Mu Ming : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY MU MING en compagnie de son traducteur GWENNAEL GAFFRIC

When sysadmins ruled the world


Futur indéterminé. Longtemps après une apocalypse, la maigre Humanité restante survit dans un immense Silo vertical d’où nul ne peut sortir sous peine de succomber à un air létal. Seuls sortent les condamnés à mort, afin de nettoyer les caméras qui offrent l’unique et imparfaite vue sur l’extérieur ; c’est par une sortie que commence "Silo".

A l’intérieur, les nécessités de la survie à long terme en milieu clos ont conduit à l’instauration d’un ensemble de règles très strictes régissant tous les temps de la vie, notamment en ce qui concerne les droits de reproduction, soumis à une loterie et au strict remplacement numérique des morts. Dans le Silo tout est rare : le recyclage est intégral, y compris des cadavres qui assurent le fertilisation des sols dans les fermes enterrées. La place est petitement comptée, les ressources aussi, sans oublier les hommes ; rien ne doit être gaspillé, nul ne peut être inactif. La micro société du Silo compte autant de professions qu’il y a de fonctions économiques, l’effectif et la nature de chacune de ces profession étant fixé autoritairement de manière optimale – un rêve de planificateur soviétique. Pour préparer l’avenir, chaque professionnel adulte est suivi par une « ombre », un adolescent qui apprend le métier avec lui afin de pouvoir le remplacer au moment de sa mort. Réparer, recycler, remplacer, tout est à l’avenant.

Si la société est scientifiquement structurée, elle l’est d’une manière visible à l’œil nu. Chaque « classe » est identifiée par une couleur de vêtement. Les 144 étages du Silo se divisent par fonctions, et les fonctions ne se mélangent guère. Les groupes d’étages rassemblent des services identiques et les appartements de ceux qui y travaillent. Les fonctions nobles (maire, shérif, administration) sont au sommet, et plus on descend plus on va dans le manuel, le mécanique, le graisseux. Symboliquement, il y a le haut du Silo, son milieu, et son bas, représentation tripartite avec les prestiges associés ; seuls certains services indispensables sont dupliqués dans les trois parties du Silo. Et au 34ème, un service unique semble capital pour l’existence même de la communauté, le DIT qui regroupe les services informatiques.

Le système autarcique fonctionne bien, avec une entropie minimale, aussi longtemps que chaque rouage tourne comme il doit, sans heurt. Parler de l’extérieur, y penser seulement, est tabou. L’enfreindre conduit à la mort.

Le roman commence très bien. Mystère, soupçons, le lecteur comprend rapidement que tout est loin d’être clair dans le Silo, que la réalité du pouvoir n’y correspond pas exactement à sa représentation, et que des forces occultes cherchent à maintenir un secret pour préserver un statu quo qu’elles ont décidé seules. Les représentants de la Loi enquêtent et, dans une ambiance à la Outland, l’action progresse rapidement, les indices se recoupent, les questions trouvent des réponses à un rythme satisfaisant, amenant d’autres questions.
Dystopie adiabatique, le monde du Silo survit en détruisant impitoyablement celles de ses cellules qui pourraient menacer l’équilibre et la stabilité du système ; l’héroïne du roman le découvre rapidement. Le lecteur suit avec plaisir ses investigations, espère qu’elles aboutiront, et imagine quels bouleversements elles pourraient provoquer.

Puis le roman change de genre, et devient à mon avis moins convaincant. Publié d’abord par épisodes sur Internet, "Silo" souffre, je pense, d’une construction trop épisodique. Il y perd de l’unité.

Faut-il lire "Silo" ? Je dirais qu’il y a deux options.

Soit on est un connard élitiste à la Gromovar, et la réponse est non. Trop de longueurs, notamment de longs passages techniques, trop de coïncidences heureuses qui font avancer l’histoire, une histoire d’amour improbable et une nomination - inattendue mais indispensable à l’histoire – qui ne l’est pas moins, trop peu d’informations sur l’idéologie du Silo ou sa religion, d’autant que le système de coercition n’a pas l’air très intense. Il manque du développement à ce monde. Qu’est ce qui le fait tenir ? Difficile à dire. Il y manque aussi la pente de moindre résistance qui serait celle que devrait suivre logiquement le récit. A progresser par heureux hasards, on perd le sens de l’inexorable nécessité et de l’enchainement inévitable des causes et des conséquences.

