Il y a sept ans, une de mes amies est morte, de trop de sexe, de drogue, et de rock'n'roll. Si j'écrivais l'histoire des derniers mois de sa vie en quatre-vingt pages, ça n'intéresserait personne. Pourquoi ? D'une part, personne ne connait mon amie et son histoire n'est pas exceptionnelle. D'autre part, je n'aurais pas assez de quatre-vingt pages pour lui donner vie, afin que chacun ressente intensément le vide qu'elle a laissé.
Je trouve que Jérôme Soligny s'est heurté au même problème et ne l'a pas surmonté. Il raconte, plutôt bien, dans une sorte d'écriture
cut faite de phrases courtes, souvent nominales, les derniers mois de la vie de son ami, l'un des premiers malades français du SIDA, à une époque où la maladie n'a même pas vraiment de nom. Il parle pour son ami, et nous fait pénétrer son angoisse et son incompréhension. Mais, dans "
Je suis mort il y a vingt-cinq ans", on voit mourir quelqu'un dont on ignorait qu'il fut vivant, et l'auteur, par choix, ne s'est pas donné assez d'espace pour le faire vivre. On se sent, de fait, détaché de cette histoire qui est celle de l'auteur mais ne devient jamais celle du lecteur. En lisant je pensais au
Malcolm X de Spike Lee. Dans ce film de presque quatre heures, la première est consacré à la jeunesse de celui qui allait devenir Malcolm X. A la première vision du film, on trouve cette partie un peu longue ; on est venu voir un leader politique et Spike Lee nous donne un petit voyou noir de Boston sans grande profondeur. Et pourtant, c'est l'avant qui donne valeur et sens à l'après. Le petit voyou éclaire le porte-voix charismatique de la
Nation of Islam. Dans "
Je suis mort il y a vingt-cinq ans" le narrateur est largement réduit à son état de malade. Il apparait
ex nihilo, malade, puis finit par succomber à sa maladie, et les quelques flashbacks ne suffisent pas à lui donner chair. Le texte est sûrement émouvant pour ceux qui connaissaient le narrateur ou connaissent l'auteur, mais je ne crois pas que que l'intérêt puisse dépasser ce cercle. Ce petit roman est le cri de quelqu'un qui voulait raconter un moment bouleversant de sa vie et rendre hommage à un ami mort. C'est éminemment respectable, et c'est pourquoi je répugne à dire que je ne l'ai pas aimé. C'est pourtant le cas.
Je suis mort il y a vingt-cinq ans, Jérôme SolignyReçu et lu dans le cadre d'une opération Masse Critique de
Babélio.
Commentaires
C'est la raison pour laquelle tant de personne aimeraient écrire mais en sont incapables. Rien de plus dur que de mettre des mots à un un sentiment