La Dissonance - Shaun Hamill

2019, quatre adultes qui furent jeunes et le sont moins maintenant sont invités à une commémoration dans leur ancien lycée de Clegg, une petite ville du Texas. Les vies actuelles des quatre anciens élèves, qui ne se sont pas revus depuis des années (et auquel s'ajoutera un cinquième protagoniste involontaire, Owen, encore adolescent) , illustrent, hélas pour eux, diverses formes de l'échec professionnel, sentimental et social. On comprend vite qu'une partie de l'explication à ces vies insatisfaisantes se trouve dans des événements tragiques survenus à la fin des années 90 alors que les « héros » (ce n'est pas le mot juste) du roman était encore scolarisés au lycée de Clegg. Et que de vieilles histoires sont encore à régler. La Dissonance est le second roman de Shaun Hamill qui avait offert au lectorat le très réussi Une Cosmologie de monstres . C'est une friandise pour nostalgiques de bike stories des 80's (même si ici, âge aidant, c'est en voiture qu...

Pensées et prières - Ken Liu in Bifrost 97


Dans le Bifrost 97, on trouvera un gros dossier Sabrina Calvo, un imposant cahier critique de nouveautés, les rubriques habituelles sur la science ou les revues, et, entre deux autres de Calvo et Gregory, une nouvelle d'autant plus glaçante qu'elle est parfaitement réaliste : "Pensées et prières" de Ken Liu.

"Pensées et prières" est une nouvelle d'anticipation qu'on peut situer à seulement très peu d'années de nous.

Futur proche donc. Hayley Fort est une étudiante américaine. Elle est le personnage central de la nouvelle mais elle ne vous parlera jamais. Car Hayley est morte, victime d'un mass shooting comme il y en a au moins un par jour aux USA.

C'est donc sa famille qui vous parlera d'elle.
Sa famille, et singulièrement sa mère, qui va mettre toute sa vie en ligne, reconstituée par un système d'IA qui extrait détails et fil directeur de la masse de données disponibles sur une personne.
Sa mère qui croit, grâce à ce procédé, rendre vie et visage à une fille assassinée, et ainsi humaniser la statistique, toucher le grand public, et peut-être, qui sait, faire changer la position dominante aux USA sur la possession d'armes.

Mais ni la mère d'Hayley, ni le reste de sa famille, ne pouvaient imaginer que la vie trop tôt oblitérée d'Hayley deviendrait sur Internet la proie des trolls en tout genre. Qu'on contesterait la mort d'Hayley, puis son existence même, qu'on remettrait en cause l'usage fait des fonds recueillis par la famille, qu'on ferait à partir des des images d'Hayley des mèmes qui la ridiculisent, ou, ultime outrage, qu'à l'aide de logiciels deepfake on lui ferait dire des horreurs ou, pire encore, qu'on mettrait son visage en scène dans des vidéos pornos.

A ce déchainement de haine et de boue, la mère d'Hayley, aidée par des logiciels de protection encore à inventer, tente de répondre (mais chaque réponse augmente la notoriété donc l'attrait pour les trolls) puis simplement de résister, jusqu'à l'épuisement, jusqu'au dégout, jusqu'à l'éclatement de sa famille, jusqu'à une seconde mort d'Hayley et une seconde désintégration de sa famille - les deux dues à Internet et aux trolls qui y rodent et y prospèrent.

C'est terrifiant, glaçant, car tout est vrai.

Les trolls agissent bien comme le montre Liu, les fakes ou deepfakes existent aussi (même s'ils sont moins accessibles que dans la nouvelle), mais surtout, le trolling que décrit Liu est subi irl par les parents des victimes des mass shooting.
Tout ce que décrit Liu moins les deepfakes - et que j'ai résumé au-dessus - est vécu hic et nunc par les vraies familles des vraies victimes de tuerie de masse.
Et les justifications puériles des trolls, drapés dans leur narcissisme pervers et convaincus tant d'être dans le vrai que de rendre une nécessaire street justice, ressemblent aussi beaucoup irl à celles que proposent Liu.

"So much data, so little information."
Liu, comme Douglas Coupland il y a plus de trente ans, pointe l'inutilité intrinsèque du déluge de données babillardes dans lequel vit l'individu contemporain.
Mais Liu a le recul que Coupland n'avait pas, il peut alors dénoncer, en plus, l’écosystème nocif des forums et des réseaux où effet de nombre (de meute) et anonymat de facto permettent à chacun d'exprimer ses instincts les plus vils sans aucun risque.
Où la société se désintègre donc sous l'effet d'un mélange toxique de bulle informationnelle, de polarisation, d'immédiateté, et de disparition de toute civilité.

Pensées et prières, Ken Liu

Commentaires

f6k a dit…
Ça donne envie de la lire, merci ! En plus tu participes à ma culture latine ; j’ai du chercher ce que signifiait « hic et nunc » :D
Gromovar a dit…
Si tu le lis, l'objectif est atteint, faire passer les bons textes.