"L'odyssée d'Hakim" est une BD biographique documentaire en trois
      tomes de Fabien Toulmé.
    
    
      Cette odyssée, contrairement à celle d'Ulysse, ne ramène pas Hakim vers sa
      maison mais l'emporte loin de la sienne, vers une terre d'asile où il
      tente de reconstruire une vie que la guerre civile syrienne a anéanti.
    
    
    
      Avant d'être contraint à l'exil, Hakim était un jeune homme paisible,
      horticulteur comme son père, qui vivait en Syrie près de sa famille. Certes la
      Syrie était une dictature, mais quand on est, comme Hakim, largement
      apolitique, on s'en accommode. On connaît les règles : accepter la
      corruption des fonctionnaires, supporter la spoliation étatique des fruits
      de son travail, et ne jamais dire de mal du président ou du régime (même
      en privé) ; on les applique et on croise les doigts.
    
    
      Puis arrive le printemps arabe et la guerre civile qui en découle en
      Syrie. Tirs à l'arme de guerre sur les manifestants, arrestations
      arbitraires, tortures, disparitions, Hakim subit sa part de la violence
      étatique qui, par chance, ne lui est pas fatale. Mais son frère disparaît,
      son entreprise est réquisitionnée pour servir de caserne, le quartier où
      il vit avec sa famille est assiégé, affamé, et bombardé.
    
    
      Un moment vient où le jeune homme ne peut/veut plus rester, où ses parents le poussent à partir. Il quitte alors son pays, devenant ainsi un
      migrant qui, plus tard, deviendra, ici, un réfugié.
    
    
    
      Les trois tomes de la BD, basés sur les entretiens réalisés par l'auteur
      sur de nombreux mois consécutifs, raconte la vie d'Hakim, de son enfance
      dans la Syrie des Assad 
(écho à L'arabe du futur pour ce qui est de la
      corruption et de l'antisémitisme ; bizarrement, écho sur le plan graphique aussi, entre Sattouf et Il était une fois l'Homme) à son arrivée en France en passant par
      la guerre et l'exil.
    
 
    
    Exil. De lieu en lieu, d'amis en parents, de plan en plan, et de petit boulot en
      petit boulot, Hakim s'éloigne de plus en plus de son pays sans jamais
      couper le contact téléphonique avec sa famille ni quitter l'aire arabe, plus facile pour la langue notamment.
    
    
      Beyrouth. Amman en Jordanie. Antalya en Turquie. Il y rencontre Najmeh,
      qui devient sa femme et porte son enfant dont elle accouche à Istanbul
      après un nouveau déplacement. Après le départ des parents de la jeune
      femme pour la France (grâce à des opportunités administratives
      favorables), puis celui de Najmeh qui les rejoint, Hakim attend une
      régularisation qui lui permettrait de rejoindre sa femme avec son fils.
      Mais, entre la corruption syrienne, l'imbroglio administratif
      interétatique, et les perturbations liées à la guerre, les papiers d'Hakim
      ne se font pas, ou mal, et le jeune homme décide de prendre, avec son
      fils, la route des illégaux que proposent les passeurs contre des sommes
      folles.
    
    
    
      La deuxième partie de l'odyssée d'Hakim, après l'errance autour de la
      Syrie, décrit son long et périlleux voyage vers la France et une Najmeh
      qui l'attend depuis des mois qui se font années. Passeurs en
      Méditerranée, embarcation de fortune, panne de moteur en mer, sauvetage
      par les gardes-côtes grecs. Puis les centres de transit, la peur de la
      
Dublination, la fuite à pied, en bus, en taxi, en train, pour traverser
      l’Europe sans jamais demander l'asile sur place.
    
 
    
    
      Des gens qui aident, d'autres qui se comportent en salauds, et beaucoup
      qui profitent (passeurs en tête qui font du trafic d'êtres humains comme
      d'autres de drogue, mais aussi taxis, hôteliers, commerçants, etc...) Une
      économie de la misère où tout se paie en liquide, cher et net d'impôt. Le
      gars face à toi ne se plaindra pas, ne reviendra pas, ne mettra pas de
      commentaire négatif sur TripAdvisor, il a même peur d'être dénoncé. Alors
      pourquoi ne pas abuser ? Les hommes, dans leur immense majorité, sont des
      ordures, maintenant et toujours, ici et ailleurs.
    
