Mariana Enriquez - Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

Des voix magnétiques, pour la plupart féminines, nous racontent le mal qui rôde partout et les monstres qui surgissent au beau milieu de l’ordinaire. L’une semble tant bien que mal tenir à distance les esprits errant dans son quartier bordé de bidonvilles. L’autre voit son visage s’effacer inexorablement, comme celui de sa mère avant elle. Certaines, qu’on a assassinées, reviennent hanter les lieux et les personnes qui les ont torturées. D’autres, maudites, se métamorphosent en oiseaux. Les légendes urbaines côtoient le folklore local et la superstition dans ces douze nouvelles bouleversantes et brillamment composées, qui, de cauchemars en apparitions, nous surprennent par leur lyrisme nostalgique et leur beauté noire, selon un art savant qui permet à Mariana Enriquez de porter, une fois de plus, l’horreur aux plus hauts niveaux littéraires. Un lieu ensoleillé pour personnes sombres , le dernier recueil de nouvelles de Mariana Enriquez, sort en VF aux Editions du Sous-Sol dans une trad...

Multiversalités


Quelques mots pour parler du premier livre de la nouvelle collection Angle Mort, intitulé Multiversalités. A mi-chemin entre recueil littéraire (avec les nouvelles associées) et revue savante (avec des articles de fond et des introductions pour chaque nouvelle).

Dédiée à la science-fiction, ce genre qui, si on en croit julien Wacquez, se définit par sa limitrophie, Angle Mort a pour ambition de « penser autrement la science-fiction et le monde avec. D’explorer ce sentiment de plus en plus insistant d’exotisation qui pousse du dedans. De questionner la place qu’occupent les imaginaires dans la société contemporaine. »
Car la science-fiction a peut-être littéralement inventé la réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Qu'elle est peut-être le réalisme de notre époque.
Ainsi, « à l’aide de textes courts, nouvelles de science-fiction, articles scientifiques, analyses critiques, les ouvrages de cette collection entendent mener conjointement recherche littéraire et recherche scientifique. Ils s’adressent autant à celles et ceux qui fréquentent déjà la science-fiction et souhaitent approfondir leur connaissance qu’à celles et ceux qui la découvrent. »

Multiversalités, donc, s’ouvre sur un édito de Julien Wacquez qui pose le projet, tant de la collection que de ce singulier premier volume. Singulier, voire. Car le thème de cet ouvrage inaugural est le multivers, un thème en forme d'hommage volontaire ou non rendu au caractère divers et multiple d'un genre qui peine toujours à se laisser définir et qui a peut-être autant d'aspects que d'observateurs.
Note : je ne définirai pas ici le multivers ; si tu es ici, lecteur, c'est que tu sais de quoi il retourne (sinon, Wikipedia est ton ami et Wacquez, qui propose une cartographie de la chose, aussi).

Suivent six nouvelles toutes inédites en français, chacune précédée d'une courte introduction.
  • Philip K. Dick propose une ironique (aigre-douce) multiversalité politique dans Joe Protagoras est vivant et il vit sur la Terre (le synopsis d'un roman jamais écrit, un roman potentiel donc, peut-être écrit et publié dans un autre univers).
  • Larry Niven multiplie les possibilités dans un texte qui ressemble bien à ce qu'évoque l'idée de mondes parallèles, Des Myriades de mondes.
  • 10^6 contre 1, de James Patrick Kelly traduit par Pierre-Paul Durastanti (2 personnes, 41 caractères!) est un brillant texte d'uchronie multiverselle qui fait froid dans le dos et touche comme une nouvelle de Stephen King. Prix Hugo. Must-read.
  • Le Reste n'est que spéculation, d'Eric Brown, éclaire un abîme du temps qui serait, pour une fois, dans l'avenir plutôt que dans le passé. Traduit aussi par PPD, il emmène le lecteur dans cet avenir que prophétisait Lovecraft dans lequel d'autres races auront remplacé l'humanité. Très plaisant.
  • Impanga, de Akaliza Keza Ntwari, transporte le multivers dans un cadre afrofuturiste.
  • Enfin, la chercheuse en droit pénal Lettie Prell propose Systèmes Judiciaires multiversels, un texte dans lequel elle liste, à travers les yeux de Cole, un accusé qui attend son verdict et voit ou fantasme d'autres systèmes judiciaires que celui qui le juge, une variété de système différents qui tous pourraient exister, et de fait existent peut-être quelque part dans le multivers. Je n'aime guère les textes de liste mais celui-ci est plutôt mieux foutu que d'hab.

Multiversalités se termine par deux articles : Le Multivers est-il le lieu où l'originalité va mourir, texte inquiet de la critique et poétesse Stéphanie Burt, et Futurs Moddables : la science-fiction comme laboratoire, du prof de science et humanités Colin Milburn, qui veut montrer comment SF et science s'autofécondent par le biais de mécanismes qui s'apparentent à ceux du moddage.

200 pages donc d'une lecture estimable, pour toi, lecteur, qui aime la SF.

Commentaires

Belalba a dit…
Ah, une nouvelle sur le droit ! Par une chercheuse en plus. C'est original (même si c'est du droit pénal)! Je vais lire ça!
Gromovar a dit…
Une liste d'expériences de pensée plus qu'une nouvelle mais c'est intéressant quand même.