L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

The Grand Dark - Richard Kadrey


Largo Moorden est un jeune livreur à vélo employé par le service des colis de la ville de Lower Proszawa. Il a un chef peu aimable, des collègues qui ne le sont guère plus à l’exception d’un ou deux, une vieille bicyclette qui vaut ce qu’elle vaut, un appartement miteux dans un quartier qui ne l’est pas moins.

Continuons. Largo Moorden est aussi pauvre que l’étaient ses deux parents dont il est orphelin. Il boit un peu trop, sniffe un peu trop de cocaïne, prend vraiment trop de morphia, est souvent en retard au boulot ce qui, plus que le reste, pourrait le faire virer.

Mais Largo Moorden a un avantage compétitif : sa connaissance encyclopédique des rues et trajets dans Lower Proszawa. Le jeune homme est, littéralement, un über-courrier.

Il a aussi une belle particularité romanesque : un amour partagé et torride pour Remy, une des actrices vedettes du théâtre grotesque The Grand Dark, lieu de débauche et de perdition où sont mises en scène des historiettes révoltantes et immorales tirées des journaux à scandale sous couvert de spectacles de marionnettes à taille humaine.


The Grand Dark est un roman d’urban fantasy de Richard Kadrey. C’est un texte qui a deux personnages principaux dont l’un, ce n’est pas Largo, est une ville.

Lower Proszawa donc. Une ville qui vient de gagner une Grande Guerre et qui se prépare peu à peu à la suivante. Une ville peuplée d’un échantillon de tout ce que l’humanité compte de classes sociales, des très pauvres aux très riches et aux aristocrates, sans oublier les Iron Dandies, ces gueules cassées du conflit précédent qui portent des masques pour dissimuler leurs traits ravagés et sont la mauvaise conscience de la population civile. 

Lower Proszawa est une ville qui, à tous points de vue, fleure l’Europe centrale de l’entre-deux-guerres (à ceci près que non loin d’elle, de l’autre côté de la baie, il y a les ruines de High Proszawa où personne ne sait vraiment ce qui se passe mais sur lesquelles courent les plus folles rumeurs).

Sombre, polluée, et clinquante à la fois, Lower Proszawa est une ville frénétique qui, dans un océan d’inégalités, est un marigot d’activisme révolutionnaire et de débauche. On y fait la fête, on y complote, on y prend trop de tout, on y est arrêté par la police secrète (la sinistre nachtvogel) ; on se croirait dans le Cabaret de Bob Fosse.

Entre artistes décadents, aristos s’encanaillant, voyantes extra-lucides et cellules séditieuses on y danse frénétiquement au-dessus du volcan en attendant la prochaine conflagration sous les ricanements d’un mouvement dada qui s’appelle ici Xuxu.

Mais Lower Proszawa est aussi une ville d’urban fantasy, avec ses automates qui prennent de plus en plus la place des humains, ses chimères récréatives génétiquement conçues, ses airships majestueux, son plasma qui sert de source d’énergie (comme dans le roman éponyme de Walter Jon Williams), sa terrible maladie qui frappe au hasard et qu’on ne comprend pas, son industrie d’armement à la pointe des technologies qui prépare la prochaine guerre auquel le gouvernement semble déjà habituer la population.


Lower Proszawa est donc une ville vénéneuse et envoûtante, dont Largo va parcourir tous les quartiers et toutes les strates pour le plaisir du lecteur qui participe avec lui au grand tour d’un lieu fascinant. Toute la ville en effet car Largo, dès le début du roman, obtient une promotion après l’arrestation par la police secrète de celui qu’il est donc amené à remplacer ; une chance pour lui et l’opportunité d’obtenir enfin la maigre ascension sociale qu’il convoite. Mais il découvrira vite qu’il y a plus derrière cette bonne fortune quand il se trouvera impliqué à son corps défendant dans la politique de la ville ; et plus encore lorsqu’un malheur menacera Remy.


The Grand Dark est un magnifique roman d’ambiance. Tiré par ses personnages (nombreux et tous parfaitement détaillés, jusqu’à la ville elle-même) lors d’une mise en place assez longue, il voit ensuite son rythme s’accélérer lorsque Largo (une sorte de Hiro Protagoniste tout droit surgi du Samouraï Virtuel) se trouve plongé dans les méandres peu ragoûtants de la politique locale.

Largo, ses collègues, ses proches, la divine Remy et les amis de celle-ci dans un monde de l’art et de la nuit qui n’est pas celui de Largo, tous forment le chœur qui dit les vérités, visibles ou dissimulées, de Lower Proszawa. Tous racontent la ville au lecteur et l’introduisent dans ce qu’elle a de moins appétissant. Car les secrets abondent et Largo va les découvrir un à un en même temps que le lecteur.

Le jeune homme apolitique, naïf à la limite de l’innocence, peureux, psychanalytiquement peureux, de tout, de rien, et surtout de lui-même, de son être même, de ce qu’il considère comme son absence intrinsèque de qualité, devra, au prix d’efforts surhumains, surmonter la violence symbolique à laquelle il s’est toujours abandonné, dépasser son pessimisme et son découragement, vaincre ses addictions comme son envie d’en finir (pulsions suicidaires à court ou à long terme qui n’aideront en rien à sauver Remy), et trouver enfin tant un but à sa vie que le courage d’affronter le monde pour l’atteindre. Il y parviendra grâce au réseau d’entraide qui se constituera autour de lui et auquel il rendra la pareille autant que ses moyens le lui permettront ; Largo sera alors finalement entré, par amour et sans même le vouloir, dans le jeu politique de Lower Proszawa.


The Grand Dark est un beau roman qui fascine comme une orchidée noire. Il plonge le lecteur dans l’ambiance exotique d’un entre-deux-guerres fantasmatique chromé à l’urban fantasy. Tout y est plus grotesque encore que ce ne fut dans le monde réel, plus déformé, plus pervers. C’est donc à une belle et grande balade que Richard Kadrey convie son lecteur.

Si on devait trouver un défaut au roman ce serait son dernier quart qui, s’il ferme tous les fils ouverts, paraît néanmoins un peu rapide, un peu rushé, un peu trop court. Il y avait matière à plus de pages et le texte y aurait gagné. C’est un défaut mineur, la légère déception ressentie n’annulant absolument pas le plaisir pris à déambuler dans les rues sombres et inquiétantes de Lower Proszawa.


The Grand Dark, Richard Kadrey

Commentaires

Alias a dit…
De mon point de vue, c'est clairement un bouquin où le contexte est plus intéressant que l'intrigue et les personnages. En cela, je l'ai trouvé un peu décevant.
Gromovar a dit…
Oui, je parle aussi d'une légère déception à la fin de la chro.
Mais il serait dommage néanmoins de se priver du sightseeing.