La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

The Trees - Ali Shaw - Life abides


"The Trees", troisième texte publié du Britannique Ali Shaw, est un roman difficile à résumer car il est aussi foisonnant que son sujet. En donner le pitch est faisable (c’est d’ailleurs ce que je m’apprête à faire), mais il y a tant de directions dans "The Trees" que l’exercice ne rendra pas justice au livre. On peut lire, ici et là, « The Road avec des arbres » ; non, c’est rater le point.

Pitch donc : Ici et maintenant. Adrien Thomas est un prof d’anglais en disponibilité et, on le découvre au fil des pages, un loser et un lâche - à sa décharge, il n'a pas eu une enfance facile. Il est marié à Michelle, pour combien de temps encore ? Au moment où le roman commence, elle est en voyage professionnel en Irlande, et elle est partie sur une énième dispute, provoquée comme toujours par Adrien. Seul dans la maison du couple, ce dernier se prépare à quelques jours de torpeur inactive, domaine dans lequel il excelle. Mais, au milieu de la nuit, sa ville - et d’abord pour lui sa maison - voit la croissance instantanée d’arbres gigantesques, qui éventrent rues et bâtiments. Très nombreuses victimes sous les maisons effondrées, rues défoncées et largement impraticables, réseaux urbains d’eau, d’électricité, et d’Internet détruits, commence pour Adrien et les autres survivants un jour d’après qu’on ne peut qualifier que de post-apocalyptique, d’autant que l’absence de secours extérieur signale bien le caractère non circonscrit du phénomène.

Maison en ruine, survivants en désarroi, magasins pillés, Adrien, bien sûr incapable de réaction efficace, erre en vain dans les décombres. Il y rencontre l'amicale Hannah - bien plus naturewise que lui – qui lui file un coup de main puis lui propose de partir avec elle vers l’ouest où elle espère retrouver son frère Zach, un forestier. Après brève réflexion, et plus pour la compagnie que pour l’objectif, Adrien décide d’accompagner Hannah jusqu’à sa destination puis de continuer à marcher afin d’aller retrouver sa femme, imaginant même une hypothétique traversée de la mer d’Irlande. Seb, le fils d’Hannah les accompagnera dans ce voyage au sein d’une nature qui a repris ses droits de la façon la plus cruelle possible. Les trois se mettent en route, ils iront plus loin qu’ils ne l’auraient cru possible et seront tous profondément transformés par l’expérience.

Loin d’être un énième post-apo, d’autant que le fond de l’histoire est résolument magique ou mythologique, "The Trees" est un beau roman, bien écrit, jamais manichéen, mettant en scène des personnages riches et complexes qui finissent tous par devenir très attachants tant ils sont développés et sonnent vrais. Dans "The Trees", les personnages portent le roman et ils le font avec brio.

Hannah, une sorte de baba écolo, commence avec le sentiment diffus que le monde vient d’être purifié par l’incompréhensible évènement. Elle découvrira la violence dont celui-ci est porteur, puis la sienne propre, et le caractère hélas trop naïf de son rapport énamouré à la nature.
Seb, adolescent « digital native », sera obligé de se confronter, pour la première fois de sa vie peut-être, au monde réel, à la compagnie directe des autres, et à des difficultés qu'on ne peut surmonter par quelques lignes de code.
Hiroko - une jeune japonaise exilée aussi sauvage qu’une renarde - les rejoint sur la route. Elle sera progressivement apprivoisée et fera enfin la paix avec une histoire de vie compliquée.
Adrien, qui ne sait jamais vraiment pour quoi ou vers quoi il marche, sera le plus changé de tous. Celui aussi qui aura résisté le plus longtemps à sa propre évolution, même s’il essaie sans cesse de faire les choses justes. Ce n’est pas l’envie de bien faire qui manque à cet homme caractérisé par la peur et l’autoexécration, c’est le courage.
Et puis il y a les autres, alliés ou adversaires, qui apporteront tous leur pierre à l’édifice, au fil des mois de voyage.

Bien plus que de post-apo, c’est de transformation qu’il est question dans "The Trees", de métamorphose personnelle et radicale. Sociétale aussi, un peu.
Et puis de deuil. Le deuil d’un monde d’abord, de toutes les choses qu’on ne verra plus, qu’on ne fera plus, qui n’existeront plus, et qu’il faut apprendre progressivement à ne plus regretter. Le deuil ensuite de l’image qu’on avait du monde et de son agencement primordial, de la place relative que l’homme y occupe, de l’essence même de la nature et de la vie. Le deuil enfin de l’image qu’on avait de soi-même, des besoins, limites morales, et niveau de fortitude qui étaient associés à ce qu’on croyait être son identité, des rages ou remords qu'on portait, aussi.

Sur la plan du déroulement narratif, les multiples transformations sont toujours cohérentes et claires, inévitables en un sens. Les relations entre personnages, construites avec précision et patience mais jamais simples, sont justes car elles sont complexes. De nombreuses scènes sont belles et touchantes, d’autres choquantes et dérangeantes, toute la vie est donc là, dans les pages du roman.
Il y a encore les nombreux moments de grâce visuelle qu’offrent les description de Shaw.
Et surtout il y a Adrien, homme insignifiant lancé dans une quête qu’il ne comprend pas lui-même et qu’il n’a pas vraiment choisie. Adrien, brillante trouvaille, l’anti « Père de la Route », l’anti « Rick de Walking Dead ». En 49, George Stewart écrivit Earth abides, Shaw écrit ici Life abides. C’est de ça qu’il s’agit. De la vie qui se perpétue. Qui change et résiste et se perpétue. Pas de l'avant ou de l'après, juste du flux incessant des vies, de la vie.

Tout n'est pas parfait dans "The Trees", le roman est peut-être un poil trop long, certains obstacles semblent un peu trop facilement surmontés, mais c'est néanmoins une belle histoire très joliment racontée. Dommage de s'en priver.

The Trees, Ali Shaw

Commentaires

lutin82 a dit…
un roman post apo flamboyant! cela est très tentant, surtout qu'il a l'air de t'avoir beaucoup plu.
Le prof semble un peu tête à claque au début...
Gromovar a dit…
Pas juste au début. Mais il devient vite attachant.
Lorhkan a dit…
Tu sais que tu fais envie ?
Et comme tu parles souvent de trucs traduits par la suite, on peut espérer... ;)
Gromovar a dit…
Faut que les gens intéressés montent le bourrichon aux éditeurs. Faites du bruit sur les réseaux. Ca peut être un moyen efficace.