L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

Le Sang de la Cité - Chamanadjian Guillaume


"Le Sang de la Cité" est le premier roman de Guillaume Chamanadjian. Il est aussi le premier volume de la trilogie Capitale du Sud, l'un des deux volets du cycle La tour de garde, prévu en six volumes entre aujourd'hui et 2023. Trois romans dans une capitale du Sud, écrits par Chamanadjian, et trois autres, entrelacés, dans une capitale du Nord, écrits par Claire 'Long voyage' Duvivier.


Gemina est une grande ville du Sud. Adossée à son port et à la mer, Gemina est divisée en baronnies que contrôlent de vieilles familles nobles dirigées par des Ducs. Si existe une sorte d'administration municipale et même une force de police, le gros du pouvoir est entre les mains des Ducs, qui, au-delà même de leurs forteresses et de leurs maisnies, étendent leur influence sur une « clientèle » locale ; un fonctionnement qui rappelle celui des grandes familles de la Rome antique. Entre les Ducs les relations sont contractuelles, faites d'accords juridiques et d'alliances matrimoniales, le tout vaguement encadré par un entrelacs assez lâche de normes juridiques communes et « garanti » par des gardes du corps armés.


A Gemina, le Duc Servaint – chef de la maison Caouane – est un homme puissant qui veut le devenir encore plus. Des années après avoir abattu la maison des Dauphins et y avoir recueilli deux jumeaux maintenus dans une une claustration cruelle, le Duc, qui s'est installé dans la place-forte de ses ennemis exterminés, veut créer dans la ville un canal S/N qui relierait les quartiers Sud aux quartiers Nord en s'affranchissant du bon vouloir et des octrois des Maisons du Centre. On imagine sans peine que les dites Maisons voient ce projet d'un très mauvais œil, et qu'il ne trouve guère plus grâce aux yeux des populations qui seront déplacées pour permettre les travaux (même si ces dernières n'auront pas vraiment leur mot à dire – Chamanadjian nous rejouerait-il la « bataille » de la rue de la République ?).


Ce qui ne serait, dans une autre ville, qu'un conflit politique et commercial devient ici une guerre foncière menées à coup d'agressions, d’assassinats, et d'autre coups fourrés. Au cœur du maelstrom, à son corps défendant, se trouve Nox, l'orphelin recueilli, devenu pupille du Duc, et promis pour son plus grand dépit à devenir l'apprenti de son maître assassin.

Nox, qui travaille aussi comme commis d'épicerie, est ami avec tout le petit peuple et connaît la ville comme sa poche. A un point tel qu'il découvre par hasard une « musique », un « rythme » de la ville qui lui donne accès à une réalité obscure, une version souterraine et nocturne de la cité, le Nihilo (imagine, lecteur, le monde à l'envers de Stranger Things) qu'il utilisera comme une ressource malgré les dangers mortels qu'il recèle – y compris pour ceux qui n'y pénètrent pas physiquement.

Et il n'y a pas que le Nihilo à Gémina. D'autres magies existent, celle qui permet de façonner les pierres comme de l'argile par exemple, ou celle que semble posséder un olivier millénaire consubstantiel à la cité.

Daphné, sa jumelle, plus souvent backstage, forme le revers d'une pièce dont Nox est l'avers. Elle aussi est liée à la magie de la cité, mais d'une façon qui n'est pas encore explicite. Détail important : Daphné comprend le jeu politique et s'y glisse alors que Nox, tout à ses idéaux adolescents de pureté et de liberté, a du mal à l'endurer.


Dans "Le Sang de la Cité", Chamanadjian décrit longuement une ville qu'il a créée minutieusement. Il la raconte amoureusement. On y mange de bonnes choses, on y apprécie et on y produit du bon vin, les odeurs y saturent l'espace et les couleurs y sont écrasées par un implacable soleil vertical que ne connaissent pas les Parisiens.

Sur les pas de Nox, lecteur, tu arpenteras les rues de la ville, son port, ses boutiques et ses gargotes, ses arrières-cours et ses toits. En compagnie de ses quelques amis tu côtoieras tout un peuple vivant qui donne l'impression, par sa variété, de constituer une crèche provençale. Tu joueras aussi à la Tour de Garde, un populaire jeu de stratégie qui paraît être bien plus qu'un simple jeu. Et tu seras partie aux manœuvres d'un Duc lancé, comme une Saturn V en ascension, sur une trajectoire dont les deux seules issues possibles sont la mise en orbite ou la désintégration. Jusqu'à une fin que je ne dévoile pas mais qui est le moment où le ressort patiemment comprimé libère toute son énergie d'un seul coup.


Si quantité d'éléments du roman ont déjà été traités dans d'autres ouvrages (on pense à l’Assassin royal notamment), l'ensemble est plutôt bien réalisé, les détails foisonnent, et la fin impressionne.

Néanmoins, j'avoue avoir trouvé que le ressort – pour reprendre l'image – mettait trop de temps à être comprimé. La minutie amoureuse avec laquelle Chamanadjian décrit sa ville et ceux qui la peuplent, et la lenteur narrative que ça implique en dépit d'une succession d'incidents – qui ne sont justement que des incidents –, nuisent imho au maintien de la tension. Premier tome d'une trilogie, roman d'une accélération progressive où c'est finalement Nox qui est satellisé à la fin en attendant la suite de son long voyage, "Le Sang de la Cité" est un volume d'exposition satisfaisant bien qu'un peu lent.

Le tifo est fini, il était réussi, il faut maintenant que Nox mouille vraiment le maillot.


Le sang de la cité, Capitale du Sud-1, Guillaume Chamanadjian

Commentaires

Roffi a dit…
Me laisserait bien tenter. En espérant que les longueurs ne m’empêcheront pas de poursuivre.
Mais c’est bien parti pour que je le lise.
Gromovar a dit…
Ca se tente. En attendant la suite qui doit confirmer.