La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Lost in the supermarket


Il y a parfois d’étranges coïncidences. Quelques jours avant l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo, j’achetais "Houellebecq économiste", un court essai de Bernard Maris.

Au moment où bien pensance et mal pensance s’étrillaient sur le statut du Soumission de Houellebecq - brulot islamophobe ou perle désespérée d’ironie littéraire – il me paraissait amusant de lire ce que disait de Houellebecq l’Oncle Bernard, un des économistes les plus drôles, pertinents et cyniques de l’éconosphère.

Quelques jours passent et Bernard Maris est assassiné par des islamistes combattants dans les locaux de Charlie Hebdo. Nul doute que si les funestes frères Kouachi avait su quelle admiration Maris vouait à Houellebecq ils l’auraient assassiné une seconde fois. Ceci, néanmoins, à trois conditions : que les frères Kouachi sachent lire, qu’ils sachent qu’existait quelqu’un dans le monde qui s’appellait Michel Houellebecq, qu’ils sachent enfin que le Michel Houellebecq en question venait de publier un roman intitulé Soumission (Islam donc en français ce que peu de commentateurs autoproclamés islamologues ont relevé) qu’on n’osait ouvrir qu’en se signant tant le diable de l’islamophobie l’habitait.
Les frères Kouachi ne savaient rien de tout ça, et rien de beaucoup d’autres choses. Ils ont tiré sur Bernard Maris, auteur de l’excellent Anti-Manuel d'économie, parce qu’il se trouvait là et que, comme disait ma grand-mère, « Qui se ressemble s’assemble ».

Ceci posé, revenons à nos moutons !

Dans ce court et étonnant livre, Maris se livre à une rapide exégèse de l’œuvre de Houellebecq (et contrairement à moi il a lu aussi la poésie) et l’interprète sous l’angle de la recherche de l’amour et de la peur de la mort dans un monde qu’individualisme et libéralisme consumériste livrent à la désintégration sociale sous les applaudissements béats de ceux qui en feront les frais. C’est le cœur de l’œuvre de Houellebecq et il faut être très optimiste pour penser qu’il a tort.

Le postulat de Maris est que Houellebecq est, de tous les auteurs contemporains, celui qui a su le mieux saisir « le malaise économique qui gangrène notre époque ». D'où le livre.

De la « science sinistre » (dismal science pour Thomas Carlyle), peu trouve grâce aux yeux de Maris l’économiste si ce n’est Keynes. Le reste, c’est une « science » qui n’en est pas une car sa capacité prédictive est nulle, mais dont les énoncés, drapés dans la mathématique et la statistique, ont réussi l’exploit de devenir performatifs.
 Il égrène donc les théoriciens les plus connus de l’économie et montre comment Houellebecq, au fil de ses écrits, illustre leurs visions, en montrant l’inanité et l’irréalité (ce n’est pas pour rien si Sen, décrivant les homo economicus, parle de « Rational fools »).

On passe donc par Marshall (sans oublier Becker) et l’individualisme forcené de l’homo economicus plongé dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». La destruction créatrice de Schumpeter comme modèle d’un renouvellement permanent qui broie les individus et les systèmes. Keynes nous parle de l’infantilisme du consommateur dans un monde qui n’est plus qu’un gigantesque supermarché dominé par la pub et son excitation des pulsions les plus régressives de l’humanité. Marx et Fourier aident à faire la distinction entre l’utile et l’inutile, entre les artistes, sublimes car bellement inutiles, et les détenteurs de bullshit jobs, valorisés par le système capitaliste mais véritablement inutiles. Malthus enfin qui annonce la fin du système comme les climatologues le font aujourd’hui.

Dans ce pamphlet qui est autant un hurlement contre la dérive économiste qu’un cri d’amour à Houellebecq, Maris pose la vérité d’un système économique où on « connaît le prix de tout et la valeur de rien » comme l’écrivit naguère Oscar Wilde. Un système dans lequel la compétition est érigée en but et technique d’étalonnage. Un système dans lequel danse stupidement au son de flutes folles (non, là je m’égare) le consommateur roi, avatar moderne de l’imbécile heureux, en recherche d’un amour qu’il ne trouvera pas et que le sexe ne saura remplacer, et terrifié par une mort qu’il sait certaine et qu’aucun de ses jouets ne pourra mettre en fuite. Ne lui reste que l’abrutissement du divertissement sans fin, oubliant que ce carpe diem qu’on trouve maintenant sur des T-shirts ne signifiait pas qu’il fallait faire le max. de choses par jour au Club Med mais au contraire qu’il fallait s’asseoir, laisser le monde entrer en soi, et profiter d’un moment de communion dans le calme et la paix.
Un livre exaltant, peut-être trop elliptique pour qui n’est pas familier de l’œuvre de Houellebecq ou de celle des économistes cités, mais qu’importe, il est compréhensible par tous.

Houellebecq économiste, Bernard Maris, in memoriam

Commentaires

Anonyme a dit…
Tiberix : Oui car, entre autres, les sciences doivent être prédictives. : /
Gromovar a dit…
N'est-ce pas ?