La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Chasseurs et collectionneurs - Matt Suddain


J'avais énormément apprécié le premier roman de Matt Suddain sobrement intitulé Théâtre des dieux. Mon plaisir fut le même à la lecture du second, "Chasseurs et collectionneurs", toujours au Diable Vauvert et toujours traduit par Sara Doke. C'est à la fois très différent et néanmoins tout aussi délirant.

"Chasseurs et collectionneurs" est constitué d'une succession de lettres et de notes (surtout) écrites par Jonathan Tamberlain, l'un des critiques gastronomiques les plus craints (et haïs) de l'univers ; sur la forme exacte que prend la partie connue de celui-ci, mieux vaut ne pas s'attarder à vouloir comprendre (qu'on sache seulement qu'il contient un Orient (eux, autoritaires, totalitaires) et un Occident (nous, libéral, foireux, inégalitaire)).

Dans ces fragments nous croisons Jonathan Tamberlain et ne le lâcherons plus.

Blogueur gastronomique issu d'une famille compliquée, Jonathan gagne peu à peu en notoriété jusqu'à devenir le Tomahawk, un gourou médiatique aussi brutal et rapide que son pseudo le laisse entendre ; la moindre de ses paroles est relayée et surinterprétée, même quand ce n'est pas nécessaire tant il est lui-même assez explicite sur ses dégoûts.  Le début du roman, immense collage et seule partie à contenir des mots écrits par d'autres que lui, décrit son histoire – depuis le Big Bang –, son ascension, sa haine des Touristes, les risques mortels que son métier lui fait courir (le Tomahawk a la dent très dure et les Chefs sont susceptibles), les blessures qu'on lui inflige. Au début est introduit aussi le personnage de Colette, une journaliste trash que nous ne verrons jamais, qu'il méprise profondément et de manière tout à fait explicite, mais pour qui il écrira le carnet qui doit rendre compte de se dernière et plus spectaculaire aventure.
C'est drôle, c'est enlevé, ça n'arrête jamais d'aller toujours plus loin dans l'excès, et pour ce qui est du rythme, on se croirait dans un Tex Avery. L'ensemble file comme un zéphyr.

Puis Tamberlain se trouve pris de manière controversée dans une attaque terroriste de masse. Victime, protagoniste, instigateur, les faits ne sont pas clairs. Tamberlain non plus. En tout cas, sa réputation est salie, or dans le monde médiatique tout n'est que réputation. Privé de contrat, en manque d'argent, Tamberlain connaît une vraie descente aux enfers, se remet lentement de ses blessures, se voit attribué un bien étrange psy, part pour un long périple « au vert » loin des hommes et du bruit.

Dure chute pour le snob hautain et méprisant – et tellement drôle dans son expression de ces traits – que le jeune homme était devenu. Mais, espoir, porte de sortie, retour au premier plan, sommet d'une carrière, Tamberlain est invité dans un restaurant mythique, dont l'existence même est discutée, le phénoménal Undersea, table incomparable du non moins stupéfiant Hôtel Grand Skyes : The Empyrean.

Tamberlain s'y rend par des voies secrètes et détournées, accompagné de David – son agent, un goinfre très compétent et peureux qu'il surnomme la Bête – et de Gladys, la seule garde du corps, au lourd passé, qui accepte encore de travailler pour lui. Les deux ne le savent pas mais Tamberlain n'a plus d'argent du tout, même pas de quoi les payer, et il faut que le livre qu'il tirera de ce repas soit un grand succès sous peine de faillite définitive.

Commence alors une seconde partie qui verse dans l'horreur comique (pas cosmique). Lorsqu'ils y arrivent, le Grand Skyes : The Empyrean est vide de client, seul un étrange personnel d'accueil s'y trouve, ainsi que le cadavre d'une comtesse. L'explication viendra vite, toute la clientèle a été exterminée, de manière particulièrement graphique. Par qui ? Pourquoi ? Qui bono ?

Pour Tamberlain et ses alliés, la question n'est plus vraiment de dîner ni d'écrire mais de comprendre, de survivre, et de partir. Cela sera particulièrement difficile, dans un lieu hermétiquement clos où rien n'est ce qu'il semble être, où le personnel est de statut indéterminé, et dont le très bizarre directeur a des buts qui deviennent progressivement hélas trop clairs. Il faudra mentir, trahir, courir, combattre, ruser, se cacher, se déguiser, tenter de garder un semblant de raison dans un lieu devenu complètement fou et de conserver son Moi à l'intérieur de son crane.

A la lecture du pitch, on peut bien sûr penser au Dernier restaurant avant la Fin du Monde. D'autant que la narration est tout aussi délirante. Différence : là où le Voyageur Galactique emportait une serviette et un guide, Tamberlain part en voyage avec un impressionnant bagage destiné à faire face à toutes les situations – on vit sur un grand pied ou pas.

Mais on pense aussi à Tex Avery (déjà dit), au cauchemar légaliste bureaucratique de Brazil, au classique Abbott and Costello meets Frankenstein, aux comiques muets, ou à un Tim Burton sous beaucoup, beaucoup, de dope.
A tout cela s'ajoute, et c'est unique, le talent assumé de Suddain pour digresser, aller toujours plus loin dans le trop loin (la Grande Bouchère qui extermina des milliards de civils, le garçon qui survécut en mangeant ses orteils, la secrétaire qui tape en s'aidant de doigts coupés, etc.), faire preuve d'ironie piquante au rythme d'une mitraillette, décrire l’absurde, se foutre de la gueule du politiquement correct, créer des situations obscures – car le narrateur est non fiable – puis les éclaircir très progressivement, etc.

C'est enjoué (!), c'est léger (!!), c'est drôle et terrifiant comme un train fantôme. Et c'est néanmoins profondément SF dans le traitement comme dans les thèmes.

Un vrai plaisir de lecture qu'on referme épuisé et content.

Chasseurs et collectionneurs, Matt Suddain

Commentaires

Vert a dit…
Je m'étais bien amusée avec son premier roman mais j'avais quand même galéré avec par certains aspects. On verra si je jette un oeil à celui-là (le côté gastronomique est intriguant tout de même).
Gromovar a dit…
J'ai beaucoup aimé.
Attention : l'aspect gastro est le fond mais pas le cœur.