Loeb - Sale - Un Long Halloween (w/ Miller)


Je ne veux pas passer longtemps à chroniquer des comics qui ont trente ans d'âge et ont donc déjà été résumés, critiqués, analysés, décortiqués. Je vais juste écrire quelques mots pour dire à ceux qui ne les connaîtraient pas qu'ils ont tout intérêt à lire les deux (voire les trois) comics dont je vais parler ci-dessous.


Batman, Année Un est le reboot du personnage par Frank 'Daredevil' Miller, assisté au graphisme par David Mazzucchelli, Richmond Lewis et Todd Klein.

On y revoit, bien sûr, en flashbacks, les origines légendaires de la vocation de Batman, lors d'une nuit de malheur dans Crime Alley.

On y voit revenir à Gotham, après des années passées à l'étranger, un Bruce Wayne hanté par le souvenir de la mort tragique de ses parents et le serment fait d'empêcher qu'une telle tragédie demeure possible.

On y voit l'arrivée d'un jeune lieutenant de police, Jim Gordon, plus ou moins viré de son poste original et bien décidé à devenir enfin un bon flic alors que la police de Gotham est peut-être le pire lieu des USA pour ce faire. Car, disons-le tout net, Gotham est une ville atrocement corrompue. De la police à la justice en passant par la municipalité, quantité d'hommes et de femmes mangent dans la main des familles de la mafia. Et c'est vraiment Miller qui donne cette image à Gotham, proche de la NY de Serpico (promis j'ai pas copié sur Wikipédia, je suis assez vieux pour avoir la référence), sale, gangrenée par une criminalité endémique, véreuse jusque dans ses services de police. Et, comme dans Serpico, Jim Gordon se dressera seul contre la corruption, bien loin de l'apporteur d’affaire à Bat-Signal un peu simple qu'il est dans le Silver Age.

Seul, pas tout à fait, car Bruce Wayne, devenant peu à peu Batman, va faire équipe avec le seul homme intègre de la ville et l'aider, à l'aide de méthodes bien plus limites que celles du scrupuleux lieutenant, à faire le ménage dans la ville.


Beaux personnages (entre un Bruce Wayne névrosé, obsédé par ce qu'il considère comme sa mission au point de franchir régulièrement les lignes de la légalité ou de la civilité, et un Jim Gordon très humain qui lutte en respectant les règles, au prix de sa santé et peut-être de son couple), ambiance noire et crade entre Serpico et Taxi Driver (le personnage de Holly est caractéristique), Batman Année Un est une belle réinvention, un polar noir sans super-vilain, qui fait entrer le personnage dans l'âge adulte.

On regrettera un graphisme que je trouve un peu discutable même s'il est assurément dans le ton. Mais les goûts et les couleurs...

(On notera que, dans l'édition Urban, le comic est suivi d'un épisode bien ultérieur intitulé A la vie, à la mort, œuvre de Tom King, Lee Weeks et Michael Lark. C'est un petit récit tout tristounet qui émeut simplement)


Suit, dans la chronologie, l'excellent Un long Halloween, créé par Jeph Loeb et Tim Sale.

Wayne/Batman et Gordon continuent leur difficile lutte contre la criminalité organisée qui gangrène Gotham, ici représentée par Carmine Falcone (qui a, lors de sa première apparition, la vraie gueule de Marlon Brando dans Le Parrain), sa fille Sofia (larger than life) et son fils Alberto, Carla et Johnny Viti (d'une autre famille), ou Sal Maroni (un rival).

C'est une véritable fresque qui se déploie le long de cet arc de 350 pages, avec familles mafieuses, règlements de comptes, personnages hauts en couleur et une première entrée en scène des super-vilains du tristement célèbre asile d'Arkham, traités ici comme des êtres étranges que la mafia utilise mais dont elle se défie, loin des bouffonneries de Harley Quinn and Co ou des explications sociales qui ôtent toute magie au personnage du Joker.

Excellentissime par son scénario complexe et tortueux, Un long Halloween s'ouvre sur la pacte passé par un Jim Gordon monté en grade, le nouveau et inflexible procureur de Gotham Harvey Dent, et un Batman égal à lui-même, plus dur et froid que jamais. Les trois scellent donc, pour lutter contre le crime organisé et abattre les familles mafieuses, un pacte dans lequel chacun joue aux limites de la légalité et Batman parfois au-delà. Un pacte qui sera mis à mal quand un mystérieux tueur surnommé Holiday se met à assassiner des personnalités de la ville à l'occasion de chaque jour de fête.

On y verra évoluer les difficiles relations entre Gordon et sa femme et entre Dent et la sienne (la lutte contre le crime est une activité à temps plein, voire plus) ou encore entre Bruce Wayne et Selina Kyle/Batman et Catwoman. On verra tout ce monde changer pas toujours pour le mieux au fil des épreuves et des périls. On verra naître Double-Face, l'un des personnages les plus tragiques de la série, et on verra une belle galerie de super-vilains, jamais grand-guignolesques, toujours plus pions qu'acteurs, si l'on excepte le Joker.


Le graphisme d'Un long Halloween est la cerise sur un déjà bien beau gâteau. Sale fait un travail magnifique. Ses contrastes, sa noirceur explosent sur la page. Il livre un Batman imposant et terrifiant par sa présence physique, des vilains jamais caricaturaux, une Catwoman magnifique de souplesse et de grâce. Peu de gadgets, beaucoup d'ombres et lumières. Et quel cadrage ! Beaucoup de pages à trois ou quatre cases seulement, certaines à moins, voire des pleines ou des doubles pages. Un effet de masse, de force, de puissance se dégage des dessins de Sale, il participe largement à la qualité de l'arc en lui donnant le hiératisme qui s'imposait et en faisant de Batman une incarnation du dieu de la vengeance.


En résumé, Un long Halloween est un drame rempli de personnages larger than life, dans un décor qui leur rend justice. A lire absolument, de préférence après Batman Année Un.


Batman Amère Victoire est la suite d'Un long Halloween. Ecrit par les mêmes auteurs, on y retrouve les mêmes qualités que chez son prédécesseur mais l'histoire est un peu moins convaincante et grevée, me semble-t-il, par quelques bugs de logique ou de continuité.

On y voit Wayne donner refuge à un Dick Grayson dont l'histoire lui rappelle le sienne. Et Grayson devenir le premier Robin.

On peut se faire les trois arc en enfilade, ou, si on est fatigué ou broke, se passer de ce troisième volume.


Batman, Année Un, Miller, Mazzuchelli

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