Les Fils enchevêtrés des marionnettes - Adam-Troy Castro

Juste quelques lignes pour Les Fils enchevêtrés des marionnettes , le dernier UHL d'Adam-Troy Castro, qu'il vaut mieux lire après La Marche funèbre des marionnettes qu'avant. Le décor est toujours la planète Vlhan et son incompréhensible rituel mortifère annuel de masse, le Ballet. L'action prend place quelques années après les événements de La Marche funèbre des marionnettes qui relatait la première intervention dans la danse vhlani d'une humaine augmentée, Isadora. Le personnage principal est ici un shooter de neuropics (si tu es sur ce blog, tu dois voir de quoi il peut s'agir) , Paul Royko, venu couvrir pour son nombreux public galactique le dernier Ballet en date, et singulièrement la participation à celui-ci d'encore une humaine augmentée, Shakalan, venue elle aussi de l'autre bout de l'univers pour danser et mourir avec les Vlhans. Les Fils enchevêtrés des marionnettes est encore, comme toujours chez Adam Troy-Castro, un beau texte avec de

California Girls - Simon Liberati - Trop prudent


"California Girls" est une narration romancée, sous la plume de Simon Liberati, des Tate-Labianca Murders commis en 1969 par la Manson Family. On est ici dans le True Crime, comme le De sang froid de Truman Capote.
Peu ou prou, tout le monde a entendu parler de Charles Manson et des meurtres haineux commis par sa « famille » de hippies dégénérés. Ce sont les détails qui manquent parfois. Liberati les donne ici en invitant le lecteur à pénétrer dans l’intimité de la Family. Et ce n’est qu’une demi-réussite.

1969, l’année de Woodstock, l’année aussi où le rêve fleuri vire au cauchemar. Mort de Brian Jones, festival meurtrier d’Altamont, et entre les deux, au cœur de l’été, les Tate-Labianca Murders.

9 août 1969, 20 jours seulement après l’alunissage des hommes d’Apollo XI et 6 jours avant le début de Woodstock. Tex, Sadie, Katie, et Linda, quatre familiers du gourou hippie Charles Manson, pénètrent nuitamment au 10050 Cielo Drive. Ils y trouvent l’actrice enceinte Sharon Tate, en compagnie de trois amis. Tous quatre sont massacrés, un sort auquel n’échappe pas Steve Parent, un ami du gardien présent par hasard.
La nuit suivante, Tex, Sadie, et Leslie, entrent chez les Labianca, qu’ils assassinent sauvagement aussi. Dans les deux cas, des messages cryptiques, prétendument politiques, sont écrits sur les lieux avec le sang des victimes : « Pig » et « Death to Pigs ».
Un troisième meurtre était prévu mais le victime désignée ne fut pas trouvée.
Quelques jours avant, d’autres membres de la Family avaient assassiné Gary Hinman dans l’espoir de le voler. D’autres meurtres encore leur sont imputés.
Pour ce qui est des meurtres des 9 et 10 août, le but dément de Manson en envoyant ses disciples était de provoquer une guerre des races, le Helter Skelter, qu’il appelait de ses vœux et à laquelle il se préparait en stockant armes et munitions en très grand nombre dans son repaire du Spahn Ranch.
Il fallut plusieurs mois à la police pour faire le lien entre les meurtres et procéder aux arrestations des responsables. Comment croire des hippies coupables ?

Fruit d’un très important travail de documentation, le roman raconte en détail ces courtes journées qui choquèrent le monde. Les Manson Murders, tout le monde les connaît vaguement, ici le lecteur les voit.

Liberati décrit fort bien le fonctionnement du Spahn Ranch, et, dans celui-ci, de la Family. Il montre le fonctionnement sectaire de la communauté, complètement sous l’emprise de Manson, petit homme et homme petit, gourou illuminé, ex-taulard, ex-proxénète, would-be musicien, et véritable haineux revanchard. Haine de la famille, des institutions, des autorités ; haine de tout ce qui n’a pas eu sa malchance d’enfant malheureux parti très jeune en maison de correction ; haine des noirs aussi. Manson qui se vit (et est vécu par ses soumis) en Jésus, croit communiquer avec les Beatles, parle sans cesse d’amour, baise frénétiquement les filles de la Family (qui vivent ses assauts comme des marques de faveur), joue des membres de sa petite coterie comme d’autant d’instruments de musique avides de lui plaire, contrôle les énormes quantités de drogue qui alimentent la communauté, fricote avec des célébrités, trafique avec des motards, n’oublie jamais de n’être pas sur les lieux des meurtres.

Il montre la crasse, la nourriture avariée, la misère intellectuelle et spirituelle, les orgies collectives, les enfants malnutris et souffreteux qui errent cul nu dans le camp et appartiennent à la communauté, l’asservissement de tous à un seul. Il montre le gouffre infranchissable entre deux mondes qui pourtant s’interpénètrent, celui du lumpenprolétariat du flower power au Spahn Ranch et celui des hippies dorés de Hollywood dont les lumières attire un Manson qui se sent rejeté par elles. Il montre des processus d’endoctrinement qui rappellent fortement ce qu’écrivait Bronner sur les extrémistes : une jeunesse en déshérence et en fuite trouvant auprès de Manson un « bombardement d’amour » et une métaphysique qui la rendent capable de tout. Il montre cette « libération » paradoxale qui fait des filles hippies des objets sexuels toujours disponibles. Il montre comment enfermement communautaire, foi, et drogues à haute dose, firent de jeunes banaux des tueurs implacables, excités par leurs actes et convaincus d’agir pour le bien (ceci n’est pas le cas de Linda, qui, réticente, ne fera que le guet puis témoignera contre les autres).

Au spectacle de l’asservissement et de la bêtise de jeunes vivant comme des cancrelats dans les crevasses sombres du rêve américain, le lecteur ressent un fort malaise et Liberati atteint donc son but. D’autant qu’il exprime fort bien (à partir des minutes et des témoignages) cette banalité du mal qui permet de tuer sans raison véritable et sans affect aucun en chosifiant, par le discours, les victimes.

Là où ça pèche imho c’est dans les descriptions (très longues) des meurtres eux-mêmes.  Il y manque une émotion. Passant, à la troisième personne, d’un meurtrier à l’autre et d’une victime à l’autre, Liberati empêche toute identification. On devait terminer ces pages profondément écœuré, ce n’est pas le cas. Voulant sans doute éviter toute complaisance alors même qu’il décrit en détail, Liberati livre une écriture clinique qui ne touche pas. On n’espère pas non plus, puisqu’on sait comment ça se termine ; ce que Victor Hugo réussit au début de L’homme qui rit (passionner pour une histoire dont l’issue est connue), Liberati ne le réussit pas. Dommage.

En dépit de ce problème bien ennuyeux, "California Girls" est un roman à lire. D’une grande qualité documentaire, il interroge aussi sur les parallèles entre Manson et Hitler, deux personnalités magnétiques aux velléités artistiques contrariées, et invite le lecteur à se sentir soulagé que Manson ne se soit jamais lancé en politique.

California Girls, Simon Liberati 

Pour se mettre dans l'ambiance, on peut (re)lire l'excellent Armageddon Rag de George RR Martin ou le très bon Another Fish Story de Kim Newman.

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