Soit on n’est pas Gromovar, on accepte de se laisser emporter par l’histoire, et alors pourquoi pas ? De très nombreux lecteurs ont déjà fait ce choix, aux USA et dans d’autres pays. Et je comprends parfaitement pourquoi.
Outre la belle histoire éditoriale qui séduira maints lecteurs, "Silo" brasse nombre des thèmes qui infusent dans la société occidentale contemporaine : droit à l’enfant, tyrannie « soft » d’un petit groupe dissimulé, opposition entre les 99% (nous, les lecteurs) et le 1% (ils, l’obscène oligarchie), droit à l’information libre - sans oublier l’espionnage et les limitations de ce droit fomentés par le pouvoir occulte - caractère héroïque des whistleblowers (ces « héros » modernes, d’Assange à Snowden), possibilité pour le peuple uni de reprendre le pouvoir des mains de ceux qui l’en dépouillent et lui mentent, idéale démocratie participative ; "Silo" est le fils naturel des alter, indignés, et autres occupants de Wall Street, ainsi que de tous ceux qui ne manifestent pas mais le feraient volontiers s’il n’y avait pas « L'amour est dans le Pré » à regarder. "Silo" leur offre le Happy End qu’ils ne voient jamais dans la réalité.
99% des lecteurs prendront plaisir à cette revanche. Ils sont bien plus nombreux que Gromovar, et la plupart ignorent ce qu’il advint de Winston Smith, Bernard Marx, ou même de l’historique Guy Fawkes. Quant à Roméo et Juliette...

Silo, Hugh Howey

Commentaires

Lhisbei a dit…
et un cafard ... cosmique un ! bien salé de surcroît ;)
Gromovar a dit…
Fut un temps lointain, mon surnom était Pou. Je reste dans les insectes.
Guillmot a dit…
Il y a trop d'autres livres à lire, et des bons pour le coup, contrairement à celui-là.

Bien, au moins le buzz bloguesque va retomber et les blogueurs(ses) vont enfin passer à autre chose de plus pertinent.

Ou pas.
Lorhkan a dit…
D'accord avec certaines choses, mais pas avec tout.
En tout cas je l'ai dévoré.
Et le buzz bloguesque, quand ça fonctionne pour un jeune auteur qui ne vient pas de l'intelligentsia, je dis oui (quand ça repose sur quelque chose d'un minimum consistant comme ici), autant que ça continue, ça nous change des mastodontes lus et relus... ;)
Gromovar a dit…
Je réagis toujours en DM de jeu de rôle. Du coup je bloque dès que l'avancement de l'histoire est le fruit de coïncidences.

Si on y est moins sensible, pourquoi pas ? Ce n'est pas un roman déplaisant en tout cas.
Vert a dit…
Je me méfie un peu (sans doute parce que la dystopie est trop à la mode aussi). Mais je suis curieuse. Du coup je le piquerais plutôt à la bibliothèque un jour.
Gromovar a dit…
Bonne idée. Le début au moins est très plaisant.
Yogo a dit…
Franchement c'est divertissant, c'est un bon page turner, ca tient la route même si il y a des coïncidences "faciles" (quel livre n'en a pas !!), on aimerait que la vie du Silo soit plus développé, peut être dans les prochaines suites.
Puisque ca marche et que pour une fois le grand public va peut être lire de la SF, les aficionados de ce genre dénigre le bouquin. Ca aussi c'est trop facile, c'est cousu main, tellement prévisible...


Gromovar a dit…
La question n'est pas mon avis. Je disais simplement aux habitués des dystopies qu'ils n'y trouveront sans doute pas leur compte.

Ce que je regrettais sur le forum c'est que toute la campagne de presse soit basée sur "Il faut l'acheter parce qu'il s'est très bien vendu aux USA". Je trouve que ce n'est pas un argument recevable.
Acr0 a dit…
J'ai trouvé que les deux premières parties sont mieux ficelées, beaucoup plus impactantes... mais c'est aussi grâce à elles que j'ai accroché au roman pour le continuer. Huhu c'est vrai qu'il y a un peu trop de coïncidences pour que ce soit juste. Je ne suis donc pas Gromovar (mais j'avoue que la happy end m'a laissée indifférente)
Gromovar a dit…
Le début est clairement le meilleur du livre.