La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

L'arche de Darwin - Morrow - L'Arbre de vie


Milieu du XIXème siècle. 1848 pour être précis. Chloé Bathurst est une comédienne de seconde zone. Nantie d'un frère jumeau joueur impénitent, Chloé prend en pleine face l'inégalité du temps quand elle est confrontée au destin de son père, un homme honnête et bon poursuivi pour une énorme dette et forcé de travailler comme un quasi-esclave dans l'une des sweatshops de l'époque. La jeune femme en est bouleversée et révoltée au point de se lancer, durant une représentation, dans une improvisation aussi lyrique que malvenue qui lui vaut un renvoi immédiat du théâtre qui l'employait. Pour survivre, elle devient la gardienne du zoo de Charles Darwin et y « rencontre » la première version de la théorie de l'évolution.

Naît alors dans son esprit un plan ingénieux pour libérer son père. Participer au Grand Concours de Dieu, compétition organisée par des libertins d'Oxford qui offrent 10000 £ de prix à qui apportera une preuve convaincante de l’existence ou de l’inexistence de Dieu. Chloé décide d'y présenter la théorie, volée, de l'évolution ; mais pour ce faire elle doit d'abord embarquer pour les Galapagos afin d'aller chercher les spécimens vivants sur lesquels Darwin a bâti une bonne partie de sa théorie. Commence alors pour elle une aventure stupéfiante à travers la moitié du monde, à la rencontre de dangers terrifiants et de merveilles inédites ; une course aussi car, simultanément, une autre expédition est en route, partie à la recherche de l'Arche de Noé.

"L'arche de Darwin" est un roman de James Morrow, traduit par Sara 'Big books' Doke. Entre philosophie, histoire des sciences et grande aventure picaresque, Morrow offre au lecteur un monde en pleine révolution industrielle, scientifique, et culturelle. L'Europe du XIXème, qui domine le monde, est en transformation profonde. Lutte entre classes antagonistes, sécularisation en marche, avancée des idées démocratiques, chartisme britannique, naissance du communisme comme idée, les changements sont loin de n'être que techniques ou organisationnels.

Développant la théorie de l'évolution pour le lecteur, Morrow en montre l'inévitable évidence. Balayant les arguments sur l'existence de Dieu, de la cosmogonique à l'ontologique en passant par la téléologique, pose leur incapacité à résoudre tant la question théiste que la question déiste. Morrow invoque Schopenhauer pour poser ces incapacités. Tournant le dos à tout réalisme, Morrow fait intervenir, dans une succession de rêves éveillés vécus par un fou, la connaissance qui suivra le temps de son roman. Mendel et les lois de l’hérédité dont Darwin ne disposait pas, Teilhard de Chardin et l'évolution humaine des hominidés jusqu'à la noosphère, Rosalind Franklin et l'ADN, tous interviennent dans "l'Arche de Darwin" où ils exposent leur cheminement et leurs découvertes. Et, à chaque fois, comme pour la théorie de l'évolution des espèces, c'est clair, compréhensible, accessible.

Morrow illustre aussi le désarroi qui saisit l'Europe du XIXème. Le chartisme anglais bat son plein, le communisme, « spectre qui hante l’Europe », devient une idée qui circule, les religions instituées résistent autant que faire se peut à l'avancée des sciences et des idées. Alors que les systèmes idéologiques changent, les sciences ne sont pas en reste ; Newton et sa loi monocausale simple est le modèle à suivre et l'objectif à atteindre, y compris dans le domaine social, cf. Durkheim et la « loi de gravitation du monde social ». Ces soubresauts du centre affectent le monde entier. L'Amérique du Sud que traverse Chloé est la proie d’esclavagistes qui inaugurent ce que sera le capitalisme mondialisé.

Pour balader le lecteur de Londres aux Galapagos, d'un bout à l'autre du monde et d'un bout à l'autre de la foi et des idées, Morrow, dans le style narratif des grandes aventures de l'époque et avec un détachement souvent humoristique, met en scène une héroïne prodigieuse. Chloé, qui séduit rapidement le lecteur, s'approprie la théorie de Darwin, en donne une vulgarisation saisissante, surmonte des obstacles innombrables, à fortiori pour une personne de son sexe. De ce point de vue, le roman développe un angle clairement féministe, accentué par la « révolte des épouses » aux Galapagos, la liberté sentimentale de Chloé, ou la souveraineté qu'elle exerce sur ses choix matrimoniaux.

Accompagnée par une succulente galerie de second rôles, la jeune aventurière, plus agnostique qu'athée, souvent inspirée par les rôles qu'elle a joué sur scène, connaît le doute et l’illumination métaphysique, survit à un naufrage, gagne une guerre contre l'esclavage, invente une tribu juive perdue en plein cœur du Pérou, gagne un procès, et fait exploser un volcan avant de crouler sous les prétendants. Elle affronte un empereur mormon, des piranhas, des serpents mortels, sans oublier des condors alors qu'elle vole à bord du dirigeable JB Lamarck pour prouver la théorie de Darwin, ce qui est, admettons-le, est croquignolet. Et tout du long, elle n'oublie jamais son objectif initial, rentrer riche en Angleterre pour libérer son père de l'asile de misère dans lequel il croupit.

"L'arche de Darwin" combine donc, dans un style captivant, roman d'aventure, chronique historique, et vulgarisation scientifique, le tout emmené par un personnage, Chloé Bathurst, aussi énorme et inoubliable, dans son genre propre, que d'Artagnan par exemple.

L'arche de Darwin, James Morrow

Commentaires

Gromovar a dit…
Très plaisant.
yogo a dit…
Tu me donnes envie, j'aime bien tout ce qui touche à l’évolution...
Gromovar a dit…
Là, clairement, ça touche.