Mariana Enriquez - Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

Des voix magnétiques, pour la plupart féminines, nous racontent le mal qui rôde partout et les monstres qui surgissent au beau milieu de l’ordinaire. L’une semble tant bien que mal tenir à distance les esprits errant dans son quartier bordé de bidonvilles. L’autre voit son visage s’effacer inexorablement, comme celui de sa mère avant elle. Certaines, qu’on a assassinées, reviennent hanter les lieux et les personnes qui les ont torturées. D’autres, maudites, se métamorphosent en oiseaux. Les légendes urbaines côtoient le folklore local et la superstition dans ces douze nouvelles bouleversantes et brillamment composées, qui, de cauchemars en apparitions, nous surprennent par leur lyrisme nostalgique et leur beauté noire, selon un art savant qui permet à Mariana Enriquez de porter, une fois de plus, l’horreur aux plus hauts niveaux littéraires. Un lieu ensoleillé pour personnes sombres , le dernier recueil de nouvelles de Mariana Enriquez, sort en VF aux Editions du Sous-Sol dans une trad...

Intellectuels de tous pays, unissez-vous !


Dans la cacophonie de la société médiatique, au cœur de la frénésie décrite dans son "Accélération" par le sociologue allemand Hartmut Rosa (et bientôt par votre serviteur), il y a peu de moments comme la lecture de "L'explication". Ce livre contient la transcription de deux entretiens entre Alain Badiou et Alain Finkielkraut, animés par la journaliste Aude Lancelin. Le plus vivace des philosophes marxistes contemporains, auteur entre autres du brûlot "De quoi Sarkozy est-il le nom ?", et le chef de file du courant néo-conservateur français (même s'il s'en défend avec véhémence) défenseur passionné de l'école républicaine méritocratique, auteur entre autres de l'indispensable "La défaite de la pensée", se rencontraient en face à face. Ces deux hommes ne se connaissent pas vraiment, n'ont pas grand chose en commun si ce n'est un prénom, et sont le plus souvent dans des camps intellectuels ou politiques opposés, y compris dans la violence comme en ce qui concerne la question israëlo-palestinienne. Et pourtant, magie de l'intellectualité, ils ont conversé courtoisement, ont échangés leurs arguments en s'écoutant mutuellement, et ont parfois, car les problèmes étant complexes, les batteries argumentaires le sont aussi, découvert des points de convergence entre leurs pensées. De ces entrevues a émergé une forme de respect entre égaux qui se sont reconnus.
La discussion aborda quatre thèmes : identité nationale et nation, judaïsme et universalisme, l'héritage de mai 68, le communisme. Sur chacun, les clivages entre les deux hommes sont profonds, tradition vs dépassement historique, démocratie représentative vs démocratie directe, identité historique vs volonté universaliste, cadre national vs internationalisme, relativisme culturel vs universalisme, antisémitisme vs antisionisme, communisme réalisé vs communisme idéel. Ces échanges, où furent convoqués les plus grandes figures, d'Hannah Arendt à Lévinas en passant par Lévi-Strauss, Albert Camus ou Hans Jonas, furent toujours de grande qualité, passionnants et éclairants, car ancrés dans la réalité concrète en dépit de leur portée théorique. Les arguments échangés incitent donc le lecteur à une redéfinition de son propre corpus argumentatif.
Paradoxalement c'est sur l'héritage de mai 68 que les deux hommes sont le plus proches. En effet, tous deux y voient l'origine d'un nivellement médiocratique comme conséquence de la "passion de l'égalité" dont Tocqueville affublait comme d'une maladie les peuples démocratiques. Ce nivellement, doublée d'une bonne dose d'individualisme consumériste, là aussi ultra démocratique car dans la société de consommation tous sont égaux s'ils peuvent payer, n'est pas le renversement de toutes les valeurs qu'espérait Nietzsche, mais la fin de toute valeur. C'est bien le seul point sur lequel les deux penseurs se retrouvent, et venant de deux philosophes (amoureux de la sagesse) ce n'est pas étonnant. Aucun ne croit à la possibilité d'une culture de masse, aucun ne croit à la substituabilité des formes et des œuvres, et ils se retrouvent sur le caractère irrémédiablement oligarchique et élitaire de la culture. Ils rejoignent dans ce constat Renaud Camus et tant d'autres.
Si on ne doit lire qu'un livre cette année c'est celui-ci. Il agit comme un dopant puissant sur l'intellect.
L'explication, Alain Badiou, Alain Finkielkraut, avec Aude Lancelin

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