Rich Larson - The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches

Quelques mots sur The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches , le tout récent recueil de micro-nouvelles de Rich ‘ Fabrique des lendemains ’ Larson . 30 textes, chacun lisible en une à six minutes, grand maximum  (une ou deux déjà traduites en français dans le recueil susnommé) . Du court, du court, du court, du bon, du bon, du bon. De la SF, du post-apo (voire très post-apo) , du cyber, du body-horror/weird, du genemod. Je ne peux pas raconter, même un peu car, les nouvelles étant courtes et parfois à chute, ça spoilerait trop. Qu’on sache juste que c’est globalement très bon, que lorsque ça l’est moins c’est court, et que, même si le background n’est pas toujours cyber, ça forme, par la noirceur et l’inventivité technologique de l’ensemble, ce qui se rapproche le plus aujourd’hui d’un très bon recueil cyberpunk/SF. Pour donner un peu envie (si ce qui précède ne te suffit pas, ingrat de lecteur) , je liste ci-dessous, en vrac, quelques-uns des tropes que tu croiseras dans les pages

Les carnets de guerre de Louis Barthas - Fredman


Je dois avouer à ma grande honte n'avoir jamais lu Les carnets de guerre de Louis Barthas, alors qu'ils sont disponibles depuis 1978. Parfois, même sur ses propres centres d'intérêt, on fait des impasses liées au manque de temps ou à des effets de satiété.
Aussi, je saute aujourd’hui sur l'occasion d'en lire l'adaptation BD, publiée à la Découverte et illustrée par Fredman à partir du texte original.

Qu'est-il donc ce texte ?
D'abord un ensemble de carnets tenus presque au jour le jour par le tonnelier de Peyriac-Minervois – dans l'Aude. Après la guerre, rendu à la vie civile et à la normalité, Louis Barthas décida de mettre ses carnets au propre et en fit 1732 pages de texte répartis dans 19 cahiers d'écolier. S'y ajoutent environ 300 cartes postales représentant les lieux de « sa » guerre.
Texte fort bien écrit par un premier prix du Certificat d'études, il n'avait pas vocation à être publié. Louis Barthas voulait laisser une trace, pour sa famille, ses proches. Ce socialiste militant, pacifiste de toujours, voulait que les horreurs de la guerre dissuadent à l'avenir d'autres de s'y lancer ou même de l’accepter – 1939 lui donna tort, hélas.
Ce n'est qu'en 1977 – soit 25 ans après sa mort – que des extraits en furent publiés par la Ligue de l'enseignement, avant une publication intégrale par Maspéro en 1978. Il est, depuis, un texte incontournable de l'étude de la Grande Guerre vue « d'en-bas ».

Louis Barthas a 35 ans quand la guerre éclate. En raison de son âge, il est mobilisé comme territorial et aurait dû rester loin du feu. En réalité, il partit rapidement pour le front car l'énormité des pertes, dès les premiers jours du conflit, conduisit à basculer les territoriaux au sein des régiments combattants. Barthas, qui eut la chance d'échapper à la guerre de mouvement et à ses pertes énormes, est alors envoyé avec son régiment dans le Nord. Début novembre, il arrive à la gare de Barlin, en plein pays minier, alors que la guerre de tranchée commence. Il vivra quatre années d'horreur, et participera au « grignotage » dans l'Artois, à Notre-Dame-de-Lorette, à la bataille de Verdun, à l'offensive de la Somme (la réponse du berger à la bergère), au chemin des Dames. Finalement, épuisé tant physiquement que nerveusement, il est envoyé vers l'arrière en avril 1918, ce qui lui épargne les dernières offensives meurtrières.

Passionnant, le récit de Louis Barthas montre la guerre qu'il a vue. Même réécrivant après le conflit, il n'infère jamais de ce qu'il sait ce qu'il ne savait pas à l’époque de la première rédaction. Il y a donc une grande sincérité dans son texte qui se manifeste aussi dans ses appréciations.

Barthas décrit le quotidien des poilus.

Il dit la peur de la mort, la résignation devant elle mais aussi les petites menteries (comprises par les autres) qu'on fait pour échapper à l'assaut quand on n'en peut vraiment plus, les corps déchiquetés sur lesquels on marche ou les blessés si défigurés qu'on peut ne même pas reconnaître un proche.

