Rich Larson - The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches

Quelques mots sur The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches , le tout récent recueil de micro-nouvelles de Rich ‘ Fabrique des lendemains ’ Larson . 30 textes, chacun lisible en une à six minutes, grand maximum  (une ou deux déjà traduites en français dans le recueil susnommé) . Du court, du court, du court, du bon, du bon, du bon. De la SF, du post-apo (voire très post-apo) , du cyber, du body-horror/weird, du genemod. Je ne peux pas raconter, même un peu car, les nouvelles étant courtes et parfois à chute, ça spoilerait trop. Qu’on sache juste que c’est globalement très bon, que lorsque ça l’est moins c’est court, et que, même si le background n’est pas toujours cyber, ça forme, par la noirceur et l’inventivité technologique de l’ensemble, ce qui se rapproche le plus aujourd’hui d’un très bon recueil cyberpunk/SF. Pour donner un peu envie (si ce qui précède ne te suffit pas, ingrat de lecteur) , je liste ci-dessous, en vrac, quelques-uns des tropes que tu croiseras dans les pages

The Luminous Dead - Caitlin Starling


Cassandra-V. L'un des trous du cul de l'univers. Une planète sèche. Minière. Hostile. Sur laquelle ne vivent – mal – que ceux qui ne peuvent pas la quitter.
Cela, lecteur, tu l'apprendras par ouï-dire. Car durant tout le roman tu ne fouleras jamais le sol aride de Cassandra-V. Durant tout le roman tu seras en compagnie de Gyre, dans un dangereux réseau de cavernes imparfaitement exploré. Durant tout le roman, la seule autre voix que tu entendras sera celle de Em, la superviseuse de Gyre. Durant tout le roman il n'y aura que toi, ces deux femmes, et leurs fantômes.

Faisons un bref point sans rien dévoiler d'important.
Sur Cassandra-V, des spéléologues équipés de combinaisons high-tech explorent des cavernes à la recherche de filons de minerais, contre de fortes primes. Gyre sait négocier les grottes mais n'a pas d'expérience de ce genre de travail. Qu'importe, elle ment et manœuvre pour obtenir le contrat le mieux payé de l'année, et de loin. Elle a besoin de l'argent pour rechercher sa mère.
Elle découvre vite qu'un si haut salaire cachait quelque chose et que l'exploration dans laquelle elle s'est lancée est la plus dangereuse qui soit.

Dangereuse car le réseau est complexe et en partie inondé. Dangereuse aussi car les tunneliers – des créatures terrifiantes qui creusent à travers la roche – rodent dans le secteur. Dangereuse surtout car l'équipe qui devrait la superviser se limite en fait à Em, et qu'il apparaît rapidement qu'elle ne peut pas lui faire pleinement confiance. Et c'est peu dire.

Que doit-on aux morts ? A tous les morts, les proches comme les inconnus.
Que cherche vraiment Em dans le réseau ? Qu'est-elle prête à sacrifier pour l'obtenir ?
Comment Gyre peut-elle remettre sa vie entre les mains d'une femme seule et visiblement instable qui la guide et peut contrôler sa combinaison de survie ? Pourquoi, d'abord, a-t-elle initié cette mission ?

Note : A titre d’exemple, voici la clause du contrat sur la médication : « THE CAVER AGREES TO SURRENDER BODILY AUTONOMY TO THE EXPEDITION TEAM FOR THE DURATION OF THE EXPEDITION PERIOD, IN ORDER TO FACILITATE THE SMOOTH OPERATION OF THE EXPEDITION AND TO PROTECT THE CAVER’S WELL-BEING. AT THE EXPEDITION TEAM’S DISCRETION, THE EXPEDITION TEAM MAY PERFORM THE FOLLOWING, NONEXCLUSIVE TASKS: ADMINISTRATION OF CERTAIN HORMONES AND NEUROTRANSMITTERS, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO ADRENALINE, DOPAMINE, AND MELATONIN. ADMINISTRATION OF CERTAIN PHARMACEUTICALS, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO ANTIBIOTICS, OPIOID PAINKILLERS . . . »
La superviseuse peut aussi contrôler les servo-moteurs de la combinaison ainsi que les systèmes de perception.

"The Luminous Dead" est un roman SF d'horreur psychologique – et physique – fort captivant. Le huis-clos auquel Caitlin Starling invite le lecteur est oppressant, surtout s'il est lu en quelques longues traites. En dépit du cadre, ce n'est pas The Descent. Ici, potentialisant les dangers, l'isolation, l'épuisement des réserves, ce sont les face-à-faces qui importent.

