La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Paolo Bacigalupi : le calorie man



A l'occasion de la sortie de la version française de The windup girl (chroniqué ici), premier et brillantissime roman multiprimé de Paolo Bacigalupi, à l'initiative du Diable Vauvert, et dans une traduction de Sara Doke, je rappelle que le monsieur a aussi écrit Pump Six, et The Alchemist, qui sont là encore de vrais bons livres comme on n'en lit pas tous les jours.

Alors qu'il ne goûte guère les interviews par mail, il a accepté de répondre aux questions de Quoi de Neuf. Je l'en remercie. Je remercie aussi Sara Doke pour son aide, sans laquelle cette interview n'aurait peut-être jamais pu être réalisée. (L'interview en VO est ici).



Bonjour Paolo. Peux-tu te présenter pour les lecteurs français qui ne te connaissent pas bien ?

J’ai grandi dans une zone rurale de l’Ouest Colorado, dans une pommeraie tenue par une bande de hippies très 70’s. J’ai fini par la fuir pour l’université, où j’ai suivi des cours d’ « Etudes Est Asiatique », et me suis spécialisé en langue et histoire chinoises. Après mon diplôme, je me suis installé à Pékin et j’y ai travaillé en entreprise. J’ai vécu plusieurs années là-bas avant de revenir aux USA pour faire du développement Internet et de la programmation web à Boston. A ce moment environ, j’ai commencé à écrire (principalement pour moi-même) car je ne trouvais mon travail guère excitant et je voulais donc quelque chose qui soit vraiment à moi. Puis, progressivement, écrire est devenu la part la plus importante de ma vie. J’ai écrit quatre romans, tous rejetés, puis je me suis mis aux nouvelles, avec plus de succès. « La fille automate » est le premier roman que j’ai réussi à vendre, mais, même pour celui-ci, ça a été juste. Toutes les grandes maisons d’édition de New York l’avaient rejeté, et il n’aurait sûrement jamais été publié si une petite maison de San Francisco, Night Shade Books, n’avait pas pris le risque de le sortir. Ils ne pensaient pas gagner beaucoup d’argent avec le livre, mais espéraient être au moins à l’équilibre. Ni eux ni moi ne pensions que le livre marcherait aussi bien.

Comment se sent-on quand on reçoit plusieurs prix pour un premier roman ?

Beaucoup de choses. Evidemment c’est excitant, et ça ressemble à un conte de fée de voir tout tourner d’un coup si bien, après dix ans à écrire sans beaucoup de succès. Ca semble encore un peu irréel. Savoir que « La fille automate » se trouve en compagnie de romans comme « Neuromancer », « Enders Game », « Dune », et « The dispossessed » - les livres que j’ai aimés et avec lesquels j’ai grandi – me parait surprenant. J’ai placé ces livres sur un piédestal, et il m’est difficile de faire de même avec mon propre travail, car j’y vois encore, quand je le regarde, les difficultés, les défauts, les incertitudes que j’en connais. Par-dessus tout, alors que les prix continuaient d’arriver, je me rappelle avoir été content de ne pas être devenu fou. Pendant longtemps je n’ai pas su si ce que je faisais avait du sens ou était valable, parce que tant de mes livres avaient été rejetés et que j’avais du me battre durement pour être publié. Les ventes et les prix m’ont donné confiance dans le fait que, si je continue à écrire ce qui me plait, mes histoires trouveront des lecteurs.

Peux-tu nous donner quelques indices sur l’histoire de « La fille automate » ?

