Jade Daniels est en dernière année de lycée dans la petite ville de Proofrock, Idaho. Demi-indienne par son père (tendance Blackfeet), mal dans sa peau, JD, qui vit avec ce paternel indien alcoolo qu’elle déteste, est une espèce de punkette locale que tout le monde connaît, et pas en bien. Seul plaisir d’une vie très solitaire, JD adore les films de slashers, qu’elle regarde passionnément et dont elle a une connaissance encyclopédique. Et voilà qu’elle pense repérer des signes identifiant les débuts d’activité d’un de ces tueurs solitaires dans sa ville même. Entre cinéma et réalité, JD va tenter de négocier au mieux cette menace existentielle.
Mon cœur est une tronçonneuse est un roman de Stephen Graham Jones. C’est un hommage à un genre cinématographique qu’il adore et auquel il a déjà donné un excellent roman : Un bon indien est un indien mort. Qu’en est-il ici ?
Cette chronique de Mon cœur est une tronçonneuse est garantie sans spoiler ni sur le qui, ni sur le pourquoi, ni sur le comment.
Hommage au slasher, Mon cœur est une tronçonneuse l’est assurément.
SGJ en reprend la plupart des codes, moins l'adrénaline hélas. Et JD, son héroïne, n’aime que ça et n’analyse le monde qu’à travers ça.
JD offre ses analyses au lecteur sous deux formes distinctes :
D’abord, par le biais de nombreux « essais » sur les slashers qu’elle écrit pour Mr Holmes, son professeur d’histoire et peut-être son seul allié. Ensuite, hélas, au fil d’une incessante logorrhée mentale qui lui fait partager ses réflexions sur les événement en cours avec le lecteur. Sans fin ni limite. Sur des centaines de pages plus passives qu’actives et régulièrement indigestes. Et quand on sait, de plus, que ces innombrables pages sont littéralement truffées de références explicites au genre cinématographique, on se demande vraiment s’il est possible de les apprécier quand on n’est pas quelqu’un qui sait qui est Rafik Djoumi. Le sais-tu, lecteur ?
Que nous dit JD ? Que trouve-t-elle dans les slashers ? Que comprend-elle aux événements (très longtemps très modestes) en cours ?
Histoires de torts impardonnables suivis de vengeance parfois surnaturelles, les slashers résonnent dans la tête de JD avec ceux qu’on lui aurait infligés. Récit de punition administrée à une communauté rendue collectivement responsable du mal qui fut fait à un seul, ils tentent une JD qui rêve de rétribution.
Au point de laisser le scénario se dérouler sans l’interrompre ? De laisser le slasher qu’elle pressent advenir faire son travail jusqu’au bout ? Oui et non. Oui sans doute, car elle laisse les choses se passer – de toute façon, dit-elle, dans les slashers, adultes et autorités sont incrédules ou impuissants face aux avertissements. Mais non un peu aussi, car elle tente de « préparer » pour sa mission à venir celle qu’elle a identifiée comme la « fille finale », autrement dit celle, pure et virginale, qui, dans les slashers, survit jusqu’au bout quand les morts s’accumulent et est destinée à vaincre le tueur, finalement abattu par la force primordiale de la fille pure qu’ont forgée les épreuves et le deuil.
Et que comprend-elle des faits ? Que comprend-elle de la métaphore dans laquelle l’a plongée Stephen Graham Jones ?
Car c’est bien d’une métaphore qu’il s’agit, si tortueuse soit-elle dans son développement. Métaphore des violences intrafamiliales que subissent les enfants, et plus encore dans le milieu native american (source SGJ).
Métaphore des spoliations subies dans le passé par les native american – dont on gonfle les rivières pour en faire des lacs artificiels – mais aussi dans le présent quand de riches citadins déclassent un bout de parc national pour s’y construire de luxueuse villas qui déplacent radicalement le barycentre symbolique de la ville de Proofrock.
Métaphore du mépris social qui octroie le « droit amoral » d’éliminer un gêneur de basse extraction.
Métaphore de l’indifférence du monde adulte aux souffrances des plus jeunes, a fortiori quand ceux-ci font partie de la frange stigmatisée de la communauté. Même les mères ne protègent pas des pères (pas plus chez les humains que chez les ours du roman). Même Mr Holmes, le cher Mr Holmes, ne voit rien et ne peut rien. Et il faut bien une autre jeune, Letha, la « fille finale », pour que l'extérieur commence à entrevoir l’enfer qui vit en JD. Avec quel résultat ? La vengeance est personnelle ou elle n’est pas – JD ne pourra pas compter sur son slasher pour la réaliser. Jason Voorhees, Michael Myers, Freddy Krueger et tant d’autres ne régleront pas les comptes qui doivent l’être en dépit d’un final très sanglant mais aussi confus que trop longtemps attendu.
Et enfin, le savait-il, lui, le lecteur, qu’il entrait dans une métaphore ? Le lui avait-on dit ? Serait-il venu si oui ?
Cette chronique de Mon cœur est une tronçonneuse est, promesse tenue, sans spoiler ni sur le qui, ni sur le pourquoi, ni sur le comment. Sache quand même, lecteur, qu’il te faudra un très grand amour des slashers genre pour parvenir à lire un roman aussi référencé. Sache aussi qu’il te faudra accepter la frustration d’un histoire en dialogue interne assez statique et pas toujours claire dans la logique de ses ramifications ; si Stephen Graham Jones voulait exprimer le désarroi d’une jeune fille blessée et perdue, c’est réussi, peut-être un peu trop.
Mon cœur est une tronçonneuse, Stephen Graham Jones
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