La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

House of Windows - John Langan


Ici et maintenant. Roger Croydon était un professeur de littérature spécialiste des Victoriens en général et de Dickens en particulier. Respecté dans son domaine, il enseignait à l'université publique de New York (SUNY). Roger fut marié à Joanne, une grande bourgeoise new-yorkaise. Un couple – d'où toute attirance réciproque avait disparu depuis longtemps –  qui prit fin après que Roger soit tombé follement amoureux de Veronica, une étudiante de plus de trente ans sa cadette. Une passion partagée.

Séparation, divorce (difficile), remariage. Et l'amour, l'amour, l'amour. Tout aurait dû aller pour le mieux, même si Joanne vécut mal la chose, et même si les amis et relations de Roger, choqués, lui tournèrent presque tous le dos. Ultime contrariété : l'éloignement volontaire de Ted, le fils unique de Roger et Joanne, engagé dans l'armée avant le début de toute l'affaire et qui prit en silence le parti de sa mère. Jusqu'à un soir de furie où sa colère devint vocale et physique.


Pourquoi les deux paragraphes sont-ils au passé, me demanderas-tu, lecteur ? Car quelques mois après la rupture définitive entre Roger et Ted suivie par la mort de Ted en Afghanistan, c'est à dire un an et demi avant le début du roman, Roger disparut au milieu de la nuit sans laisser de trace. Et que le roman est le récit des événements qui conduisirent à cette disparition, fait par Veronica à un ami auteur de romans d'horreur. Une vérité indicible, impliquant son être autant que ceux de Roger et Ted, que la jeune femme ne peut partager qu'avec un homme qui comprend ce qu'est une histoire. 


"House of Windows", publié en 2009, est le premier roman de John 'Fisherman' Langan. Comme dans The Fisherman, son deuxième, on y trouve l'ambition d'écrire un fantastique littéraire qui n'oublie pas qu'une histoire ne vaut que par la manière dont elle est racontée. Verdict : c'est plutôt réussi.


"House of Windows" est un beau texte au ton intime sur la paternité (ou peut-être la parentalité) et ses affres. Il dit les attentes fiévreuses et les espoirs de copie conforme qu'ont des parents envers leurs enfants (ou des pères envers ces fils à qui ils assignent la tâche d'être des doubles d'eux-mêmes, comme c'est le cas ici). Il dit la proximité et l'amitié intense qui unissent un parent et un enfant, puis la déception qui peut saisir un parent qui réalise sans pouvoir l'admettre que l'enfant chéri ne se conforme pas à ses attentes, qu'il est une autre personne, avec d'autres forces, d'autres faiblesses, d’autres désirs. Il dit l'hostilité sourde qui peut naître entre ces deux ex-amis. L'éloignement. La volonté de se démarquer de l'un à laquelle répond celle de raccrocher et de reprocher de l'autre : deux aimants de même polarité qui se repoussent en récriminant. Et toujours, toujours, le dépit, d'où nait parfois le mépris.


Il dit aussi – du père de Roger à Roger et de Roger à Ted – la violence qui se transmet d'une génération à l'autre, au même potentiel destructeur qu'elle soit libre ou contenue. Ici, en réponse à la violence de Ted, se manifeste celle de Roger, la cruauté d'un père qui aurait voulu être aimé sans réserve et n'hésite pas à – en moderne Roi Lear – à renier son fils et à littéralement le vouer aux gémonies lors d'une dernière altercation qu'il conclut par cent vingt-trois mots qu'on ne peut qualifier que de malédiction.

Sache néanmoins, lecteur au cœur sensible, que le roman dit aussi a contrario – Veronica et son père, ou l'auteur d'horreur et son fils – l'amour simple qui peut unir un père et son enfant quand il n'y a pas de trauma passé pour interférer dans la relation présente.


Roman sur l'obsession, la culpabilité et l'incapacité de faire amende honorable, "House of Windows" illustre de façon spectaculaire le genre de torts sans retour possible que ne peuvent se causer que des personnes proches ou qui le furent.

Finement vu sur les relations conjugales aussi, il éclaire la lente désintégration de l'intégrité du couple qui se produit quand une perte insurmontable survient et que les sentiment associés ne peuvent être gérés. La faute au déni ou à obstination.

Et, même hors de tout trauma, il révèle, au grand désarroi de l'aimante Veronica, la part d'inconnaissance qui subsiste dans toute relation, celle que Baudelaire exprimait avec douleur à la fin des Yeux des pauvres


"House of Windows" est aussi un texte très littéraire où la littérature est convoquée. Personnages principaux universitaires, citations régulières d'auteurs (de James à Hawthorne en passant par Collins) utilisés pour apporter du sens aux personnages, correspondances régulières entre la vie de Roger et celle de Dickens – de la propension au mélodrame biographique jusqu'à une conclusion dans laquelle Roger dit explicitement, pensant à Dickens encore, que les grands auteurs sont toujours en avance sur nous, qu'on n'a jamais complètement fini de les comprendre, que les niveaux de sens qu'ils offrent ne sont jamais épuisés.

C'est un texte dans lequel explications et solutions à l'incroyable sont cherchées par les protagonistes dans les livres, les correspondances privées, les bibliothèques. Pas de spectaculaire ici. Seulement deux universitaires cherchant chacun à sa manière à ordonner le monde pour trouver une explication à l'inédit.

C'est aussi un texte sur les mots, le matériau même de la littérature. Spécifiquement sur le pouvoir des mots. Le pouvoir terrifiant des mots. Qu'on pense à Maïakovsky, aux sorcières de Macbeth, au roi Lear ou à la tristement célèbre Radio des Mille Collines. Ici, dans la bouche de Roger, ce sont cent vingt-trois mots, un anathème, qui scellent les destins de Ted et de Roger, celui de Veronica aussi d'une certaine manière.


"House of Windows" est enfin un vrai texte fantastique. Une réinvention du thème de la maison hantée catalysée par le pouvoir de l'art et des mots. Il y a quelque chose de résolument moderne dans la manière dont Langan aborde la question, sans céder aux images d'Epinal mais en ajoutant des dimensions cachées aux lieux comme le font les auteurs les plus nihilistes, de Lovecraft à Ligotti. S'il y a un monde sous la masque de la réalité, rien d’étonnant à ce que certaines pratiques permettent de fissurer le voile – rarement pour le meilleur.

C'est de fissures qu'il s'agit car, même si les choses ne cessent d'empirer, le fantastique de Langan est d'abord un fantastique d'ambiance, de temps long, de décalages progressifs et minuscules qui font entrer, à travers les murs de Belvedere House, l'étrangeté puis l'horreur dans la vie des protagonistes – singulièrement plus dans celle de Veronica que dans celle de Roger. Jusqu'au désastre, à la catastrophe, à la désintégration.


"House of Windows" est un roman riche et dense, aussi beau qu'intrigant, qui renouvelle le genre de la maison hantée et rend un hommage appuyé à la littérature. Si on devait faire un petit reproche (petit !), ce serait celui d'être un peu trop long et détaillé, comme parfois les Stephen King peuvent l'être aussi. Il y a pire comme compagnie.


House of Windows, John Langan

Commentaires

Roffi a dit…
Dommage, un auteur qui m’aurait intéressé. Si un éditeur passe par là pour une traduction future en français de cet auteur.
Gromovar a dit…
On croise les doigts.