    
    
      Grèce. Macédoine. Serbie. Hongrie. Autriche. Suisse. France. Le périple
      est long, complexe, éprouvant, ponctué de fatigue, de peur, de honte
      ravalée, d'argent à donner toujours et encore pour pouvoir progresser de
      quelques kilomètres supplémentaires. Et que dire de la phase hongroise ?
      Du traitement indigne, contraire aux accords internationaux et aux
      engagements européens, que la Hongrie impose à des migrants qu'elle tente
      par brutalité et contrainte de spolier de leur droit à faire normalement
      une demande d'asile.
    
    
      Enfin, après tant de pérégrinations, Hakim arrivera à Aix en Provence et
      commencera à reconstruire une vie loin de l'enfer syrien.
    
    
    
      Basé sur un récit – qui, de plus, finit bien –, "L'odyssée d'Hakim" ne
      traite pas tous les cas possibles, toutes les situations, mais il a au
      moins le mérite de montrer que migrants et réfugiés, s'ils sont des
      catégories administratives ou des enjeux politiques, sont d'abord des
      hommes et des femmes avec des histoires propres, chacune différente dans
      quantité de détails de celles des autres.
    
    
      On y voit, incidemment, ce qu'est une dictature, avant et pendant la
      guerre civile. Les voix qui braillent ici à la dictature feraient bien
      d'ouvrir un dictionnaire ou de lire la BD (y'a même des images donc c'est
      facile).
    
    
      On y voit l'espoir d'une vie en sécurité, et les sacrifices consentis pour
      cela.
    
    
      On y voit l'entraide, tant familiale ou amicale que parfois aussi anonyme.
    
    
      On y voit les agressions verbales ou physiques venues de pékins moyens
      bien peu humains.
    
    
      On y voit des forces de sécurité globalement plus humaines que l'image que
      les militants No Border en donne.
    
    
      On y voit la peur constante d'échouer, l’impossibilité aussi d'échouer
      (certains tentent des dizaines de fois le passage) quand on a brûlé ses
      navires.
    
    
      On y voit la méfiance obligée car l'interlocuteur peut toujours dénoncer
      ou disparaître avec l'argent si précieux ; double bind caractéristique des
      personnes en situation de vulnérabilité totale, obligées de faire presque
      aveuglément confiance pour avancer et toujours contraintes de se méfier par crainte de remettre son destin entre des mains traîtresses (les victimes
      du docteur Petiot en savent quelque chose).
    
    
      On y voit la peur enfin reculer quand l'asile est assuré et qu'une vie
      presque normale peut recommencer, loin du pays, dans un nouveau pays.
    
    
      Certains lecteurs trouveront peut-être l'ensemble trop irénique mais ce
      serait idiot. C'est l'histoire d'Hakim, la vie d'Hakim, il n'allait pas la
      rendre plus noire ou plus conflictuelle pour faire un point.
    
    
    
      L'odyssée d'Hakim, Fabien Toulmé
    
   
Commentaires
Tout le périple lié à la traversée en bateau gonflable est dingue, si prenant: une insoutenable légèreté de la condition de réfugié...ou d'exilé, je ne sais plus quel statut convient. Les séquences dans le moment présent avec l'auteur de la BD interrogent également: Hakim et sa famille se relèvent-ils de cette épopée, subissent-ils un nouveau contrecoup, un malaise paradoxalement lié à leur nouvelle stabilité?
Il me faudra lire la fin pour y voir plus clair. On peut ajouter que si le témoignage se passe de preuves, il reste "convainquant" et ne se prétend en aucun cas unique en son genre, ce qui est là encore renversant.
Un beau témoignage en effet. Et oui, je ne peux que conseiller la lecture du troisième et dernier tome qui répond en partie à vos questions.
Merci pour ce billet.
C'est d'une tristesse.