La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Les Pestiférés - Pagnol - Scotto - Stoffel - Wambre


"Les Pestiférés" est un album de BD one-shot de Scotto, Stoffel, et Wambre, qui adaptent ici un roman éponyme inachevé de Marcel Pagnol, roman dont le début retrouvé avait été intégré à titre posthume aux Temps des amours.
Les auteurs le mettent en image, en lui donnant de surcroît une fin, celle qu'envisageait l'auteur qui s'en était ouvert à sa femme et à son fils avant sa mort. Cette fin, dont je dirai un mot, constitue un twist étonnant qui ouvre le récit et lui donne un sens inattendu.

Marseille, 1720. Rassemblée autour de son Vieux Port, la ville est prospère. Le commerce avec les terres de l'Est est intense. Il a donné naissance à une bourgeoisie d'armateurs ou de commerçants à laquelle s'ajoutent médecins, notaires, avocats, et autres clercs. Le populaire, lui, vit plutôt mieux qu’ailleurs, car la prospérité générale assure emplois nombreux et salaires décents.

A quelque distance du port, sur les hauteurs visibles de la colline Devilliers (rue Devilliers aujourd'hui), se trouve un petit hameau qui semble presque fortifié. Y vivent quelques familles de notables cossus qui jouissent d'une vue magnifique et sont protégés, par la distance, de la puanteur et des miasmes de la ville et du port. La vie est douce dans le hameau, et ses habitants forment une petite communauté unie par un mode de vie commun et une intense sociabilité.
Le « maire » virtuel du lieu est le docteur Pancrace, un vieil homme dont personne ne connait le passé, un célibataire qui soigne dans la ville et loge céans, un bourgeois visiblement riche qui vit pourtant dans la simplicité avec seulement deux domestiques.

Tout va donc pour le mieux à Marseille, et pour l'encore mieux sur les hauteurs de la colline Devilliers.

Hélas, on le sait, l'argent n'a pas d'odeur. Et lorsqu'un chargement de coton appartenant à l'échevin J-B Estelle (qui a sa rue à Marseille) s’avérera suspect, on s'arrangera pour taire l'inquiétude et décharger la cargaison. Puis lorsque trois portefaix seront retrouvés morts d'une maladie qui ressemble à la peste noire, on commencera par dédramatiser en attribuant les décès à des fièvres.
Seul le docteur Pancrace, qui a examiné les cadavres, exprime des doutes qui, ne pouvant être rendus publics, sont alors réservés à ses voisins et amis de la colline. Il convient de se méfier, d'ouvrir l’œil, au cas où la peste serait vraiment de la partie. Et, on connaît l'histoire, elle l'était bien.

La communauté Devilliers, sous la direction de Pancrace, met alors au point un stratagème pour survivre au fléau. Installer une autarcie complète, puis se dissimuler sur place en donnant l'impression que le hameau est vide de ses habitants en fuite ou morts.

Féconde un temps, cette stratégie ne suffira pas. Pour survivre encore, la communauté devra s'exiler, fuir avec armes, bagages, et provisions, vers les terres hors de Marseille. D'abord vers le village d'Allauch [et le roman s'arrête là], puis plus loin encore jusqu'à se réfugier dans un havre naturel où, des années plus tard, la civilisation viendra les chercher.

"Les Pestiférés" est un récit aussi captivant que documenté en dépit de son caractère romancé.
Des premières inquiétudes à la certitude de la catastrophe, la tension monte, d'autant que le lecteur fait progressivement connaissance avec les personnalités hautes en couleurs qui habitent la colline et se prend à espérer qu'elles s'en tireront. De celui qui ne croit pas à l'arrivée de la peste à celui qui pense que Dieu le protégera en passant par le sage et déterminé Pancrace, les personnages font vivre cette histoire et parviennent à rendre sympathique une action pourtant moralement contestable : se murer dans la discrétion après avoir fait moult provisions pour tenter de traverser la crise sans prendre sa part de l'épreuve collective.

Guidés par la peur mais organisés par la raison qu'incarne Pancrace, les habitants de la colline tournent le dos à la ville et instaurent en leur sein une série de règles de protection et de quarantaine (jusqu'à l'interdiction de revenir pour ceux qui sortiraient du hameau) avec lesquelles il n'est pas possible de transiger. Purement rationnel dans ses prescriptions, Pancrace ordonne, et les autres obéissent, convaincus que leur salut se trouve entre les mains du docteur.
L’histoire leur donnera raison jusqu'à la fin, loin de Marseille, et, si les divers stratagèmes du docteur ne sont guère dignes, ils sont néanmoins très efficaces.

Thriller traité sur un ton tragi-comique tangentant parfois le grotesque, l'histoire est plutôt amusante. Scènes de morts et de désolation mises à part, le récit est léger, car les morts de la ville sont anonymes alors que les survivants de la colline sont ceux dont on réalise qu'on espère la réussite de l’incroyable entreprise.
"Les Pestiférés" met en scène un petit groupe de cyniques compétents qui traversent la peste en faisant passer leur survie avant toute autre considération, et, face à l'adversité qui les menace, on leur souhaite le meilleur.

A la fin (et, volontairement, je ne spoile pas), le monde rattrape les échappés de Devilliers. Le récit prend alors un sens politique, car Dieu et le Roi ne toléreront pas que vivent, hors la loi commune et dans le péché, des hommes et des femmes qui auraient fait sécession de la société humaine. Le – rare – Pagnol politique s'exprime ici, celui qui croyait à la nécessite d'un nouveau contrat social.

"Les Pestiférés" est un bon récit, solide, efficace, captivant. Au scénario s'ajoute un dessin qui soutient parfaitement l'histoire. Larges paysages méditerranéens, intérieurs bourgeois, rues tortueuses, effrayantes scènes de mort de masse, tout est juste, dans un ton un peu passé qui dit bien l'ancienneté de l'histoire sans oublier les explosions de couleur (parfois sombres) qui soulignent les moments éprouvants.

Les Pestiférés,  Scotto, Stoffel, Wambre

Commentaires

Anudar a dit…
Je me souviens en effet de ce texte inachevé qui m'avait fait forte impression à ma lecture du "Temps des amours" quand j'avais dix ans. J'ignorais que Pagnol en eût un jour dévoilé la fin à qui que ce soit.

Tu peux t'attendre à ce que je le lise, cet album... Merci !
Gromovar a dit…
Alors, tu me diras ce que tu en as pensé.
Jourdan a dit…
Je crois qu'il y a même une version prévue en provençal.
De magnifiques vues de Marseille en plus!
Merci de rendre hommage à Pagnol.
Gromovar a dit…
Ah, la version en provençal, ça serait très cool. Je cherche plus d'infos.
Tororo a dit…
Je vais le lire aussi!
Gromovar a dit…
Allez, on ouvre le Mois Pagnol :)
Baroona a dit…
Vraiment une bonne collection, à mon sens, que ces adaptations de Pagnol par Scotto et Stoffel, du moins pour celles que j'ai lues - une bonne partie donc. D'ailleurs, histoire d'avoir un avis compétent, tu en as lu d'autres ?
Jourdan a dit…
Pour la version en provençal,il y avait déjà "La gloire de mon père",mais les éditions Bamboo pourrait poursuivre.. Affaire à suivre.
Gromovar a dit…
@ Baroona : J'avais lu Le Schpountz

@ Jourdan : Vu, merci.
Médéric a dit…
Bravo pour cette chronique sur "Les pestiférés" et vive Marseille Pagnol!