Les Résidents - Lemire - Sorrentino - Le Mythe de l'Ossuaire t3

Avec Les Résidents , tome 3 du Mythe de l'Ossuaire , le cycle BD de Lemire et Sorrentino situé dans un univers mythologique partagé imaginé par les auteurs, on entre vraiment dans le lourd. Lourd d'abord car ce gros volume de 312 pages pèse son poids, lourd surtout car cet opus qui regroupe les dix numéros de l'arc Les Résidents est vraiment impressionnant. Quelques mots de l'histoire, sans trop spoiler. Sept personnes vivent (au milieu de beaucoup d'autres) dans un immeuble d'habitation urbain dégradé mais quelconque. Ces sept personnes – Isaac, Amanda, Justin, Félix, Tanya, Bob et Gary –l'ignorent mais elles sont liées. Liées entre elles, liées aussi à cet immeuble qui est certainement un lieu malfaisant (car sinon ce serait elles qui le sont, et comment le jeune Isaac ou l'aimante Amanda, sans même parler des autres, pourraient-ils être accusés de malveillance ?) . A la mort imprévue de l'un des sept, une clef est tournée et un grand bouleversem...

Trop n'est pas assez


En 1984, Ulli et Edi, deux punkettes autrichiennes de 16 ans, fuient leur pays pour aller visiter l'Italie. "Trop n'est pas assez" raconte leur périple.

Cette autobiographie en BD, écrite par Ulli Lust vingt ans après, alors qu'elle est revenue à la banalité, est d'une franchise stupéfiante. Le voyage en Italie, fantasmé à Vienne, donne lieu à bien plus de galères que de plaisirs. Imaginez deux filles seules, peu farouches, sans argent, au look punk, dans un pays où les hommes sont des males frustrés en rut, et où cette attitude de liberté extrême est presque inconnue. D'autant que les deux filles, n'hésitant jamais à aller plus loin, poussent jusqu'à aller en Sicile, au contact de la mafia. Aux duretés de la vie de routarde s'ajoutent celles qu'imposent les étalons italiens, puis celles, plus dangereuses, qu'amène l'honorable société.


Dessiné dans le style punk caractéristique du "Do it yourself", c'est à dire griffonné sans prétention esthétique et colorisé essentiellement en vert, gris, noir, "Trop n'est pas assez" au titre français tellement réussi qu'il m'a attiré comme une lampe attire un papillon de nuit (alors que l'original allemand est plus banal), ne cache rien de ces mois si particuliers dans la vie d'Ulli.

Faire la route implique de mentir, de mendier, de voler, de se cacher, de ramper dans des endroits improbables, de dormir dans des squats ou dans la rue, d'être sale, d'avoir faim souvent, d'avoir peur parfois. C'est rencontrer quelques personnes de qualité et bien plus de déceptions. C'est découvrir qu'on n'est que ce qu'on parait pour la plupart des gens. Il y a aussi un aspect important de la route au féminin qu'Ulli ne cache pas, c'est l'échange implicite sexe contre hébergement, ou sexe contre nourriture. Si fréquent qu'il finit par devenir parfaitement explicite dans l'esprit des filles qui choisissent des mecs en boite en disant "Nous choisissons notre hébergement". Alors que la peur du SIDA n'existe pas encore, Ulli et Edi usent et abusent de leur sexualité comme d'une monnaie d'échange.

Faire la route en Italie quand on est une fille implique d'être harcelée toute la journée par des jeunes hommes qui n'arrivent pas à croire ce qu'ils voient. A l'opposé de leurs femmes si pures, les deux punkettes autrichiennes représentent le mal, la tentation, une liberté qu'ils n'ont aucun espoir de connaitre un jour, si ce n'est par procuration. Ulli et Edi sont deux Lilith teutonnes arpentant les rues de la péninsule pour corrompre des jeune garçons qui ne demandent pas mieux, voire qui exigent souvent d'être corrompus. Harcèlement continuel, viol, absence totale de respect pour des filles qui se "donnent" facilement mais qui doivent se donner sous peine d'attouchements permanents, les hommes italiens sont abjects, à un point tel qu'Ulli en vient à regretter de ne pas être un garçon.

Faie la route en Sicile c'est rencontrer la mafia. Dans la rue, elle contrôle tout. S'en faire une amie c'est, au début, être plus en sécurité que jamais avant. Mais deux nouvelles filles, blondes aux yeux bleus et un peu girondes, ça attire l'oeil d'un apprenti proxénète qui veut monter en grade dans la famille. Edi se prostituera un peu, plus par imbécillité que par contrainte, Ulli réussira à grand peine à l'éviter. Et comme il se doit, avec la prostitution arrive l'héroïne, cause, conséquence, adjuvant. La réticence d'Ulli à embrasser une carrière de prostituée finira pas les rendre persona non grata en Sicile et les filles se tourneront, séparément, vers leur consulat pour rentrer en Autriche. Elles ne se reverront pas.

Dur, émouvant, effroyablement sincère, "Trop n'est pas assez" est l'un des plus beaux témoignages que je connaisse sur cette époque. Quant à la trajectoire d'Ulli Lust, elle montre qu'il est possible de sortir son corps de la punkitude en y laissant, heureusement, sa tête.

Trop n'est pas assez, Ulli Lust

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