Hard Boiled - Miller - Darrow - Stewart

Hard Boiled, édition intégrale Futuropolis. Quelques données factuelles pour commencer : En 1990, Dark Horse publie le premier opus de la saga Hard Boiled de Frank 'Daredevil' Miller, dessiné par Geoff Darrow. En 1991, ils gagnent le Eisner du meilleur duo Scénariste/Artiste. Deux autres tomes suivront, qui complètent l'histoire, traduits en français chez Delcourt. Arrive 2017 et une recolorisation réalisée par Dave Stewart qui donne au comic un ton plus neutre et réaliste (!). En France, après Delcourt dans la version couleurs initiales, c'est Futuropolis qui sort l'Intégrale recolorisée fin 2021. 128 pages grand format sous une couverture cartonnée du meilleur effet. Ouvrons-là. Hard Boiled c'est d'abord un scénario linéaire, simple, dont on devine facilement la conclusion à venir. Ex post, c'est si basique que ce n'est guère tentant (c'est aussi pourquoi je ne dirais rien de l'histoire, pour ne pas spoiler le peu qu'il y a à spoiler...

Gnome de Zurich


Flore Vasseur est une diplomée IEP/HEC qui a vécu à New-York la folie de la bulle Internet, puis a tout plaqué pour se promener dans le monde avant de créer un cabinet de consulting. Elle a écrit "Une fille dans la ville", une autobiographie, puis maintenant "Comment j'ai liquidé le siècle", fable morale sur un trader qui s'engage dans la destruction du système financier mondial. Ce roman est une perle.
Décrivant un milieu qu'elle connait parfaitement, Flore Vasseur place le lecteur dans la tête d'un trader de très haut niveau, lui permettant de voir ce qu'il voit, d'entendre ce qu'il entend, et de savoir ce qu'il pense. Et c'est édifiant.
Pierre est le trader-type. Fils d'un petit artisan de Clermont-Ferrand, matheux compulsif et donc adolescent inadapté à la vie sociale, il fait Polytechnique et devient trader dans une grande banque. Il a 25 ans, une compétence relationnelle nulle, et un salaire à 7 chiffres. Sa vie se partage entre un travail quotidien de 18 heures et une vie de nabab. Flore Vasseur passe tout en revue sans rien omettre : la morgue des traders (des "X" qui considèrent les Enarques comme des buses, et les diplomés d'école de commerce comme des zéros), leur nombreux petit personnel, leurs lofts somptueux remplis d'oeuvres d'art et de jouets d'enfants à 15000$, leurs multiples voitures de sport, leur consommation de produits hors de prix markétés et vendus par des petits futés qui savent où trouver les vaches à lait, leur mépris pour tout ce qui n'est pas leur caste, leur irresponsabilité morale, leurs mariages ratés, forcément ratés, leurs enfants malheureux, leurs parents oubliés, leur sexualité faite de prostituées de luxe et de filles ambitieuses, leurs coachs périnéaux, l'absence d'attache de ceux qui sont peut-être les seuls vrais apatrides. Le petit monde des traders constitue une aristocratie qui a tous les traits et les travers de celle d'Ancien Régime, en particulier son caractère parasitaire et souvent obscène. Tout ceci pourrait paraitre bien sinistre à lire. Mais le grand talent de Flore Vasseur est de brosser ce tableau avec un cynisme, un ton caustique et décapant qui rend souvent le roman hilarant (le couple de Pierre raconté en 5 pages de la rencontre au divorce est un petit bijou). Il faudra aimer l'humour noir pour apprécier ; j'ai adoré.
Il y a quelques années j'avais lu le très pénible "Horreur économique" de Viviane Forrester. Ce que décrit Flore Vasseur n'en est pas très éloigné, mais là où le Forrester était une purge, le Vasseur est un grand moment de plaisir. Là où l'hystérie incantatoire de Forrester rendait les grands capitalistes presque sympathiques, Vasseur livre au lecteur le portrait d'une classe dont le monde ferait bien de se débarasser.
Mis à part un peu de conspirationnisme (je ne suis pas très fan) et deux ou trois dernières pages un peu surréalistes, "Comment j'ai liquidé le siècle" est un roman jubilatoire que j'ai dévoré en deux soirées et que je conseille vivement à tous ceux qui veulent pouvoir expliquer pourquoi ils n'aiment pas les financiers.
Comment j'ai liquidé le siècle, Flore Vasseur

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