C’est un thriller politique situé à Bangkok, dans l’avenir, après la fin du pétrole et l’élévation du niveau des mers due au réchauffement climatique. Des maladies créées génétiquement ont éliminé presque toute les plantes cultivées, sauf les graines OGM contrôlées et possédées par les « calorie companies » qui sont résistantes à ces maladies. La plus grande partie du monde dépend de ces « calorie companies » pour survivre et est donc forcée de payer des prix exorbitants pour avoir accès à leurs graines stériles. Mais, en Thaïlande, un généticien « pirate » crée de nouvelles semences que les compagnies ne contrôlent pas, et elles sont donc à sa recherche. L’histoire se concentre sur quatre personnages. Anderson Lake, espion d’une compagnie, envoyé en Thaïlande pour trouver le généticien « pirate » et la banque de graines qu’il utilise pour créer ses semences concurrentes. Emiko, une femme OGM qui est la servante d’un riche homme d’affaire japonais, et a été abandonnée dans les rues de Bangkok où elle doit lutter pour survivre. Jaidee, un capitaine en révolte du Ministère Thaï de l’Environnement, qui combat pour empêcher les influences étrangères de détruire son pays, et Tan Hock Seng, un réfugié chinois de Malaisie, où un nettoyage ethnique a éliminé presque tous ses compatriotes, et qui essaie de rebâtir sa richesse et son pouvoir dans un nouveau pays qui lui est hostile. Chacun de ces personnages influencera les évènements politiques dans la capitale, et finalement précipitera la situation hors de tout contrôle.

Comment as-tu eu l’idée de ce très innovant roman ?

L’idée originale est sûrement venue d’amis qui sont agriculteurs bio et qui étaient très inquiets des pratiques commerciales de compagnies comme Monsanto. Au début, lorsqu’ils racontaient le cynisme de Monsanto forçant la monoculture afin d’obliger les fermiers à dépendre de ses semences, j’ai pensé que leur vision apocalyptique était exagérée. Puis j’ai fait des recherches sur cette compagnie, et j’ai découvert que c’était encore pire. Monsanto m’a servi de base pour créer la compagnie AgriGen dans le roman, et m’a lancé dans une longue réflexion sur ce sujet.

Peux-tu nous parler de l’extraordinaire Emiko ?

Emiko est une « Nouvelle Personne », aussi qualifiée de « mécanique », à cause de sa démarche saccadée. Elle a été créée génétiquement au Japon, puis entrainée à obéir à son maitre, comme secrétaire, traductrice, et assistante personnelle. Son propriétaire l’a abandonnée à Bangkok, dans une Thaïlande dont la population méprise les êtres comme elle, ce qui l’amène à devoir dissimuler sa nature autant que possible. Elle a toujours peur d’être découverte et mise sous l’éteignoir par les agents du Ministère de l’Environnement, qui contrôlent les créatures OGM importées comme elle. Quand elle rencontre Anderson Lake, elle pense avoir trouvé quelqu’un qui la sauvera de Bangkok, et l’aidera à trouver une enclave cachée de Nouvelles Personnes censée exister dans les montagnes du nord de la Thaïlande.

Peux-tu décrire le rôle des « calorie companies » and le moyen par lequel elles ont acquis un tel pouvoir ?

On peut le comprendre dans le roman. Les personnages supposent que les compagnies libérèrent délibérément des maladies pour éliminer les semences concurrentes, puis que, lorsque tout le monde était en train de mourir de faim, elles revinrent sur le devant de la scène et proposèrent leurs propres variétés de graines résistantes aux maladies. Mais les produits des « calorie companies », Total Nutrient Wheat, HiGro Corn, ou UTex Rice, contiennent des gènes « terminator » qui les rendent stériles, empêchant donc les fermiers de récolter les graines pour les replanter, les rendant tous obligés de se fournir à nouveau chaque année auprès des compagnies, pour racheter un stock de graines pour la semence suivante.

Le conflit entre le ministère de l’environnement et celui du commerce, en Thaïlande, est-il représentatif de ceux qui existent dans le monde réel ?

Je pense que nous luttons toujours pour équilibrer les intérêts de la soutenabilité à long terme avec ceux du profit à court terme. La guerre pour contrôler la Thaïlande que se livrent le ministère de l’environnement et celui du commerce est décrite pour mettre en scène le conflit des priorités auxquelles nous sommes sans cesse confrontés en tant qu’êtres humains, particulièrement dans une société intensément capitaliste.

