La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Hitler la véritable histoire vraie - Swysen - Ptiluc


« Cette BD devrait figurer comme lecture obligatoire dans tous les programmes scolaires », Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France
« On se divertit, on s'instruit et on réfléchit », Johann Chapoulot, professeur d'Histoire contemporaine à la Sorbonne
On peut avoir pire comme blurbs.

Avec "Hitler, la véritable histoire vraie", les belges Bernard Swysen et Ptiluc se sont lancés dans une aventure périlleuse. Raconter en 100 pages la vie d'Adolf Hitler, l'un des personnages les plus noirs de l'histoire humaine. Et le faire d'un manière qui soit assez divertissante (même si le mot peut étonner, voire heurter) pour que le grand public s'y plonge sans avoir l'impression de faire ses devoirs scolaires. Placere et docere, c'était l'objectif ici. Il est atteint imho. Détails.

Sur 100 pages, Swysen raconte la vie d'un rat nommé Adolf Hitler ; les connaisseurs du Ptiluc (grand habitué des pages de Fluide Glacial) reconnaîtront ici la patte du dessinateur belge. Contrairement au Maus de Spiegelman, les auteurs choisissent ici de mettre en scène quantité d'espèces d'animaux, qu'on trouve indifféremment dans tous les groupes évoqués, ce qui présente l'avantage de montrer qu'il n'y a pas de nature juive pas plus qu'il n'y avait de nature nazie. Tout un chacun pouvait adhérer à l'idéologie nazie ou participer à sa machine étatique et para-étatique (pour changer un peu d'Arendt et de sa banalité du mal, on citera Adorno et sa Personnalité autoritaire), quant aux Juifs, si une identité leur existait, ce sont les persécutions nazies qui l'actualiseront et lui donneront une réalité sensible – l'ours professeur qui explique à intervalles réguliers les événements en off se découvre juif pour le lecteur seulement lorsqu'elles commencent, alors que ce fait n'avait pas été évoqué jusque là (si on a lu Klemperer, on a déjà vu une telle bascule).

L'histoire racontée se veut aussi exhaustive que possible. Du changement d'état-civil du père d'Hitler en 1876, on passe à l'enfance du rat Adolf, un banal petit animal entouré de nombreux frères et sœurs, d'un père très dur qui fait déménager la famille à intervalle régulier, d'une mère aimante qui est son centre émotionnel. On y voit un petit rat bagarreur et autoritaire, chef de bande déjà, qui ne veut pas du destin de fonctionnaire que son père a choisi pour lui. Le père mort, Hitler se rêve en artiste et quitte le cursus scolaire standard pour tenter sa chance dans la peinture. Sa mère le soutient toujours, le croit toujours, l'aide et l'aime toujours. En 1907, il est recalé une première fois à l'examen d'entrée de l'académie des Beaux Arts de Vienne et cette même année sa mère meurt d'une tumeur. Contre vents et marées, et alors que les échecs continuent, Hitler poursuit toujours son chimérique projet artistique, jusqu'à vivre dans un asile de nuit lorsque ses moyens ne lui permettent plus rien d'autre. Il vend alors des cartes postales par l'intermédiaire de certains marchands d'art juifs.

Sa croyance dans l'existence et la supériorité de la race aryenne (dont il serait pourtant un piètre représentant), son exécration de la social-démocratie, et son antisémitisme, se développent progressivement, au fil de ses lectures et d'événements qu'il interprète toujours en sa faveur.

La guerre de 14 le voit s'engager dans l'armée de Bavière pour satisfaire ses deux délires récurrents : la soif du combat et l'amour insensé de l'Allemagne. Il devient sous-officier, sera décoré deux fois, blessé aussi, puis, alors qu'il est une nouvelle fois blessé, il est rendu fou furieux par l'annonce de l'armistice. Hitler souscrira toute sa vie à la théorie du « coup de poignard dans le dos » qui aurait abattu une Allemagne sur le point de gagner la guerre. Le Juif prend une part de plus en plus importante dans sa vision complotiste du monde, avec les politiques de la jeune République allemande ; tous des embusqués, des lâches, des traîtres, des vendus, etc.

Suivent les années de trouble durant lesquelles il travaille à enquêter sur les événements révolutionnaires. Parallèlement, il adhère au petit parti nationaliste bavarois d'Anton Drexler dont il prend peu à peu le contrôle et dont il modifie la ligne idéologique. De ligne, en fait, il n'y en a guère de cohérente dans les discours d'Hitler, si ce n'est une rage et un ressentiment qui se sont trouvés des boucs émissaires, et sont servis par un style oratoire destiné à galvaniser les foules (et qui est bien décrit dans Retour au meilleur des mondes) et un appareil de propagande encore immature mais qui ne cesse de s'améliorer – un pas important sera franchi avec le rachat par le parti du Völkischer Beobachter, un journal. Parmi les membres initiaux de la coterie d'Hitler, on notera un Alfred Rosenberg tristement connu pour son antisémitisme théorique obsessionnel et plus globalement pour ses théories raciales polémologiques, ainsi que Röhm et les premiers SA (le service d'ordre paramilitaire du parti, de fait les nervis d'Hitler).

