Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

A Short Story - Run et Maudoux


Le 15 janvier 1947, dans un terrain vague de Los Angeles – la mythique Cité des Anges – est retrouvé le corps atrocement mutilé d'Elizabeth Short, une would-be actress de 22 ans seulement dont les espoirs se seront arrêtés là.

Surnommée Le Dahlia Noir, Short connut post-mortem la célébrité qu'elle avait poursuivie toute sa vie et qui l'avait fuie jusque là. Car le crime est proprement atroce, car il met sous les projecteurs la face sombre de l'usine à rêves, car, malgré une longue enquête et quantité de suspects incriminés, il ne fut jamais élucidé.

Le plus célèbre peut-être de tous les cold case devint alors une source d'inspiration pour romans, films, essais, etc.

Jusqu'à ce A Short Story, biographie et enquête BD réalisé par Run et Florent Maudoux.


A l'issue d'un travail de documentation impressionnant incluant notamment des documents déclassifiés, Run et Maudoux, assistés pour quelques portraits de protagonistes au stylo-bille par Jaune Citron, tentent de rendre sa vie à la femme, par-delà le mystère, l'enquête, les suspects. Tentent de rendre son histoire à une fille perturbée qui chercha, sa courte vie durant, une célébrité que seule la mort lui offrit – si vous avez l'impression de lire Hush-Hush, vous ne vous trompez pas.


A Short Story, c'est la courte vie d'Elizabeth. Et son encore plus courte vie californienne, elle qui venait du Massachusetts, bien loin de la lumière écrasante de Los Angeles.

La vie d'Elizabeth qui passa par la Floride pour « soulager un asthme » avant de de « s'établir » en Californie.

La vie d'Elizabeth qui avait été rejetée deux fois par son père, enfant d'abord, jeune adulte ensuite.

La vie d'Elizabeth qui cherchait tant la gloire que l'amour, disait vouloir se marier, disait vouloir des enfants, mais sans jamais cesser d'affirmer que son but, apparemment contradictoire avec les premiers, était d'intégrer le star system ; de fait, elle n'approcha jamais d'aucun.


C'est à Babylone/LA qu'Elizabeth tente sa chance. Dans une ville profondément corrompue. La municipalité l'est, la police l'est (très violente aussi), la mafia et l'immobilier pourri y font bon ménage, sans oublier tout ce qu'on regroupera sous le nom générique d'entertainment – drogue, filles, etc.

Car ce qui différencie Los Angeles des autres cités corrompues du monde est qu'elle est la capitale du cinéma mondial. Elle attire des milliers de rêveurs fascinés par les feux de la rampe comme des papillons de nuit par des lampes électriques, avec souvent le même résultat.

Pour 999/1000 de ces would-be actors, la réalité est l'échec. Dans le meilleur des cas c'est un retour au bercail après avoir galéré de petits boulots en garnis bon marché, dans le pire un basculement temporaire ou définitif dans le monde de la prostitution, du porno, de la drogue, à une époque où ce type de stigmate est synonyme de mort sociale.


L'échec est aussi le lot d'Elizabeth Short. Jamais signée, jamais proche de l'être, Liz Short erre en Californie, de plan en plan, de coloc en coloc, de petits boulots en grosses dettes. Toujours élégante malgré ses revenus minuscules, Liz va de soirée en soirée, de séduction en séduction, sans jamais s'adonner, semble-t-il, à la prostitution ni avoir vraiment de relations sexuelles avec la grande majorité des hommes qu'elle allume et utilise plus qu'elle ne leur donne accès à son corps.

Même certains « bienfaiteurs » de starlettes, à qui il aurait été facile de céder pour tenter de propulser sa carrière, n'auront pas accès aux faveurs de Liz.


Dans cette succession d'hommes, toujours présents mais toujours aux marges, il y a deux piliers.

D'abord, un lieutenant Fickling, avec qui elle a une brève relation qui devient vite strictement épistolaire mais durera jusqu'à la mort de Liz – une relation à sens unique dans laquelle Fickling donne ses sentiments et reçoit des contes de fées.

Puis surtout ce major Gordon, de l'Armée de l'Air, qui lui aurait proposé de l'épouser mais se tua peu après dans un crash en Inde.

Dans le narratif que Liz fait d'elle-même, l'histoire du major Gordon est caractéristique de la dérive de la jeune femme. De lettre en lettre, à sa mère, au lieutenant Fickling, ou de vive voix auprès de plusieurs personnes qui l'aidèrent, Liz explique qu'elle est actrice, ou presque, ou bientôt. Que ça marche, ça va marcher, ça remarche, ça marche. Que tout va bien dans sa vie et sa carrière. Et, quoi qu’elle raconte, Gordon revient sans cesse. Car : « elle a été mariée avec un pilote tué en Inde », « elle a perdu l'enfant de ce pilote », etc.

Oui, elle a connu Gordon, mais tout le reste est faux. Peu importe, elle y revient sans cesse.

Que croit Liz de ce qu'elle raconte ? Quelle part de ses mensonges a-t-elle fini par intégrer à sa propre image d'elle-même ? On ne le saura pas. On sait ce qu'elle écrit ou dit, pas ce qu'elle pense.


On ne sait pas où se serait arrêtée la dérive d'une Liz chaque jour plus dépourvue d'argent comme d'opportunités d'emploi ou de contacts utiles. On sait où elle s'arrêta. On ne sut jamais pourquoi ni à cause de qui. On ne sait même pas si c'est elle qui était visée ou si elle ne fut qu'une victime expiatoire des péchés de LA. On sait juste que, d'une monstrueuse manière métaphorique, elle symbolise à elle seule les dizaines de milliers de jeunes gens américains qui vinrent bruler leur jeunesse pour suivre un rêve improbable.


Honnêtement, je ne suis guère fan du dessin, trop statique et imposant dans ses silhouettes. Mais entre les planches dessinées, les portraits stylo-billes des protagonistes, les fac-similés de pub d'époque, les documents d'archive et les notes explicatives, sans oublier la liste exhaustive des meurtriers possibles, je pense que l'album vaut vraiment la peine d'être lu.

Comme un dernier hommage à une pauvre fille qui chercha désespérément l'amour et la gloire et ne trouva qu'une mort inexpliquée.


A Short Story, Run et Maudoux

Commentaires

Baroona a dit…
J'ai envie de découvrir les auteurs après les avoir entendus dans le podcast "Blockbusters". Je n'étais pas vraiment attiré par cette BD là, mais si c'est Gromovar-approuved, ça se réfléchit et se note tout de même. ^^
Gromovar a dit…
Gaffe aux dessins quand même mais scénar et documentation valent le détour.
Et puis, fais-le pour Liz Short.