Comment as-tu eu l’idée incroyable des mégodonts et des ressorts ?

Je voulais mettre en scène l’idée selon laquelle les « calorie companies » contrôlaient toute l’énergie. J’aimais bien l’idée, esthétiquement élégante, de rapprocher l’énergie de la nourriture même. Stocker l’énergie sous forme cinétique dans des ressorts m’a paru un bon moyen de renforcer ce principe.

« La fille automate » est étiqueté genepunk ou biopunk. Valides-tu le label, et dirais-tu que les biotechnologies sont le nouveau pas en avant dans l’évolution humaine, après les ordinateurs et les réseaux. Dirais-tu aussi que le genepunk est le nouveau pas en avant en littérature après le cyberpunk ?

Je ne pense pas la SF de cette façon. J’écris sur les biotechs car c’est un domaine dans lequel de nombreuses questions se posent, et où il n’y pas encore beaucoup de réponses, mais je pense qu’on peut écrire sur les sciences politiques, l’énergie, ou n’importe quel autre sujet avec de vastes implications pour nous tous dans le futur. Je pense que c’est une erreur de tenter de faire tenir la SF dans des voies étroitement définies comme le cyberpunk ou le genepunk car je crois que ça réduit trop le champ de la spéculation. Mon travail en tant qu’écrivain de SF est de regarder toutes les tendances et les questions existantes, et de ne pas me focaliser de manière fétichiste sur une seule technologie. Si tu m’interroges, je dirais que le prochain pas en avant dans la littérature, si nous explorons sérieusement l’avenir, devrait être le « climatepunk », car le changement climatique ressemble à un point aveugle ouvert à la spéculation science-fictive.

Tu as écrit plusieurs fois (dans « La fille automate » mais aussi dans « The tamarisk hunter » par exemple) sur une Terre transformée par le réchauffement. Ce problème te concerne-t-il beaucoup ?

Et bien, aux USA, nous sommes encore largement dans le déni du problème même. Nous avons des gens comme le gouverneur du Texas Rick Perry qui a répondu à une sècheresse catastrophique en organisant une assemblée de prière pour la pluie (!!!). Arrivé à ce niveau-là, oui, le réchauffement m’inquiète beaucoup car c’est un problème vaste, complexe, et qu’ici, aux USA, nous avons mis des simplets au pouvoir. Ca donne l’impression que le désastre sera pire que ce qu’il pourrait être, et que nous serons les seuls à blâmer pour ça.

Ta novella « The alchemist » mêle la critique de l’environnementalisme radical à celle de l’incurie des consommateurs. Comment pratiquer une consommation morale de ton point de vue ?

Je suppose qu’une consommation morale serait une consommation dans laquelle nous serions parfaitement conscients et prêts à payer le coût total de ce que nous consommons. Si j’achète un nouvel iPad, je suis redevable non seulement du coût des matières premières, mais aussi de l’impact sur le climat qui vient de l’énergie utilisée pour créer les puces, fabriquer, et transporter l’iPad. Je suis aussi redevable de la pollution de l’air et de l’eau autour des usines, ainsi que de l’impact sur les communautés dans lesquelles les matières premières sont extraites et traitées. J’imagine que le coût serait alors significativement plus élevé que les 599$ qu’Apple facture à ses clients.

La nouvelle « Pump Six » m’a rappelé le film « Idiocracy ». Penses-tu que ce futur d’écroulement lent, à la romaine, est envisageable ?

Si tu reviens à l’exemple de Rick Perry priant pour la pluie pendant une sècheresse massive, je pense que nous y sommes déjà. Non seulement c’est un idiot, mais encore nous l’avons élu, ce qui ne contribue pas à donner une bonne image de nous.

