Esperance - Adam Oyebanji


Chicago, Maintenant. Le détective Ethan Krol, du Chicago P.D., est appelé sur une très étrange scène de crime. Sur le sol d'un luxueux appartement de la ville, au 20ème étage, se trouvent étendus trois cadavres : un homme originaire du Nigeria, un bébé, et un...barracuda. Dans la chambre adjacente, une femme est inconsciente, la compagne et mère des deux victimes. Elle l'ignore encore mais elle n'a plus, de fait, ni compagnon ni enfant.
Aucun signe de violence sur les deux morts, juste un peu d'eau autour de leur corps. La femme est impossible à réveiller. Et il y a aussi la question du barracuda.

Ce qui était une improbable scène de crime devient un véritable mystère quand l'autopsie montre que les deux morts de sexe masculin (père et fils) ont été noyés dans de l'eau de mer (Chicago est à un bon millier de kilomètres de l'océan le plus proche) et que les analyses toxicologiques révèlent que la femme, qui finit par se réveiller, a été endormie par une neurotoxine incroyablement avancée.
Vient de commencer pour le détective Krol une enquête ardue qui l'obligera à avoir l'esprit plus ouvert qu'il ne devrait jamais être demandé à quiconque de raisonnable ; d'autant qu'il apprend quelques jours plus tard qu'un cas similaire a eu lieu quelques mois auparavant au Nigeria, qu'un autre vient de se produire à Providence, Rhode Island, et qu'ils sont tous tout aussi incompréhensibles.

Bristol, maintenant. Abidemi Eniola « passe la porte » sans grand enthousiasme, et se retrouve au milieu d'un « archipel d'arbres » qui lui plairait bien si elle n'était pas aussi gênée par « l'odeur » et « le bruit », deux désagréments que « L'Histoire » ne mentionnait pas. L'ensemble l'oblige donc, avant toute autre chose, à régler mentalement ses filtres olfactifs et auditifs pour supprimer la gêne.
On l'aura compris, Abidemi Eniola, aka Abi, n'est pas de ce monde, n'est pas passée par une porte au sens où vous et moi l'entendons, dispose, si son corps est vraiment humain, d'améliorations diverses qui s'apparentent à du cyber.
Mais Abi, qui est clairement en mission, est aussi une drôle d'infiltrée. Ses références sont très début XXe siècle. Elle ne connaît pas vraiment le niveau technologique contemporain, qu'elle finit par trouver très primitif après l'avoir un peu éprouvé. Elle s'exprime en usant d'un idiome qui mêle vocabulaire et expressions archaïques, jusqu'à un argot vieux de cent ans qui prête clairement à rire “Hey, lady! Can you cut a gal a break and give me a steer to a jewelry store? I can’t seem to find one for love or money.”.
Quant à son accoutrement, mieux vaut ne pas en parler.

Alors quand Abi, qui cherche à vendre un lot de diamants qu'elle a apporté avec elle sans savoir qu'ici et maintenant on ne vend pas des diamants purs comme on vend des patates, rencontre la très gothique Hollie qui lui propose de l’aider, elle décide de tirer parti de l'opportunité. Sans imaginer qu'un lien très fort va se créer entre elle et la jeune femme à la ramasse. Car, rappelons-le, Abi n'est pas là pour se faire des amis, elle est en mission, elle doit retrouver d'urgence les descendants d'un obscur capitaine de vaisseau du XVIIIe siècle. Et elle doit le faire très vite.

Esperance est le dernier roman de Adam Oyebanji. C'est un thriller haletant aux chapitres très courts, une course-poursuite compressée sur seize jours durant lesquels s'accumulent les cadavres, un roman historique (kind of) qui remet en lumière un ignoble massacre et l'encore plus incroyable procès qui s'ensuivit, une œuvre SF et cyberpunk pleine de gadgets technologiques, de hacking, de drogues de combat.
C'est une histoire qui parle de dette et aborde sans en avoir l'air tant la question de la limite de la rétribution que celle des responsabilités combinées des Européens et des Africains dans la traite négrière.
C'est aussi une histoire dans laquelle un homme parvient progressivement à remettre en cause ses préjugés quant un autre en est incapable.
C'est enfin une histoire dans laquelle naît une improbable amitié entre deux femmes que rien n’unissait à priori. Une amitié qui fait vraie unissant des personnages qui font vrais aussi.
Cerises sur le gâteau, une foultitude de regards décalés qui sont amusants et détendent un peu dans un récit qui ne pousse pas à la détente : celui d'Abi sur notre monde et notre population, celui de Hollie sur Abi ou les USA, celui d'Ethan sur l'Ecosse, celui de quiconque lit le roman sur l'accent invraisemblable des Ecossais, celui d'un Midwesterner sur la East Coast « The street was wide by East Coast standards ». L'auteur, d'origine nigériane, est né en Ecosse, il y est maintenant avocat après avoir fait la Harvard Law School et il a beaucoup voyagé, il a donc expérimenté maintes fois le décalage culturel dont il a appris à s'amuser et qu'il transmet avec bonheur.


Parvenir à (re)mettre à l'esprit une abjection perpétrée par des âmes perdues dans un système perdu (la fin, sur le bateau, exprime assez bien le point de Oyebanji) sans jamais être pontifiant, c’est le tour de force de ce roman. Il m'a mis sur les traces de la vraie histoire qui l'a inspiré, sur un vaisseau réel qui s'appelait le Zong (MAJOR SPOIL INSIDE : le lien est là, si vous cliquez et que vous êtes spoliés vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus, mais vous avez peut-être envie de savoir tout simplement).
Je conseille vivement ce roman. C'est un thriller à fondement historique dans lequel tu croiseras, lecteur, beaucoup d'action, d'aimables personnages, et de très noires vérités.

Esperance, Adam Oyebanji

Commentaires