La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Blues pour Irontown - John Varley


Aujourd'hui, lecteur, c'est la Saint-Valentin. Je vais donc te parler d'une histoire d'amour. Pas de n'importe laquelle, note bien. D'une histoire d'amour infini, énorme, larger than life. De l'histoire d'amour qui unit Christopher Bach, détective privé officiant sur la Lune, à Sherlock, le Saint-Hubert génétiquement modifié qui lui sert de partenaire et de meilleur (seul ?) ami : « Je savais que nous étions proches, je savais que je l'adorais et qu'il m'adorait, mais je n'avais aucune idée de la profondeur de cet amour. En ressentir ne serait-ce qu'un fragment est ahurissant. ».

Chris Bach et Sherlock, lecteur, c'est dans les pages de "Blues pour Irontown" que tu les rencontreras. Le dernier roman de John Varley est un retour – vingt ans après – à son cycle des Huit mondes. Si tu connais le cycle, tu y retrouveras ces humains qui descendent des rares qui survécurent à l'invasion de la Terre et s'accrochèrent comme ils le purent aux sols inhospitaliers de la Lune, de Mars, de quelques astéroïdes et des planètes extérieures – sans oublier leurs lunes dont la terrifiante Charon. Si tu ne le connais pas, tu comprendras tout quand même.

Après Gens de la Lune et Le système Valentine, Varley te ramène encore une fois sur la Lune. Notre satellite, passées les années d'effroi qui suivirent l'Invasion, est devenu un homeworld de substitution où se combinent grand confort et grande liberté. Sur la Lune, presque tout est autorisé, jusqu'aux lubies corporelle les plus étranges, du moment que ça ne nuit à personne – un paradis individualiste en somme. Sur la Lune, on peut vivre dans de grands canyons creusés pour offrir de l'espace, ou dans des « disneyland » qui recréent tel ou tel biotopes, ou dans des habitats ad hoc créés à la demande d'un nombre suffisant de citoyens. Chris, par exemple, vit à Noir-Ville, un habitat où est reconstituée l'Amérique des années 1910 à 1960, le lieu rêvé pour un homme qui se rêve en Privé de film noir.

Et pourtant, sur la Lune, certains trouvent que la liberté offerte par le système légal et l’informatique de gestion de la ville n'est pas suffisante. Marginaux, délinquants, ou originaux, ils vivent dans les plus anciens tunnels du satellite, aussi peu cartographiés que contrôlés, c'est à dire dans la mythique et dangereuse Irontown.
Et à Irontown, les plus politiques, le noyau dur militant, se nomment eux-mêmes Heinleiniens.

Quand le roman commence, Chris, qui ne croule pas vraiment sous les clients, reçoit à son bureau la visite d'une femme en voilette – dans le plus pur style Chandler – qui lui demande de retrouver l'homme inconnu qui lui aurait transmis, sans doute volontairement, une forme GM de lèpre incurable. Arrangement est pris, mais peu est mis en branle. Il faudra des jours de procrastination avant que Chris se lance enfin sur les traces de l'homme mystère, et d'abord à la recherche de sa cliente qu'il n'a pas revue depuis leur entrevue initiale.

Si Chris traîne autant – à ton étonnement, lecteur – à se mettre en ordre de marche, c'est pour deux raisons principales : d'abord, il n'a pas vraiment besoin d'argent, faire le détective privé est pour lui plus un hobby qu'autre chose, ensuite et surtout, Irontown lui rappelle de très mauvais souvenirs personnels liés à la « Grande Panne » et aux aventures de Hildy Johnson, des événements narrés dans Gens de la Lune. Mais ne t'inquiète pas, lecteur, crois-moi, même si tu n'as pas lu les romans précédents du cycle, tu n’auras aucune difficulté à tout comprendre de celui-ci.

Quoi qu'il en soit, une fois la traque lancée, elle ne s'arrêtera plus et l'emmènera down the memory lane, avant de l’entraîner, car l'affaire initiale n'était que la première peau de l'oignon, aussi loin que possible de sa zone de confort. Avec toi à ses côtés, peut-être.