Beaucoup d’auteurs en ce moment, toi, Ian McDonald, Nnedi Okorafor, par exemple, racontent des histoires qui se passent dans des pays sous-développés. Comment expliques-tu cette nouvelle orientation du futur dans la fiction ?

Je ne peux pas parler pour les autres, mais, en ce qui me concerne, je place mes histoires dans les lieux où elles font le plus sens, étant donné l’impact que je veux qu’elles aient sur les lecteurs. Avec « La fille automate » je voulais écrire à propos de l’impérialisme corporatif des grandes compagnies céréalières comme Monsanto. Aussi il était logique de situer le récit dans un pays en développement assiégé par celles-ci. D’un autre côté, si je voulais écrire sur la nourriture ou les semences OGM, ou sur la manière dont ces compagnies fonctionnent précisément, je placerais l’histoire dans le Mississipi, au cœur du grenier de l’Amérique, d’où viennent toutes les semences, comme je l’ai fait dans ma nouvelle « The calorie man ». Tout dépend de l’effet qu’on veut avoir sur le lecteur. Je suis sûr que les autres auteurs ont leurs propres raisons de choisir les environnements qu’ils choisissent.

Es-tu plus proche de Gibson disant que « le futur est déjà la, mais il n’est pas également distribué » ou de McDonald affirmant que « le futur est également distribué, ce n’est que la manière dont la technologie est utilisée qui varie d’un pays à l’autre » ?

Je me sens plus proche de Gibson, mais, pour moi, la question vraiment intéressante est : quel futur parviendra à dominer et à influencer les autres ? Si je regarde le monde et que j’étudie les tendances, je vois des avancées en informatique et en biotech, mais aussi dans l’utilisation des schistes bitumineux, ainsi qu’un augmentation de l’usage du charbon. Je vois le développement de l’énergie éolienne ou hydraulique. Je vois des plantes OGM qui supportent les sècheresses, mais aussi des rouilles du blé telle que ug99 qui menace les monocultures de blé tout autour du monde. La question que je trouve la plus intéressante est : quelle histoire, quel morceau du futur sera celui qui définira tous les autres ? Deviendrons-nous une société soutenable utilisant l’éolien, ou serons-nous une société des schistes bitumineux et du charbon, indifférente au réchauffement climatique ? Les deux futurs sont possibles et ils luttent entre eux pour décider lequel sera le plus distribué. Il est possible que notre technologie nous permette de surmonter les obstacles, mais aussi que quelque chose comme ug99 crée une telle pénurie de nourriture que nous ne nous soucierons plus de savoir si nos réseaux sont les plus rapides du monde, parce que nous mourrons de faim, même si nous skypons. Le futur est ici, et il n’est pas également distribué, mais quel futur ? C’est la question.

Tes autres livres seront-ils traduits en français ?

Je l’aimerais, mais ce n’est pas sous mon contrôle.

Commentaires

Cedric Jeanneret a dit…
Merci pour cette interview très sympathique !
BiblioMan(u) a dit…
J'attends de l'avoir lu pour revenir lire tout ça... je me réserve la surprise de l'immersion dans son univers. J'ai lu les premières pages et j'avoue que c'est intriguant.
Gromovar a dit…
@ Cédric You're welcome

@Manu Bonne (excellente) lecture
Efelle a dit…
Ok, ok, je vais le lire ce bouquin...
Lorhkan a dit…
Que dire si ce n'est : bravo et merci pour cet interview ! ;)

"La fille automate" est tout en haut de ma liste d'achats prioritaires.
Gromovar a dit…
Venez, les gens.
Tigger Lilly a dit…
Très bonnes questions et réponses très intéressantes. Ça donne envie de lire le bouquin.
Gromovar a dit…
Je sais que je commence à ressembler à une attachée de presse, mais tu peux y aller
A.C. de Haenne a dit…
Waow ! Ca, c'est de l'interview !
Par contre, Gromovar, je ne te remercie pas car ce que dit le monsieur est vraiment très intéressant car ça me parle.
Encore une fois, bravo !

A.C.