L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

The Other Paris, Luc Sante, Paris n'a qu'un héros : le peuple

"The Other Paris" de Luc Sante est un bien beau livre, joliment illustré et extrêmement documenté. L’auteur s’y donne la même mission que dans son Low Life, consacré lui à New-York : raconter et faire revivre un peu l’autre Paris, celui qui n’était pas une fête, celui de ce père et de son fils que Baudelaire mettait en scène dans l’émouvant Les yeux des pauvres (et que Robert Smith rappela à nos mémoires dans la chanson How beautiful you are).

On aurait pu croire avant lecture que le Paris alternatif décrit par Sante n’était que celui qui existait avant Haussman (qui, rappelons-le, n’était Baron que dans sa tête) et ses transformations/destructions. Ce n’est pas le cas en fait. S’il est beaucoup question du Paris d’avant le Second Empire, encore largement médiéval et presque complètement disparu aujourd’hui, beaucoup des singularités (appelons-les comme ça) qu’aborde Sante dans son ouvrage continuent d’exister après les bouleversements haussmanniens, voire n’apparaissent qu’après (pensons à la Commune ou aux Anarchistes par exemple). Beaucoup même se poursuivent jusqu’aux premières décennies du XXème siècle. C’est donc à un temps long que s’attaque Sante, celui de l’envers du décor, du peuple laborieux, des pauvres, des crapules, des désaxés, des révoltés. Celui d’un Paris qui a largement disparu aujourd’hui au grand regret de Sante. Il l’exprime à longueur de pages.

Dans la position d’un flâneur nostalgique et énamouré, Sante décrit extensivement, et son travail est si complet qu’il finit ressusciter un monde englouti par le temps et la modernité.

Il décrit les quartiers d’avant Haussmann, les rues tortueuses où le soleil n’entre pas ou les lieux aux noms improbables (Rue Tire-Boudin ou Rue Trace-Putain pour ne citer que celles-ci), l’intrication des places et des classes dans les mêmes immeubles ou les mêmes quartiers, l’énorme marché des Halles avec ses métiers innombrables et perdus, les noyaux villageois. Les quartiers parisiens où nous entraine Sante sont dans ou hors les murs. Dans Paris, à l’intérieur des fortifications de l'époque, au-delà de celles-ci, ou encore dans le magma informe de la Zone, autour de Paris, espace de non droit où vécut une population très pauvre, marginale, parfois les deux (le Périphérique l’a recouverte après la Seconde Guerre Mondiale), où on allait pour des motifs plus ou moins avouables, et où naquirent les guinguettes. Les quartiers, les lieux de Paris évoluent, changent (fascinante histoire du Marais), s’embourgeoisent ou se paupérisent au fil des décennies, entre riches hôtels particuliers et nombreux noyaux insalubres dans lesquels les maladies prolifèrent comme le chiendent.

On y croise maints auteurs dont Sante cite de nombreux extraits descriptifs. On y fréquente les très nombreuses prostituées parisiennes, leur écosystème dans ou hors les maisons closes, ainsi que leurs souteneurs (dont le fameux Henri le Marseillais). On y côtoie les malfrats, l’énorme diversité de la petite criminalité parisienne, les cours des miracles comme les gangs d’apaches plus tardifs, ou le suicidaire esthète Lacenaire. Aussi les chiffonniers et leur hiérarchie, ou les gueux et mendiants aux noms oubliés. Et puis le peuple laborieux, travailleur et pauvre, aux métiers parfois étonnants (les Réveilleuses réveillaient contre rétribution ceux qui devaient se lever tôt…) souvent venu d’ailleurs en quête d’une vie meilleure qui ne fut le plus souvent pas au rendez-vous ; Debord a beau dire que Paris est si belle que beaucoup préfèrent y être pauvres que riches ailleurs, on peut en douter. Sante décrit aussi l’état sanitaire déplorable, les égouts à ciel ouvert, les hôpitaux où s’entassent les indigents. Sans oublier les troquets ou les bals.

Il raconte ensuite longuement la Commune et établit une recension assez complète des anarchistes parisiens, Ravachol et Bande à Bonnot en tête.

Cet ouvrage est une caverne d’Ali Baba, down the memory lane, très documenté et richement illustré de photos d’époque, peintures, superbes illustrations de Grandville. Un plaisir de lecture auquel, si on devait trouver une faiblesse ce serait sa richesse même. On y a parfois l’impression que Sante se laisse emporter par sa passion et qu’il se lance dans un vagabondage érudit qui dépasse le cadre d’une formalisation efficace. On peut aussi reprocher à Sante une approche trop ouvertement leftiste mais après tout c’est son livre, c’est donc son droit, même si ça m’a donné l’occasion, une fois encore, d'éprouver une stupeur amusée devant la permanence du culte des icônes qui est rendu à la gauche de la gauche.
Car c’est bien là qu’on est, le traitement des chapitres sur la Commune et les Anarchistes le signifie assez.

Si on devait trouver une thèse à l’ouvrage de Sante, ce serait celle d’une perte progressive et regrettable de ce qui faisait la personnalité de la capitale, sa mixité, sa vivacité populaire, au fil des transformations successives de la moitié du XIXème à la fin du XXème. Si on devait trouver une permanence affirmée, ce serait celle de la contestation face à l’autorité. Et si on devait y trouver un personnage, que dis-je un héros, celui-ci serait le Peuple. Sante rejoint ici Jules Michelet qui écrivait dans sa Révolution Française : «Toute histoire de la Révolution jusqu'ici était essentiellement monarchique. Celle-ci est la première républicaine, celle qui a brisé les idoles et les dieux. De la première page à la dernière, elle n'a eu qu'un héros : le peuple».

The Other Paris, Luc Sante

Commentaires

Gromovar a dit…
Ca se lit avec délectation.