Que tu accompagnes le détective amateur dans ses pérégrinations ou pas, lecteur, sache qu'il n'y sera jamais seul. Sherlock participe à l'enquête comme équipier, partenaire, et parfois ange-gardien.
Et quand il s'agira de raconter les faits, d'écrire ce compte-rendu que tu liras peut-être, Chris et Sherlock seront tous deux mis à contribution. Tu liras en effet le premier roman raconté par un humain et un chien en parallèle – pour Sherlock, grâce à la collaboration d'une traductrice canine.

Cette narration change tout et fait d'une histoire somme toute assez simple un vrai plaisir de lecture.
On pourrait dire que Chris, en loser un peu mou et guère compétent, en adulte qui s'est inventé un monde de fantaisie auquel il est le seul à croire, est attachant. C'est vrai. D'autant plus que ce grand nigaud traumatisé est d'une honnêteté confondante quand il s'agit de pointer ses propres limites, et qu'il le fait dans un style matter-of-factly désarmant de simplicité bonhomme.
Mais la voix de Chris n'est rien à côté de celle de Sherlock. Le chien GM est de ces personnages inoubliables qu'on rencontre parfois. Courageux, foncièrement bon, loyal sans restriction, un peu mégalo aussi – on n'est pas un chien GM sans fierté –, Sherlock est le vrai héros du récit. Et il raconte sa part comme un chien le ferait, butant sur ses limitations intellectuelles et décrivant la réalité en usant de concepts qui font sens pour lui. Il est donc aussi aimable par sa personnalité que réellement drôle par sa manière – canine – de percevoir le monde. Chaque phrase de Sherlock est une pépite d'étrangeté radicale à la logique néanmoins imparable. Un bonheur de lecture.

Cette double narration et l'humour évident d'un auteur qui ne se prend pas au sérieux et veut surtout s'amuser en racontant une histoire pourtant terrifiante de conspiration font de "Blues pour Irontown" un roman-plaisir. Lire ce roman, lecteur, c'est passer un vrai bon moment, agréable et distrayant, sans prise de tête ni maux de crâne hard-SF, ce qui ne l'empêche pas de balancer quelques idées (ou plutôt des impressions) sur la liberté individuelle ou le risque des IA omnipotentes.

Blues pour Irontown, John Varley

Et parce que c'est la Saint-Valentin, finissons avec ces deux promesses d'amour à venir pour lesquelles je laisse la parole à Sherlock :


Commentaires

chéradénine a dit…
Merci pour cette chronique qui sait donner envie, et rassurer le lecteur néophyte du cycle de l'auteur.
Gromovar a dit…
Y aller sans souci, ce qui doit être expliqué l'est dans le texte.
patrick_g a dit…
Grand fan de Varley, j'attendais avec impatience la traduction de ce troisième volume. Dès que j'ai vu ta chronique je me suis rué à la Fnac pour l'acheter. J'ai été surpris de voir que ce troisième bouquin était bien plus svelte que les deux précédents.
665 pages pour mon édition de Gens de la Lune.
573 pages pour celle du Système Valentine.

Et là seulement 261 pages...damned ce n'est pas assez !
Gromovar a dit…
C'est une - très bonne - amusette. La tenue d'une promesse à soi-même d'écriture.
Baroona a dit…
Un vrai héros chien, c'est "Demain les chiens" en mieux. =P
Tentant.
shaya a dit…
A noter, c'est tentant !
Gromovar a dit…
C'est un bouquin très sympa.
Olivier Le Gal a dit…
hUMM ce livre à l'air très original, à découvrir. Merci pour cette chronique.
Mon chat veut donner son avis :
"Cette histoire me hérisse quelque peu les poils, mais ça reste du poisson béni."
Gromovar a dit…
Hum, Sherlock n'écoute pas l'opinion des chats.