La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Providence - Moore, Burrows - Encore un effort

Il m’est difficile de dire quelque chose de définitif sur le Hardcover "Providence" que Panini vient de publier. Rassemblant en VF les quatre premiers tomes de la nouvelle série lovecraftienne d’Alan Moore - après la contemporaine Neonomicon, il est encore trop tôt pour se faire une idée de ce que sera une série dont le tome 7 vient de sortir aux USA (4/7 en VF donc pour l'instant) . A moins qu’on considère que si un doute subsiste après 136 pages VF, c’est que quelque chose ne va pas avec cette série. Mon avis est quelque part entre les deux, ne sachant trop quelle voie emprunter vraiment. Comme celui du très lovecraftien Nébal d’ailleurs.

1919, New York. Robert Black (variation sur le Robert Blake de Celui qui hantait les ténèbres, nouvelle qui se passe à Providence et met en scène une « Eglise de la sagesse étoilée » qui résonne avec l’ordre « Sagesse des étoiles » du comic, et personnage lui-même basé sur Robert Bloch, écrivain ami d’HPL) est journaliste au Herald. En quête d’un reportage à sensation, il se lance sur la piste d’un livre qui aurait inspiré le Roi en Jaune de Chambers. Ses investigations lui fait rencontrer un étrange médecin - personnage rappelant le héros de la nouvelle Air froid - qui le met sur la piste d’un occultiste vivant à Red Hook. De fil en aiguille, Black est projeté hors de NY et de sa carrière de journaliste vers la rédaction d’un hypothétique livre sur les soubassements cachés et occultes des USA. A la recherche de documentation et de témoignages, Black visite l’Amérique rurale et côtière qui est celle du Cauchemar d’Innsmouth et de L’Abomination de Dunwich. Tout au long du texte, de nombreuses allusions sont faites à d’autres œuvres de Lovecraft, petites perle cachées à l’attention de l’amateur éclairé, de Brown Jenkin à La couleur tombée du ciel en passant par les cavernes souterraines des Rats dans les murs, entre autres.

Moore semble vouloir résumer Lovecraft pour le donner à lire in extenso aux lecteurs contemporains, plus fan de comics que de textes écrits, ou au minimum de leur en faire écouter la petite musique. Mais, créateur lui-même, Moore adapte HPL. Non content de lier les locus de Lovecraft, il ajoute une sexualité explicite qui était absente des textes d’HPL, joue sur une homosexualité et une judéité cachées qui seraient les secrets dicibles camouflant ceux, indicibles, de l’horreur cosmique, implique la montée prochaine d’un nazisme dont on sait qu’il tangentait les idées racialistes de Lovecraft et dont les années 20 étaient grosses.

On pourrait donc prendre grand plaisir à revisiter l’œuvre du maitre de Providence à la sauce Alan Moore sur les pas de Robert Black. Le lecteur pourrait  s’identifier à lui et arpenter en sa compagnie les lieux, les moments, les évènements. Black comme métaphore du lecteur découvrant l’œuvre d’HPL. Pourquoi pas ?

Mais, problème, le tout est un peu mou. Black manque un peu de fond – ses affres d’homosexuel honteux ont déjà été vues maintes et maintes fois – et, parti par hasard, il avance d’indice en indice sans qu’aucun sentiment d’urgence ne le pousse vraiment, et sans qu’il semble que soit en jeu dans toute cette affaire autre chose que la rédaction possible d’un libre à venir. L'horreur lovecraftienne de la réalisation, du dévoilement, manque ici.
De ce point de vue Neonomicon était bien plus captivant car l'horreur y était au centre et, point connexe, le sexe y était utilisé au service du récit et pas, comme ici, de manière un peu gratuite, au moins en ce qui concerne les trois premières parties de l’ouvrage.

Ce qui plombe ce "Providence", c’est que la narration y semble dépassionnée (et ce ne sont pas les dessins précis mais très sages de Burrows qui vont y mettre a moindre folie), et il n’y a qu’à partir du tome 4, à l’évocation de la vie sordide des Wheatley, qu’un frisson saisit enfin le lecteur. Est-ce bon signe ? Cela signifie-t-il que Moore a enfin trouvé son rythme et sa voix ? Il faut l’espérer mais ce n’est pas certain. A suivre donc, sans confiance excessive.

Providence, t1, La peur qui rôde, Moore, Burrows

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