Mirror Bay - Catriona Ward VF

Sortie de Mirror Bay , la version française de l'excellent Looking Glass Sound de Catriona Ward. C'est encore une fois magistral, tortueux, émouvant et rempli de faux-semblants  (il faut en profiter, ce n'est plus le cas dans le décevant Sundial pas encore sorti en VF) . Ne passe pas à côté, lecteur.

Mr Suicide - Nicole Cushing - Mouaip


Louisville, Kentucky. Une famille white trash américaine qui s’est un tout petit peu embourgeoisée : on n’y vit pas dans un trailer mais dans une maison fabriquée en deux morceaux en usine puis assemblée par collage à l’arrivée sur le terrain. On a sa fierté, même si elle est mal placée, on arrive toujours à voir plus pauvre et en difficulté que soi, mais on est néanmoins tout en bas de l’échelle sociale.

Dans ce joli logis vivent non pas trois ours mais un papa, une maman, et deux enfants. Le papa travaille à l’usine du coin, et il y a bien longtemps que la maman l’a mis sous l’éteignoir. La maman est une femme toxique et malfaisante, Folcoche redneck qui martyrise psychologiquement ses enfants et en tire autant jouissance que rassurance. Le garçon le plus âgé est fou, littéralement. Il a cédé, sa mère l’a brisé. Le garçon le plus jeune – bientôt majeur – hait sa mère, pense au meurtre, au suicide, à un départ définitif loin de son enfer domestique. Le couple a deux autres enfants, qui ne fréquentent plus la maisonnée après que des années de maltraitance morale aient culminées dans des esclandres faits par la mère lors de leurs cérémonies de mariage. Voilà, voilà.

Avec un tel pitch, on pourrait attendre un roman réaliste. Mais Cushing – qui tient la plume –  se définit elle-même comme une « anti-nataliste », disciple de Ligotti.

Le « héros » de Mr Suicide est le garçon presque majeur – qui le devient pendant le roman. Jamais nommé, Cushing s’adresse à lui intégralement à le deuxième personne. Elle lui/nous dit donc qu’il est en contact mental avec Mr Suicide, une sorte de croquemitaine qui l’invite sans cesse à se suicider. Maltraité en famille, ostracisé au lycée, mal dans sa peau, le gars (appelons-le comme ça) ne cède jamais, même s’il est toujours tenté. Alors que le temps passe et qu’il accepte toujours plus la monotonie abjecte de sa vie, son frère fou lui offre un magazine mêlant allègrement sexe, laideur, et mutilation. Il y découvre une page centrale totalement noire, et, y plongeant, trouve un mentor surhumain et commence un chemin qui doit le conduire jusqu’à l’annihilation complète, une annulation qui, accomplie, ferait de lui une personne non née, n’ayant jamais quitté le néant de la non existence, effacée donc de l’Histoire et des mémoires. Il ne peut rester aucune trace de ce qui n’a jamais existé.

S’il y a une chose qu’on peut reconnaître à Nicole Cushing, c’est qu’elle a de l’estomac. Décrivant la marche au néant de son personnage, elle ne lui/nous épargne rien en terme de perversion sexuelle ou de voyeurisme. Cushing n’en rajoute pas dans les effets mais elle montre tout, sans rien cacher, sans affect aussi. Elle développe pour nous la volupté de l’anéantissement possible dans le cadre d’un récit initiatique où nous sommes intégralement spectateurs. En trois étapes, le gars doit descendre une Echelle de Jacob inversée, dégénérer, déréaliser le monde, puis disparaitre totalement. Qu’en sera-t-il ?

Pour lire "Mr Suicide", il faut un peu de courage tant Cushing n’édulcore rien. Imaginez le fond nihiliste de Ligotti, assaisonné de mutilation à la Ballard ou à la Evenson, de sexualité déviante à la Brite, et traité avec la matter-of-factness de Palahniuk. Imaginez un personnage de mère monstrueuse comme il y en a parfois même s’il ne devrait jamais y en avoir. Imaginez l’ambiance méphitique des humiliations casual dans les lycées US entre les populaires et ceux qui ne le sont pas. Imaginez un récit dépassionné de marche à l’abîme qui vous met aux premières loges. Imaginez l’avilissement progressif d’un jeune atteint de PTSD familiale. C’est l’ambiance.

J’ai lu mais n’ai pas été entièrement convaincu, en dépit du Bram Stoker Award 2016 du premier roman. Les histoires de perversions sexuelles m’ennuient vite. Les récits nihilistes à la Ligotti aussi. Cerise sur le gâteau, le style « à la deuxième personne » me laisse la plupart du temps à l’extérieur alors qu’il est sensé donner l’impression de s’adresser au lecteur lui-même. Alors à vous de voir.
D’autant que la fin est troublante. Après toute cette noirceur, on a l’impression d’assister au Choose Life conclusif de Trainspotting, renonciation ultime face à l’inéluctabilité du monde.

Mr Suicide, Nicole Cushing

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