La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

La Cité des nuages et des oiseaux - Doerr Anthony


Sortie le 14 septembre chez Albin Michel de "La Cité des nuages et des oiseaux", d'Anthony Doerr, prix Pulitzer 2015 pour Toute la lumière que nous ne pouvons voir. Je t'invite vivement, lecteur, à être le 14 septembre chez ton libraire préféré pour te le procurer. Tu me remercieras.


De "La Cité des nuages et des oiseaux", j'écrivais il y a peu qu'on pouvait le résumer ainsi : « De superbes personnages vivent trois grandes aventures reliées par l'amour d'un texte antique. ». L'éminent Jean-Daniel Brèque suggéra d'en faire : « Pour l'amour d'un texte antique. / De superbes personnages. / Trois grandes aventures inextricablement mêlées. ». Tout est dit.


Si on souhaite néanmoins être un peu plus disert, on dira que "La Cité des nuages et des oiseaux" est l'histoire de :

Konstance, une adolescente en route seule (ou, ce qui est tout comme, en la seule compagnie de l'IA Sybil) vers une lointaine exoplanète pour fuir une Terre mourante (et non, aucun hommage à Jack Vance ici).

Anna, une orpheline qui vit avec sa sœur ainée Maria dans l'atelier de broderie du violent et pingre Kalapathes, à Constantinople, autour de l'an 1453 (la date te parlera, lecteur). Anna, qu'un chantage et un brave homme ouvriront par hasard au monde de l'écrit.

Omeir, un jeune ottoman affublé d'un bec de lièvre dont la simple naissance a conduit sa famille à l'exil car les villageois le croyaient possédé par un démon. Vivant à quelques encablures de Constantinople autour de 1453, il sera enrôlé dans l'armée du sultan avec les bœufs jumeaux qu'il a vu naître et qu'il chérit, portefaix involontaires des monstrueux canons de Mehmet II.

Zeno, le fils d'un immigrant grec très pauvre installé à Lakeport, soumis au racisme ordinaire, engagé dans la Guerre de Corée, prisonnier, amoureux, puis petit employé de mairie sans qualité particulière jusqu'à qu'il se découvre une passion pour un texte antique retrouvé dans les caves du Vatican.

Seymour, fils neuroatypique d'une mère pauvre qui cumule les petits boulots, garçon que le monde meurtrit jusqu'à ce qu'il fasse la mauvaise rencontre qui conditionnera la suite de sa vie (et pas que).


Ces personnages (sur lesquels j'en dis le moins possible) sont tous magnifiquement développés. Tous, et leur entourage dont je n'ai pas parlé au-dessus, sont des êtres de chair et de sang avec leurs passions et leurs faiblesses, leur sensibilité et leurs misères, leur intelligence ou leurs limitations. Tous sont modelés par le contexte dans lequel ils vivent, tous parviennent aussi à le dépasser pour prendre leur liberté et s'évader d'un déterminisme qui sonne trop comme un ananké. Tous sont des êtres sensibles, complexes, riches de contradictions, des êtres de papier aussi vivants que toi et moi, lecteur.

Tous seront transformés et mus par l'amour des textes, et d'un texte en particulier : La Cité des nuages et des oiseaux d'Antoine Diogène, un auteur grec tardif. Au fil de ses 24 fragments in extenso dans le roman, La Cité des nuages et des oiseaux conte l’histoire d’un berger, Aethon, qui se prend de l'irrépressible désir d'atteindre la mythique cité des oiseaux où tout n'est qu'abondance et félicité et qui, pour cela, vit des aventures aussi comiques qu'improbables durant lesquelles il est métamorphosé en divers animaux. Imaginé par Doerr à partir de l'authentique Les merveilles d’au-delà de Thulé, La Cité des nuages et des oiseaux est le fil conducteur qui relie les vies et les histoires des protagonistes du roman.


Pendant longtemps tu sauras, lecteur, que le texte est le lien mais tu ne sauras pas comment se fait le passage de témoin. Tu ne l'apprendras que vers la fin et c'est tant mieux. Car durant 700 pages tu seras là pour apprendre à aimer les personnages de Doerr, à craindre pour eux, à leur souhaiter le meilleur, à te réjouir de leurs bonnes fortunes ou à pleurer leurs malheurs.


