La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Six Wakes - Mur Lafferty - Artificiel


"Six Wakes" est un roman de Mur Lafferty. C'est un mystère en chambre close (à la Crime de l'Orient-Express donc) particulier sur plusieurs points. D'abord, il prend place dans l'espace, dans un vaisseau générationnel lancé dans un voyage de plusieurs siècles. Ensuite, il met en scène des clones, devenus amnésiques en raison d'un sabotage qui a empêché la copie de leurs mémoires numérisées dans leurs nouvelles incarnations, et n'ont donc aucun souvenir des vingt-cinq années dernières années de vol. Enfin il se caractérise par le fait qu'au début du récit, tous les (six) clones sont morts (toute la génération précédente), ce qui implique donc que, parmi les clones recréés, les victimes côtoient le ou les meurtriers.

A priori, c'est très tentant et c'est un style que j'apprécie pour son côté casse-tête. A posteriori, "Six Wakes" a toutes les caractéristiques des petits polars historiques sans conséquence que je lis pour me détendre de temps en temps ; il en a les qualités, il en a aussi, hélas, les défauts.

Au rang des qualités, on trouve une histoire intrigante qui ronge le cerveau tant elle est mystérieuse. Six morts violentes (soir 100% de l'effectif), un vaisseau saboté, six clones réactivés, aucun souvenir chez personne, ni des faits eux-mêmes ni des nombreuses années qui les ont précédés (donc aucun souvenir non plus des relations nouées ou pas durant le voyage), un tueur au moins – aux motivations inconnues – parmi les six. Tous cherchent ce qui est arrivé, mais chacun sait que celui avec qui il s’interroge sur les événements peut être le tueur, voire qu'il peut l'être lui-même et l'ignorer. Et puis pourquoi tuer des clones, qui seront renouvelés (même si le cloning bay, entre autres, a été saboté, ce qui fait de ces incarnations les dernières possibles sauf miracle) ?
Comme souvent dans les petits polars historiques (ou dans Le crime de l'Orient-Express), les explications se cachent dans le passé des protagonistes, et il faut donc découvrir progressivement les vérités significatives sur les identités des uns et des autres pour savoir qui en voulait à qui et pourquoi.

Le mystère séduit et attire le lecteur, d'autant que le clonage et le téléchargement d'identités numérisées permettent de nombreuses innovations scénaristiques ainsi qu'une interrogation sur la responsabilité de consciences successives ou éditées. Celui-ci lit donc vite pour savoir, comprendre, et le roman est un page turner.

Mais, sans annuler les qualités, les défauts sont plus nombreux.

D'abord écriture et construction sont au mieux quelconques, au pire imparfaites. Chapitres présents et passés s’enchaînent sans solution de continuité. Dialogues et situations sautent aussi souvent d'un personnage à l'autre sans que le passage de témoin soit toujours évident.

Ensuite, la science mise en œuvre (c'est de la SF quand même) n'est pas toujours défendable. Une voile solaire dans l'espace profond, des changements de cap aussi vite initiés qu'annulés, l'invraisemblance des analyses de salive appliquées aux goûts, etc. Ceci sans parler d'un world building étique qui empêche de se représenter clairement ce qu'est la Terre d’humains et de clones d'où est parti le vaisseau – on sait juste qu'elle a connu ces water wars qui sont en train de devenir l'une des tartes à la crème de la SF.

De plus, dans le but d'être complexe, le récit met en œuvre des circonvolutions dont on peut penser qu'elles sont ad hoc au point d'être complètement artificielles. La vengeance dont il est question est incroyablement compliquée. Sa mise en œuvre est inutilement complète (un simulacre convaincant aurait suffit). La raison d'être véritable du vaisseau et de l’expédition apparaissent absurdes quand ils deviennent clairs ; il aurait été tellement plus simple de faire plus simple pour se venger dans l'espace. Les motivations et les actes des uns et des autres durant l'enquête ne témoignent pas toujours d'une logique qui sautent aux yeux. Tout ce qui concerne l'IA du vaisseau n'est guère clair non plus. Et si le mystère sur le « comment » demeure jusqu'à la fin (où il est levé d'une manière peu satisfaisante), le lien entre les clones, en revanche, est vite évident.

Enfin, le roman propose une résolution où tout finit par s'éclairer par la mise en relation presque miraculeuse de toutes les bribes d'information rassemblées puis, pour conclure, l'intervention d'un Deus Ex Machina, presque ridicule tant par sa nature que par sa présence même, qui permet d'offrir un happy end.

Si tu veux un mystère et n'est pas difficile, embarque à bord du Dormire. Sinon, tu peux économiser ton temps.

Six Wakes, Mur Lafferty

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