L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

Le menteur c'est l'éditeur


"La compagnie des menteurs", de Karen Maitland est un bon livre qui risque pourtant de décevoir un bon nombre de ses acheteurs. Dommage.
Vendu par Sonatine en France comme une sorte de polar médiéval, et par ses éditeurs américains comme, en plus, une réinterprétation des "Contes de Canterbury" de Chaucer, "La compagnie des menteurs" n'est pourtant ni l'un ni l'autre. Roman lent et long, il décrit les pérégrinations d'une petite compagnie de fuyards au travers de l'Angleterre de la Peste en 1348. Un camelot, un magicien, un jeune couple, une étrange petite fille albinos et sa protectrice, un ménestrel et son apprenti, un conteur, sont réunis par la peur, et tentent d'échapper à la "mort bleue" en se dirigeant vers le nord du royaume. Chacun de ces pauvres hères est porteur d'un secret qui va progressivement se dévoiler. Beaucoup d'entre eux mourront sur le chemin. Tués par qui ? Pourquoi ?
Malgré les questions qui précèdent, l'essentiel n'est pas là ; le mystère "policier" n'est qu'un aspect secondaire de l'histoire, réglé très (trop ?) vite vers la fin du livre. Non, ce qui fait l'intérêt de "La compagnie des menteurs", ce sont les voyages. Voyage à travers un pays dévasté, et voyage intérieur vers la mise au jour des secrets enfouis. Des personnages profondément humains, dans leur grandeur véritable, comme dans leur faiblesse et leur petitesse réelles, tentent de survivre en échappant à la peste et à la famine, poussés par un instinct de survie qui les abandonnera parfois. Nous les suivons par les yeux du camelot qui a formé, par hasard et sans le vouloir, la compagnie, et nous visitons un pays ravagé, vidé de ses habitants, où la religion catholique vacille pour la première fois en terre anglaise, futur berceau de l'anglicanisme. Ces personnages ne peuvent nous être indifférents car ils sont réalistes, tourmentés, solidaires et en conflit, en un mot profondément vivants. Leur peur est la notre, leurs espoirs et leur souffrance aussi. Malgré la lenteur de l'action, je ne me suis pas ennuyé une minute, car les personnages étaient toujours présents, en train de vivre, de lutter, de se frotter les uns aux autres.
Descriptif, précis, détaillé, le roman transporte le lecteur dans la malheureuse Angleterre du XIVème siècle. Son pouvoir d'évocation est sa grande force. L'Angleterre médiévale du petit peuple est décrite au ras du sol. Les lieux sont misérables et sales, les gens crédules et étriqués. Le voyage est lent et long, à pied sur de mauvaises routes en partie inondées. On mange peu et mal, ce qu'on trouve. La loi est impitoyable, la tolérance minime ; l'Eglise contrôle tout avant de ne plus rien contrôler du tout, faute de prêtres vivants. Les jours sont tous signifiants, les saints omniprésents, les fêtes, du moins au début, rassemblent le peuple pour ses rares moments de bonheur. Superstitieux, celui-ci croit à la magie, au pouvoir des reliques, aux créatures de la nuit. Il y a, pour tout, une explication magique possible. Les juifs sont des boucs émissaires faciles, et dans un monde où, pourtant, les individus circulent de pays en pays, l'étranger est suspect et le paie de sa vie. On ne voie jamais la peste, seulement ses conséquences et l'effroi qu'elle suscite, ce qui permet de centrer le récit sur le petit groupe d'errants et ses mystères intimes.
Il faut lire "La compagnie des menteurs" en sachant qu'il n'y aura pas de révélation fracassante ou de longue enquête menant à la découverte du coupable (celle-ci est presque fortuite). Si c'est ce qu'on y cherche, on ne le trouvera pas. Mais, si on aime le Moyen-Age, on pourra prendre un plaisir énorme à mettre ses pas dans ceux de cette compagnie, et à vivre quelques mois au plus près de ceux que l'historien Robert Fossier appelait "Ces gens du Moyen-Age" dans son magistral ouvrage éponyme.
La compagnie des menteurs, Karen Maitland

L'avis de Cédric Ferrand

Commentaires

Pitivier a dit…
Il y a quand même une petite intrigue policière à la "dix petits nègres" avec une révélation finale sur l'identité du meurtrier. Mais je suis d'accord avec toi. Il ne faut pas lire ce livre en espérant un bon polar. C'est avant tout un roman historique. Je l'ai bien aimé. Peut être pas autant que toi. J'ai eu du mal sur la fin. Et tous les secrets ne sont pas bons.
Gromovar a dit…
Il y a bien une petite intrigue, mais je la trouve secondaire. Quand tu vois que le premier mort du livre arrive à peu près à la moitié de celui-ci, c'est, je crois, significatif.
Pitivier a dit…
C'est clair. L'intrigue policière et les secrets des compagnons sont plus des prétextes pour explorer les croyances et coutumes de l'époque. C'est juste que dans ton billet tu dis qu'il n'y a pas de coupable démasqué, alors qu'il y en a un quand même.
Gromovar a dit…
Tu as raison. Ma phrase n'est pas claire. Je corrige.
Gromovar a dit…
@Guillaume : Sûr

@Lhisbei : You're welcome