La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

La saga de Hrolf Kraki


"La saga de Hrolf Kraki" est l’adaptation par Poul Anderson d’une saga rédigée en Islande au XIVème siècle ; écrite en vieux norrois, elle relate la vie héroïque du roi danois Hrolf Kraki. Poul Anderson a rendu lisible cette saga, en la transcrivant dans une langue plus proche de la notre, et en la faisant foisonner quelque peu.
Pour situer les choses, Hrolf Kraki est contemporain de Béowulf, qui apparaît plusieurs fois dans le récit ; c’est de la Scandinavie du très haut Moyen-Age dont il est question ici. Mais ce Moyen-Age n’a pas grand chose à voir avec celui, enluminé, qui dort dans notre inconscient collectif. Nombreux royaumes en compétition, rois dont le pouvoir n’est pas divinisé et qui doivent donc obtenir le soutien de leurs grands féodaux, voire de leurs hommes libres, qu'ils côtoient sans cesse, esclavage banalisé, intrication des royaumes et des fiefs rendant, avec le climat, la guerre presque indispensable, proximité physique de l’au-delà. La vie d’un souverain danois n’est pas celle d’un roi de droit divin, plutôt celle d’un guerrier heureux et coopté. Et surtout, ces terres ne sont pas encore christianisées. On y affronte des trolls, on y croise des elfes, et on y invoque Odin et ses frères pour gagner la guerre comme pour avoir de bonnes récoltes. On n’y tend pas l’autre joue non plus ; on n’imagine même pas que ce soit possible. On extermine ses ennemis et on venge son honneur ou son sang. Les hommes de ces terres ont des valeurs autres, et pourtant certains de leurs questionnements sont universels.
Développée sur plusieurs générations, "La saga de Hrolf Kraki" entraine le lecteur du règne du bon roi Frodi le paisible jusqu’à la fin brutale de son descendant, le sage Hrolf Kraki. Amitié, amour, traitrise, combats, aristéïa nordique, guerre, mais aussi commerce, "La saga de Hrolf Kraki" est un récit épique qui fait la part belle aux grandes émotions et aux grandes aventures. Ecrit sur le mode mi-narré, mi-dialogué qui est souvent celui des mythes, entre textes sacrés et Mille et Une Nuits, il saute les années dans un cheminement qui ne comprend que les évènements significatifs pour le déroulement de la saga vers sa conclusion tragique. Caractéristique aussi de ce type d’écriture, la résolution des nœuds d’intrigue est presque instantanée quand il n’y a pas guerre (la mère et son fils perdu se rencontrent, ils se reconnaissent, elle l’embrasse et lui dit qu’elle le réinstallera dans ses droits, tout ça en pleurant de joie, tout ça en dix lignes, exemple fictif mais caractéristique). Si on arrive à suspendre son incrédulité ici, on profite alors d’un récit très fluide. Les choses qui doivent arriver arrivent et il n’est pas nécessaire de discourir ; le destin est en marche et les personnages ne font que descendre la pente de moindre résistance.
La saga est intéressante au-delà de l’histoire épique qu’elle raconte car elle touche des questions universelles. Terre et roi sont un ; un bon roi fait prospérer son pays et son peuple, un mauvais roi le plonge dans l'affliction et la misère. Mais même un bon roi peut commettre le pire des crimes, l'inceste. Cette abomination qui sépare le droit des hommes de celui des dieux est au cœur de la saga. Comme dans le mythe d’Œdipe, il est l’événement fondateur et involontaire qui met en mouvement le monde, et conduit à la catastrophe, c’est à dire au renversement de tout. La peur du dehors est aussi omniprésente. Les royaumes non humains sont frontaliers des royaumes humains, mais, plus effrayant car plus quotidien, l’étrange règne dans les vastes et sombres forêts nordiques. Les zones non défrichées sont menaçantes, les monstres y vivent. On retrouve ici la notion médiévale de sauvagerie, le lieu hors les villes où vivent les sauvages, et où s’excluent ce qui veulent ou doivent quitter la communauté des humains. La magie est aussi abordée dans la saga. Toujours maléfique, elle permet de vaincre indument des hommes courageux, elle dissimule et séduit, elle est l’arme des fourbes et des lâches. Nihil novi sub sole, déjà dans l’Exode, le Lévitique ou le Livre des Actes, pour ne prendre que ces exemples, la magie est décrite comme malfaisante et à proscrire. Magie et mauvaise reine sont liées, comme dans Blanche-Neige, dans le personnage de Skuld, archétypal lui aussi. Et la mauvaise reine est un personnage fort de notre inconscient collectif, de Marie-Antoinette à Leïla Ben Ali. Enfin Hrolf Kraki dit l’interdit de la violence au sein de la communauté et la solidarité naturelle des frères. La trahison de Skuld, pourtant parente de Hrolf, ne s’explique que par une ascendance elfique, un serment brisé, et les manigances des dieux. Car, dernier point qui rappelle la Grèce antique, les dieux sont pour ces scandinaves, des puissances étrangères plus que des êtres surnaturels. Les relations qu’on entretient avec eux sont presque de nature diplomatique et comme telles elles peuvent être plus ou moins bonnes suivant les circonstances. Pour les avoir trop négligées, Hrolf Kraki paiera un prix élevé.
Au final, un très bon livre pour les amateurs de grandes sagas historico-mythiques que le Silmarillion n’a pas définitivement dégoutés du genre. Ils y découvriront avec plaisir un morceau des Milles et Unes Nuits nordiques. Ajoutons qu'il pourront admirer dans l'édition du Bélial de superbes illustrations de Guillaume Sorel.
"La saga de Hrolf Kraki, Poul Anderson"

L'avis d'Efelle

L'avis de Nébal

Commentaires

chris a dit…
Je ne pense pas que je le lirais, mais c'est un article intéressant.

Que signifie "aristéïa" au fait?
Efelle a dit…
Amateur de mythologie, je garde un excellent souvenir de cette lecture.
Gromovar a dit…
@ chris : Exploits individuels accomplis par des héros qui leur apportent la gloire. http://fr.wikipedia.org/wiki/Aristie

A noter que, dans le livre, l'aristie des héros s'oppose concrètement à la bestialité des berserkers.

@ Efelle : Souvenir récent mais excellent aussi.
Guillmot a dit…
"de Marie-Antoinette à Leïla Ben Ali"

La vache !

Très bonne chronique.
La Mettrie a dit…
Belle chronique.

Petit bonus étymologique concernant l'aristie ou aritéïa.
Cela m'a fait penser à l'aristoï du grec antique, qui fait référence à l'excellence et à la force. D'ailleurs cela à donné naissance au mot aristocratie, qui désigne la domination des meilleurs, des plus considérables, d'une élite éclairée en fait.
Cela apporte un petit eclairage sur l'opposition qu'évoque Gromovar entre l'aristie des héros et la bestialité des berserkers.
Gromovar a dit…
Tout à fait.

Ca me remet en mémoire une discussion sur FB avec Patrick Marcel, à laquelle tu as participé, à propos de la gloire et de la médecine et où je crois qu'il a raté le point.
yueyin a dit…
aaahhh il est dans ma pal, il m'attend... chouette billet, je m'en régale d'avance, les saga nordiques (réécrites ou non), quel plaisir :-)
Gromovar a dit…
Deviens berserker. Attrape le livre, et dévore-le :)
Anonyme a dit…
J'avais tenté la lecture de sagas version pléiade mais la traduction très académique m'avait rebuté. Anderson devrait être plus lisible.. Commandé !
Gromovar a dit…
Bonne lecture :)