Horizons obliques - Richard Blake

Sortie demain de Horizons obliques , un one-shot SF de Richard Blake. Il y a des années que Jacob et Elena Armlen se sont perdus dans une dimension parallèle qu'ils tentaient de cartographier. Depuis aussi longtemps Adley, leur fille, veut les retrouver. Après un long entrainement elle part donc en quête de parents depuis trop longtemps absents, à travers des mondes incroyables, avec l'aide de ses grands-parents, d'un impressionnant appareillage technologique de voyage transdimensionnel, de ses dons de prescience, et d'un robot humanoïde nommé Staden. Si le scénario, plutôt contemplatif, pourra désarçonner certains lecteurs, on ne peut qu'être impressionné par la beauté envoutante des planches réalisées intégralement par un auteur qui est peintre avant d'être bédéaste (et dont c'est le premier album) . Dès la première page représentant un rêve d'Adley portant un ours polaire sur son dos on est saisi par le style et la qualité graphique de l'album. L&

Méfiez-vous du chien qui dort - Nancy Kress


"Méfiez-vous du chien qui dort" est un petit recueil de nouvelles de Nancy Kress. Il compte six textes de longueurs variables.

Du début à la fin du recueil, Kress développe plusieurs thèmes liés par sa vision du futur pas si lointain de l'humanité.

D'abord Kress aborde ici, comme dans nombre de ses autres textes, la question de la modification de l'humain par l'humain. Comme dans son roman Beggars in Spain – dont Méfiez-vous du chien qui dort est un spinoff –, c'est d'une humanité qui, après avoir modifié les plantes et les animaux, se modifie elle-même dont nous parle Nancy Kress. Avec des conséquences sociales et politiques, des craintes, des sécessions, longuement développées dans le roman d'origine (voir la chronique ci-dessus pour s'en assurer) et plus brièvement abordées dans les textes réunis ici.

Il est aussi question du creusement continu des inégalités sociales qu'engendrent des politiques plus favorables à l’optimisation des rendements du capital qu'à la réduction de l'éventail des revenus disponibles. Ajoutons-y une montée en qualification des barres d'entrée dans les emplois salariés et nous obtenons un monde divisé entre, d'une part, des salariés à haute productivité objective et hauts niveaux de vie, et, d'autre part, des salariés génériques, chargés de la partie non automatisable de la production, ou des « chômeurs à vie » – car arrive un moment où toute la demande d’emplois non qualifiés est satisfaite. Un cauchemar de technoluddite.

Il est encore question de la place de l'homme dans l'univers. Y est-il seul ? D’autres vies nous attendent-elles quelque part ? Dieu peut-être ? Faut-il le chercher, les chercher, ou ensemencer nous-mêmes l'univers pour nous y trouver moins seul ? Que faire face à l'effroi provoqué par le silence des espaces infinis ?

C'est enfin de famille que parle Kress, car toute histoire est l'histoire de quelqu'un et que la plupart des quelqu'uns sont partie d'une famille, si dysfonctionnelle soit-elle.

Dans le recueil nous trouvons donc :

Méfiez-vous du chien qui dort, dans lequel le procédé à l'origine des humains sleepless dans Beggars in Spain est ici utilisé par des scientifiques illégaux sur des chiens. Avec des conséquences tragiques pour une famille de la lower/lower class qui croyait gagner enfin un peu d'argent grâce à ça.
Intéressante pour sa jolie dépiction d'un milieu rarement présent dans la SF dans une approche réaliste, décrivant des trajectoires divergentes de vie, elle sera peut-être un peu hermétique pour les non lecteurs du roman original dont elle reprend des lieux et des personnages.

