La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Au bal des absents - Catherine Dufour


Après les détectives cyniques à la Dashiell Hammett et les flics déprimés dépossédés de famille à la Franck Thilliez – sans oublier les policières mères de famille à la Candice Renoir –, Catherine Dufour invente un nouveau type de personnage policier, la chômeuse au RSA pourvue de plus de volonté que de formation initiale qui enquêtera au ras du sol car les hautes sphères du police procedural lui sont inaccessibles.

Ce personnage, c'est Claude, quarantenaire au RSA en passe de devenir SDF. Alors qu'elle a rendu son logement, vendu presque tous ses biens sur LeBonCoin, et s'apprête à passer deux nuits (pas plus) chez une copine avant de se trouver sans solution, elle reçoit, via son LinkedIn, une offre alléchante. 1000 $ tout de suite et 1000 $ après pour enquêter un peu sur la disparition inquiétante d'une famille entière d'Américains (père et cinq grands enfants) à Montigny-en-Fresnois, un bled paumé que le récit semble placer en Normandie (même si c'est du pipeau). Il lui suffira, avec la somme envoyée pour les frais, de louer sur AirBnB le manoir que les Américains occupaient au moment de leur disparition puis de se renseigner un peu dans le secteur.
Claude n'est pas enquêtrice, elle a juste fait des saisies un temps pour la Préfecture de Police, mais dans sa situation on n'hésite pas, même à mentir sur son CV.
La voilà donc partie en train pour Montigny et « Le logement de la tante Colline ».

Dès les premières heures qui suivent son arrivée, Claude est confrontée à des phénomènes paranormaux et hostiles qui la poussent à fuir le manoir.
Mais 2000 $, voire plus si affinités, ça ne se refuse pas dans la situation de Claude, d'autant qu'elle commence rapidement à échafauder un projet dans lequel elle vivrait dans le manoir débarrassé par ses soins de toute présence surnaturelle.

Avec "Au bal des absents", Catherine Dufour livre à ses lecteurs un polar fantastique à forte coloration sociale.
L'opposition, le rejet que Claude ressent dans la propriété ne sont que les reflets de ceux qui ont toujours été son lot dans le monde social. Plus assez jeune, pas assez qualifiée, sans capital social utile, réalisant ces tâches routinières que le progrès technique et la recherche d'économies détruisent impitoyablement, Claude est victime d'un système productif qui la considère comme surnuméraire.
Jusqu'au RSA, jusqu'à une misère qu'elle va vivre en dormant dans sa voiture (d'occasion, pas chère, achetée avec les frais) le temps de son enquête, le manoir étant lieu de péril et les ressources trop maigres pour financer un logement. Le froid, l'errance, l'alimentation carencée et l'aménorrhée associée, la fauche, sont le quotidien de Claude durant sa quête comme ils l'auraient été si elle était restée sans aide en banlieue parisienne.

Confrontée au surnaturel, la newbie Claude doit d'abord lui donner un visage à haïr, en faire, dirait-on, un « ennemi de classe ». Le manoir prendra dans l'esprit de Claude celui de Colombe, une consultante de Pole Emploi qui était devenue la personnification de toute la rancœur de Claude à l'endroit d'un système qui la mettait à l'écart – elle mais pas d'autres, pas Colombe par exemple. Le manoir/Colombe devient ainsi une ennemie à combattre, pour rendre tous les coups de toute une vie. Résistance et rage sont les deux ingrédients de la survie de Claude. Elle en a déjà en elle, elle les cultive maintenant jusqu'à en faire deux feux ardents assez brûlants pour détruire ce qui la menace.
Confrontée au surnaturel, Claude doit s'informer, apprendre, se former. Elle s'envoie donc, à la médiathèque communale, les romans, les films, les sites d'informations sur les fantômes, les slashers, les exorcismes, extrayant péniblement de tout ce salmigondis imaginaire quelques règles simples de protection ou d'attaque (entre gros sel, Xanax ou prières par exemple). Elle ne cesse aussi de renforcer sa détermination, qui ne cesse de grandir parallèlement à sa compétence. Et, forte de sa meilleure maîtrise du sujet, entretient sa rage, sa volonté de s'imposer enfin quelque part, d'avoir enfin quelque chose à elle, en dépit des résistances d'un monde qui, ici comme dans sa vie d'avant, refuse de lui faire une place.

Dans le monde presque solipsiste de Montigny et de ses environs, Claude, qui ne peut compter – ici comme ailleurs – que sur elle-même, vaincra l'adversité avant de mettre les choses en ordre, de réparer ce qui peut l'être, et de choisir une nouvelle voie pour elle-même dans laquelle, après avoir vaincu ses propres difficultés, elle aidera les autres à surpasser les leurs. Dans le monde de Pole Emploi on parlerait d'une reconversion réussie mais, de fait, il semble plus juste de dire qu'après trop d'années sous le signe d'une loyauté mal payée de retour, Claude choisit de sortir d'un système individualiste et indifférent aux souffrances individuelles pour créer un lieu de solidarité dont on dira (sans spoiler) qu'il est un havre d'un genre bien particulier, retrouvant ainsi une utilité sociale en se détournant du mode de production dominant.

A la fois juste et très souvent ironique, spectaculaire dans ses références et dans leur mise en œuvre, "Au bal des absents" est un roman plaisant qui se dévore, auquel on reprochera seulement quelques ellipses qui imposent de revenir en arrière pour s'assurer de n'avoir pas oublié un détail qui, souvent, n'y était pas. On y retrouve le regard critique, le ton dynamique, et les thèmes engagés de Catherine Dufour, jusqu'à ses tropes « programmatiques » 'wink wink' (la couleur bleue du sang dans les pubs pour serviettes hygiéniques dont je ne sais pas si elle interpellera grand monde).

Au bal des absents, Catherine Dufour

Commentaires

Elhyandra a dit…
Catherine, donne nous encore des livres, pleiiiin de livres ^^