Tu seras là aussi pour entendre la déclaration d'amour de Doerr aux livres (ainsi qu'aux bibliothèques et aux bibliothécaires), ces livres dont Anna, analphabète à qui un vieux sage apprend la lecture et les voyages d'Ulysse, comprend le pouvoir magique : « À chaque signe correspond un son, associer les sons revient à former des mots, et en associant les mots on finit par bâtir des univers. ». Ces livres, si fragiles, qui contiennent les mémoire des hommes et servent de réceptacles aux créations de leur imagination, relient entre elles les générations, mettent en contact un esprit et un autre par-delà les abîmes du temps et les distances infranchissables. Ces livres dont il faut s'occuper comme de choses fragiles, en les préservant, en les copiant, en les restaurant, en les traduisant, avant de les passer aux lecteurs dont ils changeront ou au moins embelliront la vie. Ces livres qui annihilent la mortalité humaine en conservant les mémoires de ceux qui vécurent et sont alors de précieux auxiliaires de métempsychose.


Cette ouverture au monde et au merveilleux, cette passion que peut créer un livre, Jo Walton les décrivait dans Morwenna. Umberto Eco y ajoutait la fragilité et l'indispensable soin dans Le nom de la rose.

Mais la voix de Doerr est aussi singulière.

D'abord parce qu'il raconte des histoires sensibles qui pourraient être des récits mythologiques mettant en scène des héros. Sauf qu'ici ses héros sont des gens simples, de petites gens que la vie aurait pu briser comme elle en brise tant d'autres de leur sorte. Des gens du commun, de ceux qui sont emportés par le vent de l'Histoire sans jamais l'infléchir. Qui vivent, de Zeno à Omeir en passant par Bunny (admirable mère de Seymour), cette common decency dont parle Orwell et qu'il est plus facile d'illustrer que de définir précisément.

Ensuite car il leur offre à tous une échappatoire voire une rédemption par et dans la littérature, singulièrement la littérature classique. Car rédemption il y a, même pour les pires canailles, Doerr tordant ici le cou à une grande partie de la production actuelle (et ça fait du bien). Rédemption il y a car complexité il y a. Aucun personnage n'est d'un bloc. Chacun peut toujours devenir autre ou plus que ce qu'il était, et la littérature peut y aider. Dans un monde où le slogan voire le grognement tiennent parfois lieu de discours, c'est une conviction à laquelle on veut vivement adhérer.

Quand un roman parle de racisme ordinaire, de répression de l'homosexualité, de préjugés bigots, de guerres et de destruction, d'écologie et de terrorisme, de totalitarisme et de fanatisme en l'illustrant de personnages balancés et sans désigner explicitement de « méchants », on est saisi d'admiration pour un auteur qui a compris que rien n'est jamais ni blanc ni noir mais que le monde est fait d'une infinité de nuances de gris que la littérature permet de décrire et de transmettre en ouvrant les esprits là où le fanatisme les enferme dans des certitudes confites.


Milan Kundera expliqua que le roman et donc la prose avaient fait advenir l'homme au détriment des dieux et des héros. Doerr le prouve ici avec la rouerie de celui qui prend des hommes et des femmes ordinaires et en fait des héros. Tous, d'une façon ou d'une autre, finissent par rentrer ou trouver un chez eux, tous, comme Ulysse, deviennent ce qu’ils devaient être, apaisés et heureux enfin à l'issue de leurs personnelles odyssées. Mais tous n'ont pu compter que sur leurs forces humaines, pas d'intervention divine ici si ce n'est celle de l'immense littérature.

Si tu aimes les livres, lecteur, tu dois aimer "La Cité des nuages et des oiseaux" et te laisser emporter par ces modernes Odyssées. Tu y croiseras le pouvoir des mots ; Maïakovski encore et toujours.


La Cité des nuages et des oiseaux, Anthony Doerr

L'avis de Feyd Rautha

Commentaires

Baroona a dit…
Un bandeau rouge qui dirait donc la vérité ? Je croyais que ce n'était qu'un mythe. En tout cas, ça/tu me donne(s) extrêmement envie.
Gromovar a dit…
C'est vrai que c'est pas courant ;)
RDV le 14.
Olivier Chipiron a dit…
Bon, déjà j'aime pas qu'on me tut... peu importe.
Merci d'attirer notre attention d'éloquente manière sur ce roman.
Gromovar a dit…
You're welcome :)