La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Un Dieu dans un bocal


Avec "Autobiographie d’une machine ktistèque", Actes Sud réédite aujourd’hui un roman de R. A. Lafferty, indisponible depuis plus de trente ans, d’un auteur qui tombe lentement, et sans doute injustement, dans l’oubli.

Figure marquante de la new wave, Lafferty est l’auteur d’une œuvre où philosophie et dérision se mêlent à une science-fiction débridée et créative. Il le montre à merveille avec cette « Autobiographie » dont il se pose comme le transmetteur et en aucun cas l’auteur. Dans ce texte, c’est la machine ktistèque elle-même, Epikt, qui se raconte.

Les habitués de ce blog savent peut-être que je ne goûte guère la parodie et la dérision, tant je trouve qu’elles sont souvent les béquilles d’une imagination paresseuse. Sauf dans le cas où c’est brillamment fait ; ce n’est pas souvent. Boris Vian savait le faire. Je retrouve beaucoup de son style ici ; c’est donc avec plaisir que je me suis informé sur la vie de la machine ktistèque.

Abritée dans un appareillage complexe et partiellement liquide, constituée à partir des psychés et de la mémoire de ses concepteurs d’abord, augmentée de pans de plus en plus larges de l’humanité par la suite, la machine se voit assigner trois missions : trouver un chef aux humains, comprendre et répandre l’amour, comprendre l’univers. Elle échouera, au moins partiellement, dans ses trois tâches mais cherchera, apprendra, révèlera. Son autobiographie raconte, de manière contournée, cette triple quête.

Infiniment supérieure à l’homme, Epikt n’en reste pas moins une création de l’esprit humain, si déjanté soit-il. Donc, comme toute création qui se respecte, elle contient un serpent en son sein et une potentialité de femme, qui agissent et interagissent. Parlant par métaphore - sont-ce des paraboles ? - Epikt instille par là même un doute fondamental sur le sens de chaque élément de son récit existentiel, nourri de catholicisme et de philosophie antique. Tout est vrai mais tout est déformé, transfiguré, par une narration résolument symbolique.

"Autobiographie d’une machine ktistèque" est donc un roman qu’il faut laisser couler en soi, en acceptant de ne pas tout comprendre, de ne pas voir toutes les références, d’être emporté par une narration qui n’en est pas vraiment une. Il faut juste profiter de la musicalité du texte fort bien traduit, se réjouir du style personnel d’un Epikt dont la créativité n’a pas de limite. La machine accumule les situations absurdes traitées comme si elles étaient normales, parle et digresse, glose dans l’excès, interrompant souvent le fil de sa pensée par une remarque, une impression, décalées du contexte, dans un coq à l’âne discursif qui transporte le lecteur dans le monde incroyable et foisonnant des Ponteauzanne. Les expressions et les mots y sont souvent pris au pied de la lettre, les personnages qu’on y croise sont follement étranges, des caricatures d’archétypes, insatisfaisants au point que la machine regrette souvent de n’avoir pas été créé par une autre espèce que l’espèce humaine. N’importe quelle autre aurait mieux fait l’affaire.

"Autobiographie d’une machine ktistèque" est de ces romans pour lesquels le voyage et les paysages exotiques traversés importent plus que la destination. Il plaira sans aucun doute aux amateurs de Vian ou de Queneau. Il sera peut-être difficile d’accès à des lecteurs férus de rationalité. Ils peuvent tenter le coup et être agréablement surpris.

Autobiographie d’une machine ktistèque, R. A. Lafferty

Commentaires

Lune a dit…
J'ai peur de ce livre tiens.
Gromovar a dit…
Faut aimer le surréalisme. Clairement.
Lorhkan a dit…
Ma prochaine lecture !
J'ai hâte et peur à la fois.^^
Gromovar a dit…
Pense à l'Arrache-Coeur, encore plus qu'à L'écume. Si tu as sincèrement aimé ce roman, tu devrais aimer l'Autobiographie.
Acr0 a dit…
" Sauf dans le cas où c’est brillamment fait ; ce n’est pas souvent. Boris Vian savait le faire" Oh c'est un sacré compliment, donc si tu en lis très peu. Je ne pense pas y comprendre beaucoup de références, malheureusement... J'ose espérer que je saurai profiter de ma lecture :)
Tout comme Lune, je reste un peu peureuse face à ce livre.
Gromovar a dit…
Faut plonger dedans, et voir ce que ça donne ;)