La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

A travers les portes sans la clé d'argent


Clark Ashton Smith, mort en 1961, était un disciple et ami de Lovecraft. Il est l’un des lovecraftiens historiques. Actes Sud publie aujourd’hui une nouvelle traduction de "La flamme chantante", deux nouvelles réunies dans un ouvrage en deux (ou trois) parties fortement liées. Et c’est une très bonne idée.

"La flamme chantante" conte l’exploration mystique et onirique à laquelle se livrent, d’abord par hasard puis par nécessité, plusieurs personnages, érudits et curieux, vers d’autres dimensions, pleines de mystères et de merveilles. Ils y découvriront des créatures étonnantes et une irrésistible flamme magique. Le texte étant court, inutile d’en dire plus.

Il est surprenant de constater à quel point "La flamme chantante" est un texte lovecraftien. Tout ici respire le maitre de Providence. Qu’on en juge.

Une narration à la première personne, tirée d’un journal qui fut pensé comme un testament.
Des personnages érudits, artistes, indéniablement d’un niveau culturel élevé.
La découverte d’une réalité cachée non loin de celle qui est tenue, faussement, pour véritable.
La nature profondément matérielle de la réalité alternative à laquelle on accède à travers un repli de l’espace-temps (ce qui évoque un trou de ver plus qu’un portail magique) ; Einstein est d’ailleurs nommément cité dans le texte. La nature matérielle aussi des étranges créatures rencontrées dans l’ailleurs, désignés comme issus d’une autre branche de l’évolution. Créatures qu’il est impossible de décrire vraiment tant leur apparence est indicible et intransmissible.
Et difficile de ne pas penser au Témoignage de Randolph Carter en entendant narrer la disparition de l’ami du narrateur. Difficile aussi de ne pas se souvenir de ce même Randolph Carter, emporté dans les airs par les Maigres Bêtes de la Nuit, lorsqu’on assiste au transport du héros de "La flamme chantante" par les créatures volantes aux ailes de papillon.
Le lecteur lovecraftien est donc ici en terrain connu. Ce n’est pas déplaisant.

Mais il y a un petit plus chez Ashton Smith.

D’une part, le style de l’auteur est particulièrement délicieux. Beauté des images, richesse du vocabulaire, Smith entraine le lecteur au long d’un récit fluide qui enchante par sa beauté formelle. C’est de la poésie en prose, baroque et chatoyante, que Smith propose à son lecteur. De ce point de vue, Smith est incontestablement supérieur à Lovecraft.

D’autre part, le récit de Smith peut se prêter à diverses interprétations, même les plus surprenantes ou éloignées du matérialisme absolu de Lovecraft. Car s’il est facile de faire de la flamme un élément de fantasy, évoquant les sirènes de la mythologie grecque, jusque dans le moyen utilisé pour résister à l’attirance qu’elle provoque, on peut lire le texte autrement. Que penser en effet de cette flamme chantante, buisson ardent vertical, au sein d’un lieu qualifié par le narrateur de Babel et vers lequel converge tous les peuples ? Cette Babel qui finira par être détruite. Que penser aussi de l’Eden à laquelle la flamme convie ceux qui la pénètrent et dont les héros humains seront finalement chassés ? L’interprétation devient alors métaphysique et le texte, par les questions même qu’il soulève, possède une richesse qui ne peut que ravir.

"La flamme chantante" est donc un excellent texte qui parle autant au cœur qu’à l’esprit.

La flamme chantante, Clark Ashton Smith

Les avis de Lhisbei et de Lorhkan

Commentaires

Escrocgriffe a dit…
Très très bel article, qui ne laisse pas le fan d'HPL que je suis indifférent ;) Merci pour ta chronique !
Gromovar a dit…
Tu aimeras sûrement.
Gromovar a dit…
Idem.

Comme ça je pourrais dire "Je connais le vrai Lorhkan" ;)
Lorhkan a dit…
XD

Mékilécon !