Première arrestation pour Hitler, libération, contacts avec l'élite économique, militaire, et politique, qui voit en lui une arme utile contre le bolchevisme, coup d'Etat manqué, nouvelle arrestation.
Pendant ses quelques mois d'emprisonnement, il écrit Mein Kampf, livre biographique et théorique censé unifier et donner du lustre à une pensée globalement délirante et à mettre en valeur celui qui la porte en faisant de lui l'élu du destin et un homme qui s'est donné à sa mission – sa vie privée sera une mise en scène de ce point.
Toujours plus excité, toujours plus influent, Hitler finit par être nommé chancelier en 1933 avec un score minoritaire pour son parti à l'élection législative. De là, il prend rapidement les pleins pouvoirs (incendie du Reichstag), instaure un régime totalitaire au sens de Arendt, et se lance dans l'élimination de l'opposition politique sans oublier celle des Juifs – d'abord brimés, puis exclus, puis arrêtés, puis finalement exterminés. Nuit des longs couteaux, nuit de cristal, lois raciales, rien ne suffit à mouvoir les démocraties occidentales et singulièrement européennes. Il faut dire que le régime organise de beaux JO ;-) et que les accords de Munich satisfont tout le monde (sauf Churchill), Hitler plus que tous. L'Allemagne envahit la Tchécoslovaquie, fait l'Anschluss, signe le pacte germano-soviétique puis se lance à l'assaut de la Pologne. Commence la drôle de guerre, suivie par l’invasion de la France, le régime de Vichy, la résistance de Londres, etc.

Comme ivre de victoire, Hitler attaque l'URSS alors que dans l'Est les camps de concentration deviennent des camps d'extermination après la mise en place de la « solution finale » - les pages décrivant les camps sont les seules qui ne sont pas en couleurs et qui ne contiennent pas de gags. La guerre tourne comme on sait, de pire en pire, avec un Hitler qui refuse de voir la défaite arriver et blâme ses généraux, d'autant plus que les complots pour l’abattre se succèdent et qu'il y échappe toujours, alimentant sa foi en son destin. On sait comment tout cela finira, dans les ruines de Berlin où les enfants combattent pendant que les SS pendent les « traîtres défaitistes ».

Quant on referme l'album, on se dit que le pari des auteurs est gagné.

D'abord, l'histoire d'Hitler est racontée de manière claire et cohérente, donc instructive (autant dans le genre romancée que pouvaient l'être les pages du Château des millions d'années).
Elle montre comment la folie complotiste individuelle d'un homme a pu rencontrer une situation politique, culturelle, et sociale, qui lui a permis de se propager, et comment les cercles du pouvoir ont pu, croyant un moment que le trublion nazi pouvait servir leurs intérêts propres, lui donner les clefs de la maison. Elle montre aussi comment face aux nazis et à leurs affidés, bien peu, entre indifférence et lâcheté, eurent le courage de résister.

Ensuite, la BD n'est jamais oppressante car un humour par petites touches la traverse. Elle pourra donc plaire à un public large qui sinon s'en serait peut-être détourné.
Utiliser des animaux, d'abord, permet de décentrer un peu, d'autant que les dessins sont dans des tons pastels très doux. De plus, l'album contient quantité de petits gags, calembours visuels, références à d'autres personnages de BD, qui détendent l'atmosphère. Quant au rat Hitler, ses poses, ses crises, ses gesticulations (inspirées du vrai) montrent assez l'inanité de sa pensée et la confusion de sa personnalité ; ce rat qui est une sorte de Louis de Funes surexcité n'inspire aucun respect et on ne voudrait surtout pas l'avoir pour chef.

Le couple formé par le professeur ours et son élève oiseau est aussi une superbe trouvaille scénaristique. Ils se découvrent juifs quant les persécutions commencent (surprise pour le lecteur encore plus que pour eux), fuient à travers toute l'Europe sans trouver de havre au fur et à mesure de l'avancée des troupes allemandes, arrivent en France où ils subiront la Rafle du Vel D'Hiv et seront envoyés en camp où on les voit devenir, au fil des pages, de plus en plus squelettiques, jusqu'à leur libération par les Russes alors qu'il ne peuvent même plus avaler de nourriture solide. Difficile de faire plus visuel, plus clair, et surtout de mieux montrer comment des personnes foncièrement sympathiques, que le lecteur s'est pris à apprécier, ont été martyrisées par le régime fou d'Hitler.

L'album se termine sur un bilan narré qui permet de clore (parfois bien près chronologiquement de nous) les biographies des dignitaires nazis. Il permet aussi de signifier, par la bouche du professeur ours et de son élève, que le risque existe toujours que de mêmes causes produisent de mêmes effets (de fait, ces jours-ci en France, ailleurs aussi, la question est plus que jamais d'actualité).

Si je devais faire une minuscule réserve, je dirais que 100 pages pour narrer des décennies c'est peu et que, de ce fait, certains épisodes – très courts – ne sont compréhensibles que par quelqu’un qui connaît l’Histoire. Cela ne nuit absolument pas au sens et à la cohérence d'un ensemble qui se déroule comme une tapisserie aussi sinistre que globalement claire. Mais il faudra je crois, si on fait lire à des jeunes, expliquer ces moments elliptiques (la fuite devant Jesse Owens aux JO par exemple) pour une parfaite compréhension. Parents ou professeurs doivent s'y atteler pour qu'aucun détail ne reste dans l'ombre.

Qu'importe ce point, c'est très bien fait, et ça mérite d'être lu, relu, prêté, offert.

Hitler, la véritable histoire vraie, Swysen, Ptiluc

Commentaires

Baroona a dit…
Je me reconnais dans le lecteur qui n'a pas nécessairement envie de lire une BD sur Hitler et je m'en serais certainement détourné si je l'avais croisé à la médiathèque. Mais tu m'as convaincu du contraire. Reste à voir l'occasion se présenter.
Gromovar a dit…
Si tu as l'occasion, fais-le, ça vaut vraiment d'être lu et ça sait être grave sans jamais être sinistre.