais pas ici chroniquer une œuvre déjà ancienne, multiprimée dans le monde entier, qui a été analysée sous toutes les coutures jusqu'à de nombreux travaux universitaires, et qui, de surcroît, raconte une Histoire que nul n'ignore (quoique).
Je vais donc simplement dire deux ou trois choses :

  • Maus raconte deux histoires : celle de Vladek Spiegelman et des siens, emportés par les vents mauvais de l'Histoire de Częstochowa en Pologne à Auschwitz et jusqu'aux marches de la mort ; et celle d'une longue conversation à New York entre Art Spiegelman, né en 1948 en Suède, et son père Vladek, dix ans après le suicide de Anja, mère d'Art et seul vrai amour de Vladek. De cette conversation naît, sur de nombreuses années, le double album Maus et une meilleure compréhension entre le père et le fils.

  • Maus raconte l'histoire générale de la Shoah à travers celle de Vladek et des siens. Une histoire aussi générique qu'elle est particulière. Ce qui arriva aux Spiegelman arriva à tous les Juifs de Pologne (et d'ailleurs) mais les formes particulières de cette odyssée furent celles des Spiegelman et d'eux seuls.

  • Maus montre le meurtre brutal permis par la disparition complète de tout surmoi individuel dans un Etat où la parole du Führer est le seul surmoi possible, cohabitant avec la rationalité froide et efficiente du processus industriel de l'extermination (des dizaines de pages racontent Vladek à Auschwitz).

  • Maus montre la déshumanisation complète dont témoigne plus que tout le fait que le tabou du meurtre d'impulsion disparait complètement, que le Juif. On peut tuer le Juif par énervement, agacement, ennui. On peut le tuer tout simplement. Who needs a reason ?

  • Maus montre, à la fin de tout, la folie exterminatrice qui ne cesse pas, l'acharnement à cacher la vérité des camps et et à tuer ceux qui étaient à la fois des témoins et des victimes désignées.

  • Maus montre que, même sortis des camps, personne n'en sortit vraiment jamais.

  • Maus met en scène la culpabilité de ceux qui ont survécu et la culpabilité de ceux, venus après, qui n'ont pas même pas eu la malchance de survivre.

  • Maus montre comment, pour les Juifs de Pologne, l'enfer commença bien avant les camps, entre ghettos et exécutions sommaires,  comment tant d'entre eux n'eurent même pas l'occasion de vivre jusqu'à voir les camps.

  • Maus montre ce que devient l'homme quand il ne veut plus que survivre, quand plus rien n'existe que l'instinct de survie.

  • Maus montre à quel point survivre devait bien plus à la chance qu'à une quelconque habileté, même si un peu d'habileté aidait assurément.

  • Maus illustre le spectre complet de la réalité humaine : de l'héroïsme gratuit à la bassesse la plus immonde ; il montre aussi que les deux cohabitent parfois dans la même personne.

  • Maus est infiniment touchant car il est l'histoire d'un homme et des siens, anéantis par les vents de l'Histoire, qu'il met l'Histoire à portée de perception humaine.

C'est donc brillant, sous quelque angle qu'on regarde. C'est très accessible parce que c'est en BD, et c'est aussi profondément humain que vrai parce que c'est une histoire qu'un père raconte à son fils, parce que c'est la transmission la plus simple et le plus directe qui se puisse imaginer. Art Spiegelman donne au monde son passé au fur et à mesure qu'il le découvre lui-même. Un passé que seul son père peut lui raconter car :


Maus (format orginal), Art Spiegelman

Commentaires

Baroona a dit…
Si l'expression "une image vaut mille mots" avait besoin d'un exemple, je crois qu'il n'y aurait pas plus parlant que ce graphique.
chéradénine a dit…
Merci !
En feuilletant une édition en magasin à la recherche de la fameuse photographie placée à la fin de Maus, et que je trouve d'une puissance extraordinaire, j'ai eu le choc de ne pas la retrouver. Est-ce que j'ai mal vu ou que ça dépend des éditions, parce que je la trouve tellement essentielle que sa suppression volontaire me semblerait incompréhensible: passer du dessin, du symbole, de la représentation à l'image rayonnante du père dans ses habits de prisonnier, c'est d'une justesse implacable. Il me semble que pas mal de graphic novels ont repris ce procédé.

Ah...on se souviendra tous du "c'est à ce moment-là que mes ennuis ont commencé", mais je n'ai pas trouvé l'élan de relire Maus. Après, il faut un peu partie de moi.
Gromovar a dit…
Salut,

Dans cette nouvelle édition, elle n'est pas à la fin, seulement dans le récit, à l'endroit où Spiegelman l'a placée, à l'antépénultième page. C'est ce que tu voulais dire ?

Image impressionnante en effet. Troublante même, voire dérangeante par son côté définitivement incompréhensible.
chéradénine a dit…
Oui, merci: j'ai dû mal chercher.