Il raconte les assauts absurdes face aux murs de mitraille, les ordres et contrordres continuels, les mensonges proférés par le commandement pour cacher l'imminence de la confrontation aux hommes, les situations cocasses, même, où une tranchée avancée trop en avant par erreur permit la conquête d'une tranchée allemande presque sans coup férir.

Il dit l'inconfort et l'épuisement, encore plus présents que le risque mortel. La pluie froide, la boue qui colle les pieds au sol, les poux, les rats, les kilomètres de marche nocturne, les travaux incessants de consolidation ou de réparation des tranchées (de nuit aussi), les corvées absurdes dont la fonction première est d’occuper l'esprit et le corps des poilus sans oublier de réaffirmer toujours l'autorité et le pouvoir hiérarchique.

Il raconte ces officiers de ligne dont la plupart (mais pas tous) sont de vrais connards plein d'une morgue de classe envers leurs hommes. Il décrit leur obsession de ne jamais « perdre la face », comme dirait Philippe d'Iribarne, qui conduit à la dureté ou à l'injustice. Il montre comment les officiers supérieurs sont à la fois prodigue de la vie de leurs hommes (envisagés comme guère plus que des statistiques) et parfois plus cléments envers les soldats mis individuellement en cause, car moins soumis aux exigences du « face à face ».

Il dit la crainte du peloton d'exécution, dont on oublie souvent que c'est au début de la guerre qu'il fut le plus utilisé.

Il raconte les trêves de Noël entre soldats français et allemands, les fraternisations dans les petits postes avancés, les cantines qu'on ne bombarde pas par reste d'humanité.

Il s’interroge sur ce qui se serait passé si la proposition de paix du Kaiser à Noël 1916 avait été accepté. Ni lui ni nous ne le saurons jamais.

Il dit aussi ce qu'il sait des mutineries de 1917, inspirées par la pensée pacifiste, la boucherie du chemin des Dames, l'épuisement de la guerre, les nouvelles de révolution russe. Il montre qu'elles n'aboutirent pas, mais qu'au moins les poilus y gagnèrent des permissions accrues – ces permissions qui sont le si rare havre de paix des poilus, qui lui permirent de revoir si peu sa femme et ses enfants, qui lui montrèrent un arrière aussi ivre de victoire au début que dépité par les pénuries ensuite et le décalage de plus en plus grand entre poilus, embusqués, et civils.

Il raconte ces moments de joie simple où on est un peu à l'arrière ou à l'abri, où le simple fait de prendre un peu de repos semble une entrée au Nirvana.

Et puis, il y a aussi Barthas lui-même. Un homme bon qui prend des risques pour protéger ses hommes (il est caporal) de leurs supérieurs , qui retourne sous le feu chercher un homme resté en arrière, qui ne demande jamais à être relevé, qui essaie d'être un homme honnête et y parvient. Le pacifiste qui hait la guerre la fait (sans jamais renier ses convictions), car comment refuser d'y être quand les autres, pas plus volontaires, y sont ? C'est rageant et c'est justice à la fois. C'est décent et digne. En cela il rappelle fortement Henri Barbusse.

Ce témoignage est aussi puissant qu'important. L'adaptation le rend plus accessible car plus rapide à lire sans rien sacrifier de sa force. Le dessin, encre de Chine et lavis sépia, rend parfaitement l'ambiance du texte et participe de la réussite globale du livre.

On notera que fut inauguré en 2015 un monument des fraternisations, à Neuville-Saint-Vaast, sur les lieux même où Barthas y assista « singulier spectacle : deux armées ennemies face à face sans tirer un coup de fusil (…) Français et Allemands se regardèrent, virent qu'ils étaient des hommes tous pareils. Ils se sourirent, des propos s'échangèrent, des mains se tendirent et s'étreignirent, on se partagea le tabac, un quart de jus ou de pinard » et rêva « Qui sait ! Peut-être un jour sur ce coin de l'Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu'on obligeait à s'entretuer ».

Les carnets de guerre de Louis Barthas, Fredman

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