La Maison des soleils - Alastair Reynolds

La Maison des soleils est un roman (de 2008) d’Alastair Reynolds qui arrive enfin en France grâce au Bélial et à l’infatigable traducteur Pierre-Paul Durastanti. La Maison des soleils se passe 6 millions d’années dans l’avenir (énorme à notre échelle, rien à celle de l’univers ; il est important d’avoir ces deux rapports en tête pour comprendre tant la dimension vertigineuse de l'aventure humaine que le caractère transitoire des civilisations présentées ici, aussi éphémères que les nôtres) . La Maison des soleils prenant place dans le même univers que la novella La Millième nuit , publiée en UHL et chroniquée ici, je te renvoie, lecteur, à la chronique précédente dont le début te précisera le contexte. Univers de la Communauté donc. La Lignée Gentiane doit de nouveau se rassembler pour les Retrouvailles au cours desquelles, lors des célébrations des Mille Nuits, vont être partagés les fils mémoriels de chacun des clones (nommés frag, pour fragment de l’initiatrice de la Lignée,

The Devil in America - Kai Ashante Wilson


1877, Sud des USA. Easter Mack est une jeune fille noire âgée de douze ans. Elle vit avec sa mère 'Ma'am' et son père 'Pa' – plus quelques animaux domestiques dont le chien Brother – dans la petite ville de Rosetree (ici certains sentent déjà tourner le vent).

Easter et ses parents forment une famille aimante, pleine de douceur et d'affection, bien intégrée dans une petite communauté rurale du Sud semblable à tellement d'autres. On y a des amis, on s'y marie, on y élève une famille, on y travaille, on y va à l'église, on s'y réunit pour des pique-niques après l'office. Une particularité quand même : Rosetree n'est habitée que par des Noirs. Et lorsqu'une rumeur naît dans la ville voisine sur un viol supposé, une tempête de violence monte, pointée sur Rosetree, une tempête dont personne dans la petite ville ne soupçonnera même l'existence jusqu'à ce qu'il soit trop tard, qu'elle se soit abattue sur la petite ville avec une violence cataclysmique.

Kai Ashante Wilson propose, avec "The Devil in America", un texte aussi puissant que les événements qui en sont le point d'orgue.
Il y revient de manière tangentielle – et dans un espace/temps transformé – sur le terrifiant et scandaleux massacre de Rosewood.
Il le fait à travers un récit original, mêlant passé et présent, narration et métanarration, qui met en scène des personnages aimants, paisibles, simples, véritablement attachants, sur lesquels va s'abattre l'injustice la plus noire.

Si le massacre est assez largement montré, pourquoi écrire « tangentielle » ?
Car Wilson aborde aussi des thèmes structurels, et que le massacre semble presque incident.

C'est d'abord d'une perte d'identité que parle l'auteur. De l'oubli forcé de la culture ancestrale par les descendants d'esclaves. De l’ignorance fautive de ses mythes fondateurs. D'une forme de syncrétisme contraint aussi quand Easter nomme 'Anges' les esprits qu'elle sait appeler.

Mais c'est aussi de l’abdication de toute rationalité dans les relations Noirs/Blancs que parle Wilson. D'un système sudiste ancestral dans lequel la parole des Noirs ne vaut rien, dans lequel on pend d'abord et on rien ensuite, dans lequel le système esclavagiste a créé un sentiment de supériorité absolue dans une partie de la population blanche et une résignation contrainte – une manière de faire le gros dos en espérant que l'orage passera au large – chez beaucoup de Noirs.
Et la dite abdication de la rationalité n'est pas réglée aujourd'hui. Le système judiciaire continue de s'appliquer, la plupart du temps, de manière très différente suivant que le suspect et/ou la victime sont Blancs ou Noirs. Quant au système carcéral, il est comme un apanage de la jeunesse noire.
Wilson dit d'ailleurs dans une interview que c'est le cas Trayvon Martin qui a été le déclencheur de son écriture (connexe : on peut lire aussi sa nouvelle de colère The Lamentation of their Women).

Cette abdication de la rationalité, cette perte d'identité, cette inégalité construite dans l'airain, Wilson les attribue au crime fondateur de l’esclavage qui a forgé les âmes et transformé les dieux ancestraux, et singulièrement le diable. Déraciné, transplanté en terre étrangère, le diable a muté. De taquin qu'il était, attisant le trouble seulement pour vaincre l'ennui, il est devenu, en terre américaine, maléfique, assoiffé du sang de ceux qui croient en lui et de leurs descendants, comme l'est le terrifiant Anansi de l'épisode 2 d'American Gods.

Pour les Noirs aux USA comme pour la jeune Easter, il n'y a pas de bonne solution, que des plus ou moins mauvaises, à plus ou moins long terme. Et même la magie – le retour à l'origine tenté par la jeune fille – ne peut suffire à sauver des êtres que leur histoire a déjà condamné à l'enfer. La fin le montre assez, le calvaire des pères retombe sur les fils.

Un texte beau et puissant nominé Nebula et World Fantasy 2014, catégorie novelette, écrit dans la langue du Sud donc plus accessible que celle de The Lamentation of their Women.

The Devil in America, Kai Ashante Wilson

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