La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Faux semblants


Quel bon recueil ! Même si tout n’est pas parfait, il est rare de lire un recueil de nouvelles avec aussi peu de déchets.
"Corps-machines & rêves d’anges" est une collection de textes coordonnée par André-François Ruaud. On y trouve 17 nouvelles d’Alain Bergeron, auteur québécois assez peu connu en France et en tout cas inconnu de moi. Cendres sur ma tête, j’aurais du le connaître car il en vaut la peine.
Dans "Corps-machines & rêves d’anges" il y a de la SF, de la fantasy, de l’uchronie. En SF, Bergeron réussit à ressusciter le sense of wonder (!) du golden age en le débarrassant de ce qui est trop ouvertement absurde et en n’en gardant que l’exotisme, l’altérité radicale, et un côté soft-SF vintage et charmant. La fantasy de l’auteur est noire, sale, religieuse. Elle mêle en les dépassant des traits d’urban et d’autres de dark, et n’est jamais vraiment détaché de la SF, ne serait-ce que par confrontation de primitifs et d’évolués (techniquement tout au moins, la morale c’est une autre histoire). L’uchronie rappelle les meilleures controverses religieuses, j’y reviendrai.
Le style de Bergeron est fluide, enlevé, sans sacrifier à la facilité linguistique. Au contraire, l’auteur travaille les mots, néologise comme un Bordage à son meilleur, lâche la bride à son imagination. Il invente des mondes crédibles dans lesquels il entraine le lecteur en quelques lignes. Il suggère des systèmes politiques ou sociaux, souvent oppresseurs et inégalitaires ; l’expansion galactique est souvent destructrice, au mieux d’essence impérialiste. Il fait cohabiter, avec plus ou moins de bonheur, créatures biologiques, informatiques, androïdes, cyborgs, méta-humains ou post-humains. L’avenir n’est plus l’apanage de l’espèce humaine. Il n’y a d’ailleurs plus d’espèce humaine mais des rameaux descendants et divergents d’une humanité commune. Embarquons donc avec Bergeron pour un voyage fantastique !
Les crabes de Vénus regardent le ciel, est une histoire simplement belle où se frottent oppression sécuritaire, amour décorporé, tentative de révolution. L’amour ne peut être bridé, il donne la force de se dépasser.

Une analogie de la vie éternelle mêle humanité et post-humanité dans un parc d’attractions post-apocalyptique où survit la souvenir des créations humaines. L’identité est incertaine, les faux-semblants légions.

Revoir Nymphéa est un texte drolatique, ironique, et mordant. Sur un thème d’arroseur arrosé, Bergeron décrit une société en ruine et deux personnages truculents et attachants.

Les jardins de l’Infante est une classique histoire de SF menée de main de maitre. On y trouve courage, morts, armes exotiques, rebondissements, et même un commissaire politique. Un vrai plaisir régressif.

L’homme qui fouillait la lumière est proche du cyberpunk et des romans de conglomérats. Le cynisme de la politique interne des mégacorps est joliment mis en scène dans une guerre qui ne peut être qu’économique et monopolistique.

Le jeu après la mort se passe dans le même monde que la précédente, un monde privatisé. Glaçante dans ses conclusions, elle fouille encore les arcanes de la politique exécutive et pose à un enquêteur en bout de course un intéressant problème de chambre close.

Les amis de l’Agnel est plutôt fantasy. Sur le thème du bouc émissaire, elle ne m’a pas vraiment convaincu.

Rêves d’anges prouve qu’il y a toujours plus que ce qu’on voit, et que, comme dans les poupées gigognes, on ne peut jamais être sûr après avoir enlevé un voile que ce qu’on observe est la réalité ultime, ni même qu’il existe une réalité ultime.

Le huitième registre est une uchronie dans laquelle l’empire byzantin existe toujours et dans laquelle s’opposent deux courants religieux, l’un croyant que l’Histoire n’a qu’un sens possible, l’autre qu’elle aurait pu prendre un autre chemin. C’est donc sur la possibilité même d’uchronie que ces ecclésiastiques glosent.

Le prix, contient une détaillée et réussie description tunnelière mais une histoire un peu trop prévisible.

Uriel et Kornilla, où l’on voit le dernier des anges passer le flambeau, ou la torche c’est selon, dans un monde ruiné par l’apocalypse. Ca m’a rappelé Cioran écrivant "Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter".

La voix des étoiles, le créateur et sa création, branlette d’auteur.

Bonne fête, univers ! Un peu laborieuse, décevante. Je n’en garde que le personnage de l’oiseau-rat (je trouve le concept sublime comme un oxymore identitaire).

/théa interroge la notion de vivant et la réalité de notre monde. Une nouvelle sûrement inspirée par le massacre du Temple Solaire dont on se souvient qu’il avait une ramification québécoise, et un personnage d’illuminé réussi.

La mort sur Venise, mélange de style golden age et de vaisseau lounge à la Consul d’Hypérion, développe la notion d’extermination par imprudence, et d'amour à mort.

Scènes dans un jardin, au beau milieu de l’univers, poétique mais un peu trop contournée pour être vraiment lisible.

Les derniers, post-apo et inoffensive.

Au final un excellent recueil à savourer sans modération.
Corps-machines & rêves d’anges, Alain Bergeron

Cet excellent livre participe aux challenges Winter Time Travel et Fins du monde.



Commentaires

Efelle a dit…
Voilà qui fait envie. Je suis tenté, encore...
Gromovar a dit…
Voila un livre sur lequel je m'engage. Et il n'y en a pas tant que ça.
El Jc a dit…
C'est d'autant plus alléchant.
Gromovar a dit…
Merci.

Aucun commentaire sur le sense of wonder ? Je suis décu.
Maëlig a dit…
J'ai une confiance à peu près aveugle dans cet éditeur et cette collection, du coup dès qu'en plus je lis du bien d'un de leur bouquin ça me donne envie de l'acheter. Mais bon, vu le prix, je laisse passer cette fois malheureusement.
Gromovar a dit…
Effectivement, il n'est pas donné. Dans mon cas, c'est un cadeau de Noël :)
Anonyme a dit…
Je n'ai lu jusqu'à maintenant que deux nouvelles et un roman de Bergeron. "Phaos" (auquel d'ailleurs est intégrée l'une des nouvelles dont tu parles, "L'homme qui fouillait la lumière"). Publié chez Alire, il ne devrait pas être trop difficile à se procurer en France (au pire, ça se commande, je l'ai fait à l'époque où je vivais dans l'Hexagone).
Sinon, le "Huitième registre" a eu une suite, plus de quinze ans après sa publication initiale. J'en ai touché un mot ici:
http://aigueau.wordpress.com/2009/10/13/les-memoires-dandre-antonikas/

Mais ce petit recueil là, ça donne envie de retourner à Bergeron. Il ne semble pas y avoir de version électronique, c'est regrettable pour mon espace de rangement.
Gromovar a dit…
Il faudra qu'à l'occasion j'y retourne.
Merci pour l'info sur le huitième registre.
Quand on voit la couverture française de Phaos, elle ne fait pas envie, et ça a du le desservir.

Quand au problème de place, c'est notre cauchemar commun.