Entre Em et Gyre, comme en miroir déformant, la relation est de besoin réciproque et de paranoïa partagée. Chacune a besoin de l'autre pour atteindre ses objectifs, exploration ou survie ; chacune ignore dans quelle mesure elle peut compter sur l'autre. Trop de non dits, trop de pouvoir de l'une sur l'autre, trop de révélations au fil de l'eau. Et en même temps, chacune devient progressivement tout l'univers de l'autre, dans une sorte de double syndrome de Stockholm ou d'aller-retour constant dans et hors de l'état agentique décrit par Milgram. C'est très bien mené, jamais ennuyeux, toujours cohérent.

Face-à-face aussi entre perception et raison. Le danger et l'isolation génèrent un phénomène de cabin fever qui t'amènera, lecteur, à douter de ce que voit ou croit voir Gyre. Et tu ne seras pas seul dans l'incertitude ; Em doute aussi, et même Gyre ne sait plus jusqu'à quel point faire confiance à ses sens – pour Gyre, cette incertitude est accrue jusqu'à l'intolérable par la possibilité qu'à Em de modifier en temps réel ce que montre son viseur HUD. Gyre est une narratrice non fiable, y compris pour elle, jusqu'au bord de la folie.

Face-à-faces « internes » surtout. Fracturées par les périls de la descente, les deux femmes – par-delà leur méfiance réciproque et justifiée – se retrouvent face à ce qu'elles sont elles-mêmes. Em et Gyre sont chacune mises face à ses motivations, ses désirs, ses faiblesses, ses mesquineries. Sa vacuité. Chacune est obsédée par une mère trop trop tôt perdue (on notera que Starling a perdu sa mère à neuf ans). Chacune, brisée par le manque, vit un état de PTSD à bas bruit. Chacune poursuit un rêve inaccessible dont elle ne veut pas voir la folie. Aucune n'est innocente de la situation.
Khalil Gibran, dans Sur le crime et le châtiment écrit : « Souvent je vous ai entendu parler de celui qui fait un faux pas comme s'il n'était pas l'un des vôtres, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde. Mais je vous dis que comme les saints et les justes ne peuvent s'élever encore plus haut que ce qu'il y a de plus noble en vous, Ainsi les méchants et les faibles ne peuvent également sombrer plus bas que ce qu'il y a de plus vil en vous. ». C'est à ce constat que parviennent les deux femmes, c'est ce qui, finalement, leur permettra de sortir douloureusement de l'aporie en comprenant les (mauvaises) raisons de l'autre. Humaines, trop humaines.

Chacune devient de fait progressivement la thérapeute de sa contrepartie, jusqu'au transfert.
Alors, la confrontation offrant la possibilité d'une double introspection jamais réalisée avant, auront-elles la force de survivre à une adversité jusqu'ici jamais surmontée ? Auront-elles, surtout, la force mentale de commencer enfin une vie détachée d'un passé traumatique ? De pardonner et de se pardonner ? Il faudra lire pour le savoir. C'est de bout en bout incertain, donc de bout en bout passionnant.

Note : Certains sur Internet trouvent que manque un climax. Ici, comme dans toute thérapie, c'est le chemin qui importe plus que la destination, et les monstres aussi sont surtout dans les têtes.

The Luminous Dead, Caitlin Starling

Commentaires

Anonyme a dit…
Tiberix : J’en étais à la moitié il y a 3 semaines et il m’est tombé des mains. Je n’arrive pas à regrouper l’énergie nécessaire pour m’y remettre. Les deux personnages sont de plus aussi plats que des candidats de l’Ile de la Tentation. Et ça tiiiiiiiiiiiiire en longueur avec des minis coups de théâtre. C’est typiquement le roman qui aurait mérité d’être une nouvelle (courte la nouvelle).
Gromovar a dit…
Désaccord sur ce coup.

C'est moins les personnages que leur relation et son évolution qui importent imho.

Stay tuned !
shaya a dit…
Il y a de bonnes chances que ça me plaise ça. Notons pour le jour où ça sortira peut-être en VF !
Gromovar a dit…
Alors là, à part croiser les doigts...
chéradénine a dit…
Malgré son prix Bram Stoker et sa belle couverture, le titre semble n'avoir intéressé personne d'autres parmi la blogosphère française ? C'est dommage, même si je vois qu'il a des revews contrastées.
Gromovar a dit…
Ben non, et c'est bien dommage parce que c'est un beau livre.