La Montagne ira à Mahomet plonge le lecteur dans un futur effrayant où les tests génétiques de prédisposition aux maladies sont appliqués à tous. Ceux qui ont trop de facteurs de risques deviennent non assurables (pour la santé) et, de surcroît, ne peuvent être embauchés. Heureusement, quelques médecins soignent ces exilés de l'intérieur au péril de leur sécurité. Mais colère et ressentiment peuvent conduire à mordre la main qui aide.
Un texte prémonitoire, écrit avant Bienvenue à Gattaca, avant que l'Obamacare n'améliore un peu la situation sanitaire des Américains pauvres, avant qu’Angelina Jolie ne s'impose une double mastectomie préventive, avant que la Covid-19 n'illustre par l'exemple les inégalités de santé aux USA que les statistiques nous disaient.

Notre mère qui dansez (on danse souvent chez Kress) est une histoire de panspermie humaine qui conduit à obtenir accidentellement une réponse possible au paradoxe de Fermi.

Trinité, la plus (trop ?) longue, raconte la recherche scientifique de Dieu, d'une preuve formelle et opposable qui prouverait que l'humanité n'est pas seulement le fruit d'un hasard heureux, sans but ni nécessité. Confrontant deux sœurs que tout oppose, Kress livre un texte sur la recherche de sens et sur les motivations toujours individuelles d'une telle recherche. Et, parlant de création, elle parle aussi de la carelessness humaine, autant que de la carelessness de Dieu s'il existe.

Des ombres sur les murs de la caverne est une nouvelle platonicienne qu'on peut lire même sans avoir lu Platon. Il y est question d'une technologie qui permet à tout auteur de calibrer son livre en fonction des réactions émotionnelles d'un panel de lecteur – ce que les studios de cinéma font artisanalement depuis longtemps avec les test screenings. Peut-on savoir ce qui va marcher ou pas ? Peut-on être guidé vers le succès ? Peut-on raffiner les histoires jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une par thème ?
Elle parlera particulièrement au fandomat car il y est question des affres des auto-édités, et plus encore de la fin de l'écriture comme projet solitaire. Celle-ci devient, dans la nouvelle et par la grâce d'une technique de captation neurale, une conversation interactive entre l'auteur et le public sous la houlette de l'éditeur afin que le lectorat le plus large soit toujours satisfait de ce qu'il lit jusqu'à l'aimer – dans notre monde où se développent les sensitivity readers, et où ça parait même ne pas être encore assez.

Enfin, Brise d'été est une très beau texte qui raconte la vie cloîtrée d'Eglantine, la Belle au Bois Dormant, vieillissant en vain dans un château endormi. D'attente en attente, d'action volontaire en crise de désespoir, elle obtiendra sagesse et pouvoir, hélas en échange de sa vie entière. Emprisonnée, elle aura connu une liberté paradoxale, avant de rejoindre d'autres femmes de pouvoir, aussi ignorées qu'elle. Le patriarcat des contes de fée est impitoyable.

L'ensemble se lit sans déplaisir, même si le style ou le rythme ne sont pas toujours sans reproche (en cause sans doute la traduction, mais seulement en partie).
Mais Kress a un ton, et on y retrouve son attention jamais démentie aux relations humaines et au mal que, sans même le vouloir, les uns et les autres se font, tant il est difficile d'être un humain, à fortiori confronté à d'autres humains.
Quant aux dates d'écriture des textes, elles prouvent sans équivoque son talent visionnaire.

Méfiez-vous du chien qui dort, Nancy Kress

Commentaires

Je me demande si la nouvelle "méfiez-vous du chien qui dort" est la même que celle parue dans l'anthologie Horizons lointains ? Elle m'avait laissé une impression de coup de poing avec son style assez froid mais des thèmes très bien exploités.
J'hésitais à lire ce recueil mais ta chronique me donne envie de tester.
Gromovar a dit…
C'est bien la même.
Et tu peux tester. C'est intéressant et bien travaillé malgré quelques défauts de style.
Vert a dit…
Chouette un Nancy Kress de plus, faut que je me penche dessus !
Gromovar a dit…
Dispo en numérique aussi si tu veux l'avoir très vite.