La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Telluria - Vladimir Sorokine - за ваше здоровье!


"Telluria" est le dernier roman de l'écrivain russe postmoderniste Vladimir Sorokine. C'est aussi mon premier. Quelle expérience !

Eternel opposant, au totalitarisme explicite de l'URSS comme à celui plus soft de Vladimir Poutine, Sorokine livre ici un texte qui serait, si j'en crois ses exégètes, une récapitulation conclusive de l'univers de sa trilogie de la Glace.

350 pages, une cinquantaine de chapitres, et seulement deux ou trois qui se font écho. Pas vraiment d'histoire dans Telluria donc, plutôt une ballade dans l'Europe future sous forme de vignettes de quelques pages à chaque fois. Des flashes qui fascinent, effraient, émerveillent, émeuvent.

A quoi ressemble donc cette Europe à venir ?

Peu de mondialisation, plus d'UE, ni d’États-nations. Guère d'Occident non plus semble-t-il, la Californie étant devenue indépendante. Face au géant défait, des wahhabites salafistes qui ont envahi l'Europe, l'ont occupée, y ont installé un régime totalitaire de terreur, avant d'être chassés lors d'une nouvelle Reconquista. A côté, la Chine, dragon paisible en phase historique d'ascension.

En Europe, plus de Russie, plus de France, plus d'Allemagne, entre autres. Et, merveilleux et fantastique réalisés, l'impossible y est devenu possible. Avec ces petits, hauts comme trois pouces, et ces grands, véritables géants, qui encadrent les hommes de taille moyenne comme vous et moi, ou ces chimères génétiques dont l'exemple ultime prend la forme de pénis animés, conscients, facétieux.
C'est dans ce nouveau « Moyen-Âge éclairé » (plus de pétrole, on se déplace à cheval ou on roule à l'alcool de patates d'une « seigneurie » à une autre) que se montrent à voir les vies, les espaces, les systèmes socio-politiques de Telluria. Des confettis de lieux et de moments rassemblés par l'auteur dans une histoire des temps à venir qui passe par la petite histoire des gens pour raconter la grande des peuples. Un kaléidoscope de situations et d'écritures. C'est fascinant et passionnant.

Chaque chapitre est écrit dans un style différent. Chaque histoire est différente. Chaque ton est distinct. Du conte à la farce en passant par le dialogue ou l'incantation, Sorokine promène le lecteur des micro-Etats néo-communistes aux utopies démocratiques, des théocraties fanatiques aux ploutocraties les plus éhontées. Le seul fil qui tienne la tapisserie est le tellure, métal-drogue recherché par tous, qui donne les plus belles hallucinations du monde, permet de voir réalisé ses rêves ou de revivre ce qu'on a perdu, de rendre perceptivement vrai ses fantasmes les plus fous.
L'Occident, sorti de l'histoire, rêve un monde parfait et absolument individualisé grâce à un opium d'un nouveau genre. La Russie, détruite par les trois « démiurges » Lénine, Gorbatchev, Poutine, n’existe plus non plus, et c'est sans doute ce qui importe vraiment à un Sorokine qui récapitule aussi la Culture, pépite par pépite, des Grecs à la poésie russe en passant par Baudelaire, dans une présentation qui ressemble à ces albums de photos dans lesquels on va revoir les chers disparus.

C'est bon, très bon, excellent même. Entre roller-coaster sanglant, allégorie rabelaisienne, et grand-guignol, Sorokine procède à une convaincante carnavalisation de l'avenir sinistre de la civilisation occidentale.

Telluria, Vladimir Sorokine

Commentaires

Lune a dit…
Alors je ne sais pas si ça me fait peur ou si ça me fait envie, cette chronique. Sûrement un peu des deux !
Gromovar a dit…
Lis une trentaine de pages et tu verras ce que ça te dit.
Anonyme a dit…
Les deux premiers tomes sont extraordinaires. Inclassables et très marquants.
Merci d'avoir écrit ce billet car j'ignorai que c'était une trilogie. Je dois me le procurer d'urgence !!!
Gromovar a dit…
En fait c'est un 4ème récapitulatif.

Le 3ème est 23000.
Olivia Lanchois a dit…
J'ai lu les quatre premiers chapitres. J'ai bien saisi l'idée de multiples petits récits, sans réel rapport entre eux, etc. mais en dehors de ça, j'ai rien compris à ceux que je viens de lire....mais alors que dalle ! Je me dis qu'il faut peut-être le temps d'intégrer le truc, je vais donc persévérer :P
Gromovar a dit…
Ca vaut la peine d'insister un peu mais je comprends qu'on puisse ne pas accrocher.
Ce livre m'intrigué, maintenant je suis quasiment persuadé qu'il me le faut.

Merci pour ce retour.
Unknown a dit…
Telluria est impossible à résumer. Tout y est grandiose, grotesque, rempli d'humour, tantôt grossier, tantôt d'une finesse extrême; tout y est plein d'allusions à la politique politicienne, à la géopolitique du futur. Tous les genres littéraires sont représentés, y compris les plus laids, mais avec régulièrement des allusions à la plus haute poésie russe; tous les comportements humains - mêmes les plus sordides ou déjantés - côtoient les plus respectables dans une série de tableaux difficiles à synthétiser tant ils sont étrangers à notre vision du monde actuel occidental. Telluria décrit un monde post moderne eurasien résultant d'une grande guerre religieuse mondiale. Non seulement les nations ont été remplacées par des principautés mais également les esprits les âmes et les coeurs ont des formats individualistes d'une structure impensables de nos jours. Dans Telluria, la science a créé une technique et une faune humaine et animale nouvelle autant que désespérante ou enviable, laquelle jouxte un monde actuel ramené au moyen-âge. Mais la nature inchangée reste le modèle de beauté. Telluria complète l'oeuvre d'un écrivain russe à l'imagination délirante et au style inimitable. Sorokine est certainement le plus grand de tous les écrivains dystopiques. Il n'est pas apprécié évidemment par les autorités russes. Il n'en reste pas moins l'écrivain russe vivant de génie qui marque l'histoire littéraire mondiale. Certainement pas nobélisable dans un futur proche !
Gromovar a dit…
Un beau et juste commentaire. Merci.

Et si ça peut convaincre encore quelques-uns de lire ce très bon livre...tant mieux.